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3.2 M´ etapsychologie de la honte et de la culpabilit´ e

3.2.1 M´ etapsychologie de la culpabilit´ e

Freud, nous l’avons vu, n’a pas souhait´e ´etablir de distinctions nettes entre inf´eriorit´e, honte, angoisse morale et culpabilit´e. Entre surmoi et id´eal du moi il n’a pas marqu´e non plus de diff´erenciation tranch´ee les rapportant tous deux `a l’Instance de l’Id´eal. Peut-ˆetre voulait-il ´eviter la simplification qui est amen´ee par leur distinction ? Rapporter simple- ment la honte `a conflit Moi-id´eal du moi et la culpabilit´e `a un conflit Moi-surmoi semble en effet r´educteur. N´eanmoins, apr`es Freud des auteurs se sont attach´es `a distinguer des « maladies de la culpabilit´e » (li´ees `a l’interdit) et des « maladies de l’id´ealit´e » (li´ees `a l’impossible), `a consid´erer la culpabilit´e et la honte comme des aspects diff´erents – mais inextricablement li´es – de la vie psychique. Il nous semble donc n´ecessaire de les d´efinir s´epar´ement dans un premier temps.

Freud d´ecrit tout d’abord la culpabilit´e au cœur du processus d’humanisation. Dans To- tem et Tabou, c’est la culpabilit´e du meurtre du p`ere qui scelle le lien social. Plus tard c’est l’´etude de la m´elancolie qui donne une description plus approfondie et complexe du sentiment de culpabilit´e en montrant comment une partie du moi peut se scinder et prendre le moi pour objet l’accablant de reproches par l’action de la conscience morale (Freud, 1913). Freud d´egage ensuite le concept de surmoi et dans « Le moi et le ¸ca » il consacre un chapitre `a la culpabilit´e qu’il d´efinit comme « expression d’un jugement de condamnation du moi par son instance critique » (Freud, 1923, p. 293). Le sentiment de culpabilit´e est particuli`erement fort et s´ev`ere dans la n´evrose obsessionnelle et la M´elan- colie ; la diff´erence ´etant que dans la n´evrose obsessionnelle le moi du malade se rebelle contre l’all´egation de sa culpabilit´e tandis que dans la m´elancolie le moi se reconnaˆıt cou- pable, il se soumet aux punitions car « dans la m´elancolie l’objet auquel s’adresse la col`ere du surmoi a ´et´e accueilli dans le moi par identification » (Freud, 1923, p. 294). Dans ce texte Freud met en avant les aspects inconscients du sentiment de culpabilit´e « une grande partie du sentiment de culpabilit´e doit normalement ˆetre inconsciente parce que l’appari- tion de la conscience morale est intimement reli´ee au complexe d’Œdipe, lequel appartient `

a l’inconscient » (Freud, 1923, p. 295). Ce sentiment inconscient de culpabilit´e pouvant amener le sujet `a commettre des actes r´epr´ehensibles permettant d’´eprouver comme « un soulagement de pouvoir rattacher ce sentiment de culpabilit´e inconscient `a quelque chose de r´eel et d’actuel » (Freud, 1923, p. 77).

C’est surtout dans « Malaise dans la Culture » qu’il s’attache `a « mettre en avant le senti- ment de culpabilit´e comme le probl`eme le plus important du d´eveloppement de la culture » (Freud, 1930, p. 77). Ce texte nous semble fondamental par la tentative de Freud de dis- tinguer des concepts peu diff´erenci´es jusque-l`a. Il y montre d’abord que « le prix `a payer pour le progr`es de la culture est une perte de bonheur, de par l’´el´evation du sentiment de culpabilit´e » (Freud, 1930, p. 77). Le progr`es de la culture implique en effet le refoulement de certaines tendances pulsionnelles, « ses ´el´ements libidinaux sont transpos´es en symp- tˆomes, ses composantes agressives en sentiment de culpabilit´e. » (Freud, 1930, p. 82). La conscience morale est une des fonctions du surmoi, celle de surveiller, de juger les actions et les vis´ees du moi et de le censurer. Le sentiment de culpabilit´e est, quant `a lui, une perception du moi « de la surveillance `a laquelle celui-ci est ainsi soumis, il est l’´el´evation de la tension entre les tendances du moi et les exigences du surmoi, et l’angoisse devant cette instance critique qui est `a la base de toute la relation » (Freud, 1930, p. 79). Ainsi, si la conscience morale n’existe pas avant l’apparition du surmoi, le sentiment de culpabilit´e lui est ant´erieur. Il est l’expression de la tension entre le moi et l’autorit´e externe, elle est « le rejeton direct du conflit entre le besoin d’ˆetre aim´e par cette autorit´e et cette pous- s´ee vers la satisfaction pulsionnelle dont l’inhibition engendre le penchant `a l’agression » (Freud, 1930, p. 80). Ce sentiment de culpabilit´e contraint `a renoncer aux satisfactions pulsionnelles. Lors de la construction du surmoi, la culpabilit´e, d’abord angoisse devant l’autorit´e, s’enrichit de l’angoisse devant le surmoi et pousse `a la punition « ´etant donn´e qu’on ne peut cacher au surmoi la persistance de souhaits interdits » (Freud, 1930, p. 70). « Sur un plan descriptif, le sentiment de culpabilit´e survient lorsqu’il y a infraction consciente aux valeurs morales admises par le sujet. Affect conscient, repr´esentation consciente ; mais bien entendu ce n’est pas `a cela qu’a affaire la psychanalyse » (Goldberg, 1985, p. 32), sauf poursuit Goldberg quand elle fait d´efaut l`a o`u on l’attendait, dans la perversion par exemple. Pour Freud ce serait plutˆot du remord qui serait absent chez le pervers. En effet, le remord est diff´erent de la culpabilit´e en ce qu’il est ce que l’on ressent lorsque l’on a commis un acte r´epr´ehensible « la r´eaction succ´edant `a l’ex´ecution effective de l’agres- sion » (Goldberg, 1985, p. 80). Il suppose que la conscience morale soit op´erante dans le psychisme, que la satisfaction pulsionnelle l’ait `a ce moment-l`a d´epass´ee, mais qu’elle existe. Il peut cependant ˆetre concomitant du sentiment de culpabilit´e. C’est bien l`a d’apr`es Freud la clef de compr´ehension du sentiment de culpabilit´e. Celui-ci survient lorsqu’il y a un conflit d’ambivalence, il est l’expression du combat ´eternel entre l’Eros et la pulsion de destruction ou de mort. Ainsi, une culpabilit´e bien temp´er´ee suppose une ambivalence int´egr´ee. Ciccone et Ferrant (dans la suite de Klein et de Grinberg, 1965) distinguent une culpabilit´e destructrice, envahissante de la culpabilit´e maturative reli´ee selon eux `a la po- sition d´epressive. Cette culpabilit´e maturative « signale un contact r´ealiste avec le monde, une reconnaissance de la r´ealit´e et de l’alt´erit´e. Elle est tributaire et t´emoin du travail de subjectivation, d’appropriation subjectivante des exp´eriences » (Ciccone & Ferrant, 2009, p. 25) et, pourrions-nous ajouter, de l’acc`es `a l’ambivalence.

Freud se pose la question du niveau de conscience de la culpabilit´e, qui peut ˆetre parfois tr`es consciente, voire bruyante et parfois dissimul´ee, inconsciente. Il explique ces variations en faisant du sentiment de culpabilit´e une « variation topique de l’angoisse ». L’angoisse

pouvant se « cacher derri`ere tous les symptˆomes, mais tantˆot elle accapare bruyamment la conscience, tantˆot elle se dissimule si parfaitement que nous sommes oblig´es de parler d’angoisse inconsciente » (Freud, 1930, p. 78). Se pose alors la question de l’expression paradoxale utilis´ee par Freud : « sentiment de culpabilit´e inconscient ». Nous reviendrons sur cette difficult´e terminologique.

La culpabilit´e semble apparaˆıtre chaque fois qu’une limite est d´epass´ee, qu’une barri`ere est franchie. C’est lorsque la barri`ere du surmoi ´erig´ee contre les pulsions agressives et des- tructrices du ¸ca est transgress´ee qu’´emerge la culpabilit´e dit Piers (1953, p. 6). D’autres auteurs ont aussi inclus ici la barri`ere contre les pulsions sexuelles et en particulier in- cestueuses. Piers consid`ere le surmoi uniquement dans son versant punitif et restrictif. Selon lui la culpabilit´e et la formation du surmoi sont pr´e-œdipiens. Chasseguet-Smirgel (1970) isole une culpabilit´e f´eminine. Cette culpabilit´e r´esulte de la mise en œuvre des composantes sadique-anales, (oppos´ees `a l’id´ealisation). Quand la femme pense d´etenir le phallus (qu’elle aurait alors chˆatr´e au p`ere et vol´e `a la m`ere) elle ´eprouve un sentiment de culpabilit´e (expliquant d’apr`es elle l’inhibition des femmes dans les activit´es de cr´ea- tion, de pens´ee et autre activit´es qui lui feraient sentir une telle possession). Pour elle (ce qu’avait d´ej`a not´e Freud) le surmoi de la femme est plus souple, moins impersonnel que celui de l’homme. La loi serait ainsi toujours celle de l’objet, ce qui donnerait aux femmes une « position de compl´ement » et les conduirait `a se faire objet pour le d´esir de l’autre. C’est ce qui expliquerait certains aspects du « masochisme f´eminin ». Selon Goldberg (1985), ce n’est pas sp´ecifique `a la culpabilit´e f´eminine mais une des composantes de toute culpabilit´e.