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1.2 La maternalit´ e, complexit´ e d’un processus d’objectalisation

1.2.3 Pulsionalit´ e au cours de la grossesse

1.2.3.1 Pulsions de vie ´

Erotisation. Dans « Les trois essais. . . », Freud notait qu’en embrassant et caressant l’enfant, la m`ere le prenait comme un substitut de l’objet sexuel. « Le refoulement prot`ege le plus souvent et la m`ere et l’enfant de ce ”choix d’objet”, permettant `a la sensualit´e de se satisfaire sous couvert de la tendresse et des soins » (Andr´e, 2009, p. 13). Ce proc´ed´e d´ecrit en post-natal trouve bien sa source d´ej`a au cours de la grossesse. Il y a alors un « d´esinvestissement de beaucoup d’objets autrefois investis qui ne concernent pas la gros- sesse. Celle-ci envahit toutes les pens´ees de la femme qui ne pense plus `a autre chose : elle est ´erotis´ee » (Bianchi-Demicheli, 2004, p. 1). La grossesse est un ´ev´enement somatique majeur. Elle fait vivre `a la femme des sensations corporelles in´edites et changeantes, tant `

a l’int´erieur (mouvement fœtaux, douleurs) qu’en surface (peau, odorat). La pulsion a pour Freud sa source dans une excitation corporelle (´etat de tension), elle est `a la fron- ti`ere du soma et de la psych´e. Nous pouvons alors dire qu’au cours d’une grossesse a lieu une v´eritable avalanche de pulsions dont le jeu est visible par exemple dans les mouve- ments d’auto-caresses sur le ventre. L’afflux pulsionnel de la grossesse peut ainsi d´eborder certaines femmes cr´eant des v´ecus majeurs d’angoisse plus ou moins d´esorganisants.

Reviviscence des relations d’objet partielles. « Le statut de l’enfant est double, car il est un objet introject´e qui entre dans le moi et l’´elargit, mais il est ´egalement une partie du monde ext´erieur par rapport auquel toutes les relations d’objet de la m`ere sont r´ep´et´ees » (Parat, 2010, p. 818).

Kestenberg (1956) d´ecrit trois phases durant la grossesse : l’incorporation, la r´etention et l’expulsion, qui correspondraient successivement `a une r´egression orale, anale et ur´etrale. Elle publie ce texte au mˆeme moment que Bouvet publie lui aussi un chapitre d’ouvrage consacr´e `a la relation d’objet. Bouvet pr´eside alors la Soci´et´e Psychanalytique de Paris de laquelle Kestemberg est membre. Bien qu’elle n’y fasse pas r´ef´erence explicitement il nous semble retrouver dans sa description des diff´erentes phases de la grossesse un rapport avec la th´eorie de Bouvet concernant les relations d’objet. La grossesse en retraverse les diff´erentes ´etapes : orale, anale et phallique.

L’incorporation se situe de la conception jusqu’aux premiers mouvements fœtaux (ap- proximativement les premiers quatre mois et demi). Durant cette phase, le principal

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ev´enement d´eclencheur d’´emotion est le changement physiologique, l’arriv´ee de ma- laises somatiques. Les changements corporels (gonflement des seins, etc.) vont venir ranimer les fantaisies adolescentes. Au cours de cette phase nous pouvons noter deux r´eactions : la premi`ere consiste `a un repli narcissique avec une passivit´e accrue, la seconde au contraire peut ˆetre un ´episode de d´epression, avec une augmentation de l’activit´e physique dans le but de nier ce nouveau sentiment de passivit´e. Les rˆeves durant cette ´etape refl`etent des sentiments de d´ependance, de perte de contrˆole et des anxi´et´es par rapport au b´eb´e anal et sale. Cette phase se termine avec l’acceptation du fœtus et la r´eaffirmation de l’identit´e de la future m`ere.

La r´etention est la phase d´ebutant lorsque la m`ere ne peut plus cacher sa grossesse et qu’elle commence `a sentir l’enfant comme une entit´e. Cette phase est marqu´ee par des tendances r´egressives anales-sadiques qui s’expriment dans des rˆeves, fantaisies, habitudes, pr´eoccupations de la salet´e, etc. « La r´ealit´e des coups de pieds fœtaux s´ecurise le moi, permettant ainsi aux fantaisies primitives, autrefois refoul´ees de refaire ais´ement surface dans le champ de la conscience » (1956). C’est durant ce stade que se d´eveloppent les repr´esentations, aboutissant au maintien d’une attitude maternelle stable `a travers la « r´etention ».

L’expulsion est la derni`ere phase de la grossesse, elle pr´epare la m`ere `a abandonner l’enfant interne pour diriger sa maternalit´e envers le b´eb´e ext´erieur. Durant cette phase, la grossesse est souvent v´ecue comme fatigante et des craintes d’accouche- ment pr´ematur´e apparaissent. Au fur et `a mesure que la grossesse avance, nous notons un conflit approche-´evitement en ce qui concerne l’accouchement. La d´efense contre l’angoisse de s´eparation qu’instaure la naissance se fera plutˆot sur un mode de r´egression orale, d´eclenchant un signal d’alarme, la peur d’accoucher. Cette p´e- riode est marqu´ee par une oscillation de l’humeur, la femme est parfois heureuse face `a la perspective de rencontrer son b´eb´e, parfois terriblement angoiss´ee face aux risques de l’accouchement pour elle et pour le b´eb´e. L’angoisse persiste malgr´e des r´eassurances ext´erieures, marquant des sentiments de culpabilit´e. Kestemberg dit que lorsque la m`ere est capable de laisser aller le b´eb´e interne, « letting go », sans perdre le contrˆole, elle est alors prˆete `a terminer sa grossesse. C’est l’anticipation de l’expulsion de l’accouchement.

D’autres auteurs reprendront ´egalement cette mˆeme id´ee : « la repr´esentation orale est la source du d´esir d’incorporation vaginale n´ecessaire `a l’initiation de la grossesse. La repr´esentation anale contribue aux aspects de r´etention de la grossesse et, avec les images ur´etrales, elle sert de mod`ele pour l’expulsion lors de l’accouchement » (Abdel-Baki & Poulin, 2004, p. 11-12).

Fonction objectalisante. Dans un texte de 1993, Andr´e Green propose l’hypoth`ese suivante :

la vis´ee essentielle des pulsions de vie est d’assurer une fonction objectalisante. Ceci ne signifie pas seulement que son rˆole est de cr´eer une relation `a l’objet (interne et externe), mais qu’elle se r´ev`ele capable de transformer des structures en objet, mˆeme quand l’objet n’est plus directement en cause. Autrement dit, la fonction ob-

jectalisante ne se limite pas aux transformations de l’objet, mais peut faire advenir au rang d’objet ce qui ne poss`ede aucune des qualit´es, des propri´et´es et des attri- buts de l’objet, `a condition qu’une seule caract´eristique se maintienne dans le travail psychique accompli : l’investissement significatif. (Green, 1993, p. 122)

L’objet est alors distingu´e de la fonction objectalisante dans laquelle le m´ecanisme de liaison, coupl´e ou non de celui de d´eliaison, entre en jeu. Green ´emet ici une critique aux th´eories de la relation d’objet de s’ˆetre trop int´eress´ees `a l’objet lui-mˆeme, ne prenant ainsi pas en compte la fonction d’objectalisation. Cette hypoth`ese nous semble particu- li`erement pertinente pour parler du processus d’objectalisation de l’enfant au cours de la grossesse. Bydlowski formule l’hypoth`ese suivante : « il y a un hyper-investissement d’un objet psychique nouveau mais faisant partie d’elle-mˆeme. Celui-ci envahit le psychisme de la future m`ere jusqu’`a la naissance. Aucune r´ealit´e, mˆeme le corps du b´eb´e, ne pourra limiter cet investissement » (Bydlowski, 1985, p. 1881). Avec cette hypoth`ese, l’auteure place le lien moi-objet du cˆot´e de l’intrapsychique (nous verrons plus loin que l’objet dans la grossesse peut aussi ˆetre compris du point de vue des th´eories des relations d’objet). Cette hypoth`ese se situe donc bien du cˆot´e de la fonction objectalisante. En effet, la notion de la transformation de pulsions et de d´esirs en un objet psychique nous semble ´eclairante face `a la difficult´e de saisir le processus de naissance d’un objet si particulier pour la m`ere, qui est `a la fois interne et externe : « la relation aux objets (. . . ) devrait concerner la capacit´e du monde int´erieur `a cr´eer des objets, `a partir des pulsions, pour contribuer `a la complexit´e des possessions investies du psychisme » (Green, 2005, p. 1139). Il y a donc au cours de la grossesse une activit´e intense de cr´eation d’objets nouveaux, l’exp´erience de grossesse pouvant ˆetre, elle aussi, pens´ee comme un objet interne.

1.2.3.2 Pulsions de mort

Si les pulsions de vie sont pleinement `a l’œuvre au cours de la grossesse, le sont aussi les pulsions de mort. Tendance fondamentale de tout ˆetre vivant `a retourner `a l’´etat inorga- nique, la pulsion de mort a ´et´e d´ecrite par Freud dans « Au-del`a du principe de plaisir». Elle est le corolaire de la pulsion de vie et s’exprime au travers des pulsions de destruction et d’emprise. Cette notion nous semble particuli`erement importante pour comprendre le traitement psychique de certains accidents de la grossesse. Nous souhaitons ici d’embl´ee sortir du d´ebat ´etiologique de ces accidents. En effet, l’humain est un ˆetre dont l’hyper complexit´e nous prohibe de donner une cause univoque `a un probl`eme 1. C’est du cˆot´e du « comment » que nous situons notre propos : comment pouvons-nous le comprendre dans le cadre de la th´eorie psychanalytique pour permettre aux patientes d’en avoir elles- mˆemes une lecture dynamique pouvant prendre sens et ´eviter ainsi la fixation n´evrotique, la r´ep´etition ? Nous voulons parler ici des diff´erents ´ev`enements somatiques de la grossesse (vomissements intempestifs, fausses couches pr´ecoces, menaces d’accouchement pr´ematu- r´ees, morts fœtales in utero, etc.). ´Ev`enements qui par leur tentative ou leur succ`es de mettre fin `a la grossesse, tendent aussi `a l’arrˆet du d´echainement pulsionnel en cours. Leon r´eagit dans son article majeur de 1996 `a l’article publi´e quelques ann´ees avant par Pines (1996). Pour elle, les fausses couches pr´ecoces et les IVG sont des marqueurs de

l’ambivalence maternelle envers le fœtus. Le fait qu’elle mette sur le mˆeme plan ces deux types de perte montre bien `a quel point elle part de l’id´ee d’un vrai choix inconscient. Leon s’insurge contre de telles vues qui risquent, par leur ignorance totale des faits physiopa- thologiques et leur culpabilisation, d’exclure la psychanalyse des th´eories de connaissance possibles dans la prise en charge des deuils p´erinataux. Bien que nous rejoignons Leon sur ses critiques concernant l’absence totale de r´ef´erence `a la litt´erature existante et des raccourcis interpr´etatifs trop rapides, il nous paraˆıt n´ecessaire de pouvoir penser ce qu’il en est des pulsions de mort `a l’œuvre au cours d’une grossesse. Bydlowski (1998) a men´e une recherche aupr`es de femmes dans l’apr`es-coup d’une grossesse men´ee `a terme mais achev´ee de mani`ere dramatique et pour qui l’accouchement a ´et´e long et difficile. Il a laiss´e `a la patiente un souvenir traumatique. La grossesse suivante est alors qualifi´ee de « grossesse `a risque, expression reposant sur l’intuition qu’a l’obst´etricien de la r´ep´etition possible de l’accident » (Bydlowski, 1998, p. 38). Elle note chez ces femmes une absence compl`ete d’inqui´etude lors du premier accouchement ainsi que la reviviscence au cours de la grossesse actuelle de souvenirs concernant la grossesse ant´erieure qui peut donc ˆetre consid´er´ee comme accident traumatisant, donnant lieu `a partir du huiti`eme mois de gros- sesse `a des cauchemars, de l’angoisse et une insomnie. Lorsque Freud parle du traumatisme il insiste sur le caract`ere `a la fois somatique et psychique du trauma. Ce double caract`ere est particuli`erement adapt´e `a l’accouchement : « ´ev`enement somatique charg´e en soi de repr´esentations psychiques » (Bydlowski, 1998, p. 39). La grossesse qui avait donn´e lieu `a l’accident obst´etrical, note Bydlowski, ´etait une grossesse sans rˆeves, sans appr´ehension et sans angoisse. Nous pourrions dire sans anticipation. Lors du premier accouchement « il se produit une br`eche dans le refoulement qui va rester latente jusqu’`a la grossesse suivante » (Bydlowski, 1998, p. 41). Elle remarque que l’accouchement devient un traumatisme lors- qu’il est directement reli´e `a la sc`ene primitive et qu’il est empreint de repr´esentations d’inceste et de la violence qui en d´ecoule. Il faut alors absolument d´epister ce trauma assez tˆot dans la grossesse suivante. En effet, Bydlowski souligne que dans les cas o`u le diagnostic de n´evrose traumatique n’avait pas ´et´e pos´e, les grossesses se sont `a nouveau finie de fa¸con dramatiques. Lorsqu’il a ´et´e reconnu il a permis `a l’´equipe une vigilance obst´etricale, conduisant `a des c´esariennes en urgence, mais qui ont pu donner vie `a un enfant en bonne sant´e. Lorsque le diagnostic a ´et´e fait suffisamment tˆot, et qu’une colla- boration solide s’est nou´ee entre l’´equipe psychiatrique et l’´equipe m´edicale tout au long de la grossesse, celles-ci se sont termin´ees `a terme par des accouchements naturels.