• Aucun résultat trouvé

1.3 La grossesse, paradigme d’une troisi` eme topique ?

2.2.1 Mod` ele Multidimensionnel du deuil pr´ enatal

Nous souhaitons nous appuyer tout d’abord sur le mod`ele d´evelopp´e par Leon dans un article de 1996. Il th´eorise ce mod`ele face au manque conceptuel en psychanalyse pour aborder la sp´ecificit´e du deuil pr´enatal. Ce mod`ele qu’il nomme « Multidimensionnel » nous semble pertinent dans l’approche du deuil p´erinatal car il permet de souligner l’importance de la consid´eration d’´el´ements tr`es divers qui se rejoignent dans ce moment si particulier de la grossesse : « Ces diff´erents abords permettent d’expliquer les nombreuses r´epercussions de cette perte ainsi que de justifier les diff´erences individuelles » (Leon, 1996a, p. 1). Il permet de les prendre en compte ensemble mais `a la fois de les diff´erencier, pour pouvoir ´etudier ce qu’il y a de sp´ecifique dans chaque axe de lecture.

Il applique quatre axes d’interpr´etation de la grossesse : 1. La grossesse comme processus maturatif du d´eveloppement ; 2. La th´eorie de l’instinct, avec une r´eactivation des conflits ant´erieurs ; 3. La relation d’objet, en tant que l’enfant `a venir est un enfant sp´ecifique ; 4. Le mod`ele du narcissisme qui d´ecrit la grossesse comme une r´eorganisation de l’estime de soi.

De mˆeme, la perte d’un enfant en p´eriode p´erinatale peut ˆetre conceptualis´ee dans chacune de ces structures respectivement comme une entrave au d´eveloppement, comme une intensification de conflits ant´erieurs, comme une perte d’objet accompa- gn´ee d’obstacles particuliers au deuil, et comme des blessures narcissiques multiples. (Leon, 1996a, par 7)

Nous ne reviendrons pas pr´ecis´ement ici sur les diff´erents aspects de la grossesse que nous avons d´evelopp´e dans le premier chapitre. Cependant, le d´ecoupage effectu´e par Leon de la grossesse ´etant diff´erent de celui que nous avons propos´e, nous ferons quelques rappels pour que le lecteur sache `a quoi chaque dimension fait r´ef´erence.

Dimension d´eveloppementale.

La grossesse, comme nous l’avons vu plus haut, est une p´eriode d’intenses remaniements psychiques, identitaires et identificatoires. `A l’instar de l’adolescence, il est aujourd’hui commun´ement reconnu que la grossesse est une ´etape du d´eveloppement humain, en par- ticulier dans la psych´e f´eminine.

La grossesse est un important processus de maturation qui permet, grˆace `a des mouvements r´egressifs, donnant lieu `a une possible r´esolution de conflits infantiles rest´es en suspens, d’´etablir une identit´e plus solide et ind´ependante. Cela am`ene `a une profonde modification de la personnalit´e dans une vis´ee plus constructive. Les th´eoriciens de la famille le disent sous l’angle du mod`ele transactionnel : la grossesse, d´es´equilibrant les rˆoles conjugaux et les rˆoles masculin-f´eminin, conduit `a de nouveaux modes d’interaction et de conflits. L’arrˆet de la grossesse interrompt ce processus de maturation. Les ressources du moi de la femme peuvent alors s’av´erer insuffisantes pour surmonter une crise aussi intense. Cet arrˆet soudain d’un processus de maturation pourrait expliquer le d´esir parfois imminent de refaire un enfant le plus vite possible. Comme si le processus pouvait reprendre et se conclure avec cette seconde grossesse. D’autres r´eactions fr´equentes `a la perte p´erinatale

comme l’intol´erance et la rage face `a d’autres femmes enceintes ou ayant un b´eb´e « pour- raient ˆetre dues moins `a la perte d’une personne en particulier qu’`a l’interruption majeure que la perte de cet enfant repr´esente dans le processus de d´eveloppement – surtout s’il s’agit d’une premi`ere grossesse »(Leon, 1996a, par 13).

Ceci am`ene `a la n´ecessit´e d’un « soutien social » sur lequel nous reviendrons (voir Chapitre 3).

Le rˆole d’un groupe de soutien pour all´eger la souffrance et encourager la compr´e- hension de la perte p´erinatale peut ne pas ˆetre restreint `a l’objectif habituel de faciliter le processus de deuil, mais de fa¸con tout aussi importante, il peut fournir un groupe de r´ef´erence auquel les parents touch´es peuvent se joindre et auquel ils peuvent appartenir. (Leon, 1996a, par12)

Dimension pulsionnelle.

Nous avons vu la dimension pulsionnelle de la grossesse, p´eriode de r´ecapitulation de la sexualit´e infantile. Cette reviviscence pulsionnelle devrait trouver sa r´esolution dans la relation avec le b´eb´e apr`es l’accouchement. Ce qui est particuli`erement notable dans le besoin des m`eres de nourrir et ´etreindre leur enfant `a la naissance. Quand il n’est pas l`a pour recevoir cette pulsionalit´e r´eveill´ee pendant la grossesse, la femme est seule, et doit faire un travail psychique important de r´e´equilibration pulsionnelle. Elle peut alors ˆetre d´ebord´ee et d´evelopper des psychopathologies anxieuses ou d´epressives.

Le mod`ele de la relation d’objet.

De nombreux d’auteurs mettent l’accent sur le fait que la perte p´erinatale repr´esente la perte d’un ˆetre aim´e, un ˆetre distinct de soi. En effet, `a partir du troisi`eme trimestre de la grossesse (et du terme de « viabilit´e ») la m`ere commence g´en´eralement `a avoir des repr´e- sentations de l’enfant comme un ˆetre distinct et s´epar´e de soi. Cette dimension appr´ehende donc le deuil p´erinatal sous l’angle plus classique du deuil. Dans ce contexte, la sp´ecificit´e de la perte p´erinatale serait que le deuil est compliqu´e de part l’absence de souvenirs avec l’enfant mort, souvenirs qui servent g´en´eralement d’´etayage `a l’´elaboration d’un deuil, mais aussi par la soudainet´e de cette perte qui laisse parfois les parents sid´er´es et d´esorient´es. Le manque de soutien familial et m´edical face `a ce qui est encore aujourd’hui consid´er´e comme un non-´ev´enement (« tu en referas un autre »), est aussi un facteur de difficult´e d’´elaboration du deuil. C’est au sein de cette dimension que prennent sens les rituels mis en place (voir, pr´enommer, inscrire `a l’´etat civil, inhumer) sur lesquels nous reviendrons.

Le mod`ele du narcissisme.

Nous avons en premi`ere partie de ce travail parcouru la tendance ´eminemment narcissique de la grossesse. Temps de remaniements psychiques et d’explorations de son soi b´eb´e. La fœtopathie peut venir rappeler des traumatismes anciens. Un enfant de la grossesse est encore physiquement une partie du corps de la m`ere, et une partie du psychisme des pa- rents. C’est donc les parents mˆemes qui sont touch´es, d´echir´es par cette perte. Comme nous l’avions vu pr´ec´edemment, d’un point de vue psychanalytique, la grossesse peut ˆetre une compensation du p´enis manquant, la malformation est l’´equivalent d’une castration et

peut ˆetre v´ecue comme une punition de transgressions fantasmatiques : la m`ere se venge de l’enfant fait au p`ere.

Bien qu’au fur et `a mesure de la grossesse l’´equilibre change et que l’enfant ait tendance `

a ˆetre consid´er´e de plus en plus comme un ˆetre distinct, il n’empˆeche que « la percep- tion narcissique, par la m`ere, de son enfant restera, pendant toute la vie de l’enfant, un ingr´edient unique de l’attachement parental » (Leon, 1996a, par 19). L’enfant ´etant consi- d´er´e comme une partie de soi sur laquelle on a un contrˆole total, on comprend alors le sentiment profond d’impuissance de ces m`eres, alors que la grossesse est cens´ee assurer l’omnipotence.

Ce mod`ele est plus `a mˆeme d’expliquer les ressentis d’indignit´e, les sentiments d’´echec, la perte de l’estime de soi qu’expriment ces m`eres, que ne le fait le mod`ele de la relation d’objet.