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1.3 La grossesse, paradigme d’une troisi` eme topique ?

2.1.2 Travail psychique du deuil

Dans « Deuil et M´elancolie », Freud explique le deuil comme ´etant « la r´eaction `a la perte d’une personne aim´ee ou d’une abstraction mise `a sa place. (. . . ) L’´epreuve de r´ealit´e a montr´e que l’objet aim´e n’existe plus et ´edicte l’exigence de retirer toute la libido des liens qui la retiennent `a cet objet » (Freud, 1915c, p. 264). Seulement « l’homme n’abandonne pas volontiers une position libidinale » (Freud, 1915a, p 264) et il se bat pour ne pas c´eder `a ce d´etachement de la libido qu’impose l’´epreuve de r´ealit´e. C’est un travail long et minutieux au cours duquel « chacun des souvenirs, chacun des espoirs par lesquels la libido ´etait li´ee `a l’objet est mis sur le m´etier, surinvesti et le d´etachement de la libido est accompli sur lui »(Freud, 1915c, p. 264). Freud se questionne cependant sur ce qui rend

ce travail si douloureux au point de vue ´economique, ce qui reste pour lui une ´enigme. Le deuil consiste en une acceptation de la disparition, de la s´eparation d’avec l’objet et se r´ealise par une int´eriorisation de l’objet perdu et un d´esinvestissement libidinal. Bowlby d´efini le deuil normal comme la capacit´e `a reconnaˆıtre une modification du monde externe n´ecessitant une modification correspondante dans le monde interne et une r´eorganisation concordante du comportement d’attachement (Bowlby, 1978).

Rappelons bri`evement les th´eorisations de K.Abraham (1915-1925) quant aux stades de d´eveloppement libidinal. Il divise le stade oral en une phase de succion `a laquelle succ`ede une phase sadique au cours de laquelle se d´eveloppe un sentiment d’ambivalence au sein, le nourrisson d´esire le mordre et le d´evorer sur un mode cannibalique. Il divise ´egalement le stade anal, la premi`ere phase ´etant une phase sadique d’expulsion, l’objet aval´e est expuls´e sous la forme d’excr´ements. `A cette phase suit la phase de r´etention, au cours de laquelle apparaˆıt un int´erˆet pour la pr´eservation de l’objet expuls´e.

Dans « Le deuil et ses rapports avec les ´etats maniaco-d´epressifs » (1940), Klein postule qu’il y a « un lien ´etroit entre l’´epreuve de r´ealit´e dans le deuil normal et certains processus psychiques de la premi`ere enfance » citep[p. 342]klein1940. Le deuil serait une reviviscence de v´ecus enfantins. Il nous paraˆıt important de d´erouler plus en d´etail la th`ese de Klein dans ce texte qui nous servira de base pour l’approche de la sp´ecificit´e d’un deuil pr´enatal. Dans des textes pr´ec´edents, notamment dans « Contribution `a la gen`ese des ´Etats maniaco- d´epressifs » (1934), Klein introduit le concept de phase d´epressive. Cette position pourrait se r´esumer ainsi : Juste avant, pendant et apr`es le sevrage, le b´eb´e ´eprouve des sentiments d´epressifs. Il s’agit alors d’une « m´elancolie in statu nascendi ». « L’objet dont on pleure la perte est le sein de la m`ere et ce que le sein et le lait repr´esentent pour la pens´ee enfan- tine : l’amour, la bont´e, la s´ecurit´e » citep[p. 342]klein1940 : l’enfant sent qu’il a perdu tout ¸ca parce qu’il n’a pas su r´esister `a ses fantasmes avides et destructeurs, `a ses pulsions agressives `a l’´egard des seins de la m`ere. La position d´epressive se r´esume donc en une peur de perdre les bons objets internes comme externes. Cette peur est selon Klein « la source la plus profonde des douloureux conflits v´ecus dans la situation œdipienne comme dans la relation de l’enfant aux autres personnes » citep[p. 342]klein1940.

Au fur et `a mesure que s’´etablit la relation de l’enfant `a son entourage, se d´eroulent des processus d’int´eriorisation. Les parents, apr`es avoir ´et´e incorpor´e par le b´eb´e, deviennent des objets internes. Un monde interne se construit ainsi dans la pens´ee inconsciente de l’enfant, « un monde qui correspond `a ses exp´eriences r´eelles et aux impressions qu’il re- ¸

coit des gens et du monde ext´erieur, mais qui est modifi´e par ses propres fantasmes ou pulsions citep[p. 343]klein1940». Dans la pens´ee du petit enfant, la m`ere int´erieure est le double de la m`ere ext´erieure ayant subi quelques modifications de par les processus d’int´eriorisation. Il en va de mˆeme pour toutes les situations r´eelles. Ce monde int´erieur inconscient devient insaisissable par la perception comme l’est le monde tangible, il est alors angoissant pour le petit enfant qui ne va avoir de cesse de s’adonner `a des observa- tions et des v´erifications sur le monde ext´erieur, dont le monde int´erieur est le double. Chez le b´eb´e, le manque d’exp´eriences agr´eables, et de contacts physiques heureux avec ses objets d’amour vont r´eduire la confiance et l’espoir et confirmer la peur de l’an´ean-

tissement int´erieur et de la pers´ecution externe, cette peur ´etant due `a l’angoisse que les objets se vengent des dommages que l’enfant leur a fait subir. Ce manque d’exp´eriences agr´eables « vont jusqu’`a arrˆeter les processus salutaires qui permettent de conqu´erir `a la longue la s´ecurit´e int´erieure » citep[p. 344]klein1940. `A l’inverse, « tous les plaisirs que le b´eb´e ressent dans ses rapports avec sa m`ere sont pour lui autant de preuves que l’objet aim´e, tant `a l’int´erieur qu’`a l’ext´erieur, n’a pas subi de blessures et ne s’est pas chang´e en un ˆetre vengeur » citep[p. 344]klein1940. Cela aide l’enfant « `a surmonter peu `a peu sa d´epression et son sentiment d’abandon (son deuil). Elles lui permettent de mettre sa r´ealit´e int´erieure `a l’´epreuve de la r´ealit´e ext´erieure ». A partir de l`a, Klein explique que c’est ce deuil pr´ecoce qui est rev´ecu chaque fois que, plus tard, l’individu ´eprouve de la tristesse. Elle dit : « le plus important des moyens grˆace auxquels l’enfant surmonte ses ´etats de deuil est, `a mon avis, l’´epreuve de la r´ealit´e : or, comme Freud le souligne, le travail de deuil comprend justement ce processus » citep[p. 342]klein1940.

2.1.3 Complications et pathologies du deuil

2.1.3.1 Deuil compliqu´e

Le deuil dit compliqu´e s’´ecarte de la chronologie normale, il ne se traduit pas par une pa- thologie pr´ecise mais a un d´eroulement tr`es perturb´e. Il se caract´erise par une exag´eration des effets de l’annonce, l’effet choc est retard´e et dure plus longtemps. Les symptˆomes sont plus accentu´es, plus longs. Le sentiment de culpabilit´e apparaˆıt. La p´eriode d’adaptation n’arrive pas, le sujet est dans un retrait social et affectif. Le temps n’est pas, comme dans le deuil normal, r´esolutif. Il existe plusieurs types de deuils compliqu´es d´ecrits dans la litt´erature.

Le deuil diff´er´e. La perte est d´eni´ee pendant un temps plus long qu’habituellement et la phase de d´epression n’arrive pas. Toutes les activit´es quotidiennes sont pr´eserv´ees, de mˆeme que celles qui comprenaient le d´efunt. Les rituels deviennent peu `a peu envahissants dans la vie de l’endeuill´e. La phase d´epressive peut alors survenir lors d’une r´eactivation du trauma dˆu `a la perte.

Le deuil inhib´e. L’endeuill´e est conscient de la perte mais ne reconnaˆıt pas les affects qui y sont associ´es. Les r´eactions somatiques ou comportementales (pour les enfants) passent au premier plan par rapport aux ´emotions. Le deuil chronique. Ici c’est la phase d´epres- sive qui persiste. Les id´ees du registre de la d´epression sont courantes : la culpabilit´e, les reproches envers soi-mˆeme, le chagrin important, le retrait, la d´etresse, l’omnipr´esence du d´efunt dans les pens´ees du sujet. Souvent ces deuils surviennent lorsque la mort de la per- sonne n’est pas assur´ee (disparition, pas de corps, pas de preuves tangibles). L’ambivalence du sujet face `a la perte serait `a l’origine de la chronicisation du deuil (Bacqu´e & Hanus, 2009).

2.1.3.2 Deuil pathologique

« Les pathologies du deuil sont d’authentiques maladies qui surviennent au cours du deuil chez des personnes qui en semblaient exemptes jusqu’alors. Une maladie mentale carac- t´eris´ee, une maladie somatique d´eclench´ee apr`es un deuil, enfin, un comportement nocif

sont des pathologies du deuil » (Bacqu´e & Hanus, 2009, p. 51). Hanus et Bacqu´e d´ecrivent diff´erentes affections pathologiques cons´ecutives au deuil.

Le deuil hyst´erique serait une d´ecompensation sur un mode hyst´erique, avec conversion et tentatives de suicide. Dans le deuil obsessionnel, le sujet

Confront´e `a la perte de l’objet voit passer sa culpabilit´e au premier plan. Le travail de deuil est litt´eralement empˆech´e par toute une s´erie de contre-pens´ees qui luttent contre les anciens d´esirs de mort et les images mentales obs´edantes du d´efunt. Des s´equences pr´ecises de mots, des scenarii r´ep´etitifs envahissent progressivement l’en- deuill´e. La psychasth´enie qui en d´ecoule correspond `a la fatigue entraˆın´ee par la lutte mentale contre les obsessions. (Bacqu´e & Hanus, 2009, p. 51)

Le deuil maniaque et m´elancolique seraient des d´ecompensations suite au deuil en ces affections sp´ecifiques de l’humeur.

2.1.3.3 M´elancolie et manie M´elancolie

Dans « Deuil et M´elancolie », Freud introduit la diff´erence entre le deuil et la m´elanco- lie. La m´elancolie est d´ecrite comme une d´epression profond´ement douloureuse, avec une suspension de l’int´erˆet pour le monde ext´erieur, une perte de la capacit´e d’aimer, une in- hibition de toute activit´e et une diminution du sentiment d’estime de soi : auto-reproches et auto-injures. Auxquels s’ajoutent l’insomnie, le refus de nourriture et « la d´efaite de la pulsion qui oblige tout ce qui vit `a tenir bon `a la vie » (Freud, 1915a, p. 266) . Dans le cas de la m´elancolie l’objet n’est pas toujours r´eellement mort mais il a ´et´e perdu en tant qu’objet d’amour, et il est impossible pour le sujet lui-mˆeme de saisir consciemment ce qui a ´et´e perdu. La m´elancolie est donc en rapport avec une perte de l’objet qui est soustraite `a la conscience : « nous ne pouvons pas voir ce qui absorbe si compl`etement les malades »(Freud, 1915a, p. 266).

Freud explique que face `a l’analogie des tableaux cliniques du deuil et de la m´elancolie, il est logique de supposer que la m´elancolie soit ´egalement due `a une perte d’objet, alors que selon les dires du sujet c’est une perte concernant le moi. « Dans le deuil le monde est devenu pauvre et vide, dans la m´elancolie c’est le moi lui-mˆeme » (Freud, 1915a, p. 266). Ceci donne lieu `a une contradiction entre le tableau clinique et ce qui semble se jouer psychiquement. Ce paradoxe est expliqu´e par Freud par le fait que tr`es souvent les auto-reproches les plus s´ev`eres s’appliquent tr`es mal `a la personne qui les formule, mais qu’avec quelques modifications elles pourraient s’appliquer `a une autre personne de l’en- tourage : « ainsi on tient en main, dit-il, la clef du tableau clinique lorsqu’on reconnaˆıt que les auto-reproches sont des reproches contre un objet d’amour, qui sont renvers´es de celui-ci sur le moi propre » (Freud, 1915a, p. 269).

Ceci explique ´egalement le fait que dans la m´elancolie on ne retrouve aucun sentiment de honte. `A l’inverse d’une personne qui serait accabl´ee de remords, le m´elancolique trouve de la satisfaction `a s’exposer `a nu, `a d´eplorer ses malheurs aux yeux de tous. Puisque les paroles de d´epr´eciation sont en r´ealit´e prononc´ees `a l’encontre d’un autre il n’y a pas de raison d’en avoir honte soi-mˆeme.

Cependant le m´ecanisme m´elancolique met en ´evidence un clivage du moi dans lequel une partie du moi sadise l’autre partie. Freud dit alors que l’instance qui critique pourrait ˆetre autonome du moi et la nomme « conscience morale ». Il est sur le point de th´eoriser la seconde topique et nous en voyons d´ej`a ici le prototype du surmoi. Tout cela permet de comprendre la m´elancolie de cette fa¸con : il y avait une liaison de la libido `a une personne. Du fait d’un pr´ejudice r´eel ou d’une d´eception cette relation est mise `a mal. Au lieu de retirer la libido de l’objet et de la d´eplacer sur un autre objet, ce qui est habituellement le cas, le r´esultat dans le cas de la m´elancolie est diff´erent.

L’investissement d’objet, apparemment peu r´esistant est supprim´e mais la libido libre est alors retir´ee dans le moi par identification `a l’objet abandonn´e : « l’ombre de l’objet tomba ainsi sur le moi (Freud, 1915a, p. 270)». Le moi est alors totalement identifi´e `a cet objet et est jug´e par la conscience morale, de la mˆeme fa¸con qu’un objet. Ainsi une perte d’objet s’est transform´ee en perte du moi et a entraˆın´e un clivage du moi modifi´e par identification `

a l’objet.

Pour que ceci advienne, explique Freud, il faut qu’il y ait d’une part une forte fixation `a l’objet d’amour, mais d’autre part une faible r´esistance de l’investissement de l’objet.

Cette contradiction semble exiger, comme l’a judicieusement remarqu´e O.Rank, que le choix d’objet se soit produit sur une base narcissique de sorte que l’investissement d’objet, si des difficult´es s’´el`event contre lui, puisse r´egresser jusqu’au narcissisme. (. . . ) la relation d’amour n’a pas `a ˆetre abandonn´ee. (Freud, 1915a, p. 270)

Manie du deuil

Le deuil peut aussi ´evoluer vers un mode maniaque. Le sujet d´enie alors la mort de l’ˆetre aim´e ou d´enie tous les liens qui l’unissaient `a l’objet. Klein d´ecrit un ph´enom`ene de triomphe sur le mort. « Ce sentiment de triomphe se rattache in´evitablement au deuil normal lui-mˆeme et a pour effet de retarder le travail du deuil, ou plutˆot d’accroˆıtre les dif- ficult´es que rencontre la personne en deuil et la souffrance qu’elle ´eprouve » (Klein, 1940, p. 352). C’est ce sentiment de triomphe qui peut prendre la forme d’´etats maniaques. N. Abraham et Torok d´ecrivent ´egalement ce qu’ils nomment la maladie du deuil.

Ce n’est non pas comme on pourrait le penser, l’affliction caus´ee par la perte objectale elle-mˆeme, mais le sentiment d’un p´ech´e irr´eparable : p´ech´e d’avoir ´et´e envahi de d´esir, d’avoir ´et´e surpris par un d´ebordement de la libido, au moment le moins convenable, au moment o`u il sied de s’affliger et de s’abandonner au d´esespoir. (N. Abraham & Torok, 1987, p. 232)

Pour aborder l’œuvre de N.Abraham et Torok il nous faut tout d’abord nous confronter aux concepts d’incorporation et d’introjection car « quiconque aborde le probl`eme du deuil ou de la d´epression est requis de traverser un terrain notionnel plein d’embˆuches, celui de l’introjection » (N. Abraham & Torok, 1987, p. 233). La perte objectale et le trauma qu’elle implique induit une premi`ere r´eponse, celle de l’incorporation dans le moi. Le moi s’identifie partiellement `a l’objet incorpor´e ce qui permet une temporisation dans l’attente de pouvoir r´e´equilibrer l’´energie psychique et redistribuer la libido. « A d´efaut de pouvoir liquider le mort et d´ecr´eter d´efinitivement : « il n’est plus », l’endeuill´e le devient pour soi mˆeme et, par l`a, il se donne le temps d’´elaborer, peu `a peu et pas `a pas, les effets de la

rupture » (N. Abraham & Torok, 1987, p. 234).

Les auteurs s’attachent `a distinguer les concepts d’incorporation et d’introjection qui ne sont pas habituellement diff´erenci´es. Pour Ferenzci, l’introjection comporte trois points : l’extension des int´erˆets auto-´erotiques, l’´elargissement du moi par la lev´ee des refoulements, l’inclusion de l’objet dans le moi. Il s’agit d’un enrichissement et un ´elargissement du moi par l’introduction des « pulsions et de leurs vicissitudes » dont l’objet n’est que le m´ediateur. L’introjection op`ere en va et vient entre le narcissique et l’objectal « elle transforme des incitations pulsionnelles en d´esirs, en fantasmes de d´esir et par l`a les rend aptes `a recevoir un nom et droit de cit´e et `a se d´eployer dans le jeu objectal » (N. Abraham & Torok, 1987, p. 236). L’incorporation quant `a elle suppose pour entrer en action la perte d’un objet. « Elle a pour but de recouvrer, sur un mode magique et occulte, un objet qui, pour une raison, s’est d´erob´e `a sa mission : m´ediatiser l’introjection du d´esir » (N. Abraham & Torok, 1987, p. 237). Le processus d’incorporation se rapporte explicitement `a l’enveloppe corporelle (prototype de toute s´eparation entre un int´erieur et un ext´erieur), tandis que l’introjection est plus large se rapportant au psychisme et aux instances. Ainsi on peut parler d’introjection dans le moi, dans l’id´eal du moi.

Nous pouvons donc revenir `a la maladie du deuil au vue de ces deux notions. Les auteurs expliquent que

L’accroissement libidinal (. . . ) apparaˆıt comme une tentative d’introjection in extre- mis, comme une brusque r´ealisation amoureuse avec l’objet (. . . ) Face `a l’imminence, au risque qu’il ne fut trop tard, le moi a r´egress´e `a un niveau ancien, celui de la satisfaction hallucinatoire. L`a l’introjection et l’incorporation constituaient encore les deux faces d’un mˆeme m´ecanisme. (. . . ) L’accomplissement hallucinatoire exulte dans l’orgasme. (N. Abraham & Torok, 1987, p. 241-242)

Face `a ce ph´enom`ene il y a un refoulement imm´ediat et une condamnation explicite. Nous pouvons ´egalement revenir bri`evement sur les « calculs inconscients » dont parle Bydlowski et que nous avons d´ecrit plus haut. N. Abraham et Torok expliquent cette « comm´emora- tion anniversaire involontaire » par le fait que le refoulement conserve pr´ecieusement dans l’inconscient un « cadavre exquis » dont le moi « n’aura cesse de rechercher la trace dans l’espoir de le faire revivre un jour ». Cette comm´emoration « exemplarise la reviviscence du monde inoubliable o`u la mort de l’objet permit la conquˆete magique dans l’exaltation de l’orgasme »(N. Abraham & Torok, 1987, p. 243).

2.2

Sp´ecificit´es du deuil pr´enatal

Comme nous l’avons vu le deuil est un temps de crise psychique. Une crise, certes, mais une crise qui en s’att´enuant, dans les cas heureux, s’av`ere ˆetre maturative. Il en va de mˆeme, nous l’avons vu aussi en premi`ere partie de cette revue de la litt´erature, pour la grossesse. La grossesse est aussi une crise (Bibring, 1961) : un temps qui comporte de multiples remaniements et qui donne lieu `a des ´etats mentaux qui seraient dans d’autres ´etapes de la vie, consid´er´es comme pathologiques. Une « crise » est « une p´eriode d´ecisive ou p´erilleuse de l’existence ; un changement subit, souvent d´ecisif » (Le petit Larousse, 1995). Le terme de crise, utilis´e dans un contexte d’´etape de vie courante, vient en rappeler

la complexit´e de ses processus psychiques, nous renvoyant notamment au concept de crise d’adolescence1. Seulement, qu’advient-il de ces ´etats mentaux particuliers lorsqu’ils se

superposent ? Lorsque l’objet mˆeme, source de tant de remaniements, vient `a se d´erober et `a confronter la m`ere `a sa perte ? « Si elle intervient pendant la grossesse, la perte de l’enfant est une crise dans une crise » ´ecrit Leon (1996a, par11). Nous allons voir ce qu’il y a de sp´ecifique au deuil d’un fœtus, d’un b´eb´e en devenir, d’un enfant du dedans. Notons que le taux de mortinatalit´e en France s’´elevait en 2012-2013 `a 8,9/1000 naissances (Mouquet & Rey, 2015). La mort d’un b´eb´e du dedans est une ´epreuve particuli`erement bouleversante pour les parents en devenir. C’est l’impensable qui se produit, les g´en´erations qui s’inversent, la mort qui survient l`a o`u on attendait la naissance d’une vie. Si elle ´etait plus courante jusqu’`a il y a un si`ecle, sa survenue ´etait quand mˆeme une ´epreuve.

Les h´esitations s´emantiques concernant ces accidents (accouchement ? expulsion ? op´eration ? extraction ?), et les modifications r´ecentes, mais encore impartfaites, des textes de loi concernant le statut juridique du fœtus t´emoignent des difficult´es sociales et m´edicales de repr´esentation de cet ´ev´enement et entrent en r´esonnance avec les ´

eventuelles difficult´es psychologiques des femmes confront´ees `a cette ‘naissance-mort’ particuli`ere. (Nezelof, 2005, p. 5)

Aucun terme n’existe pour parler de ces parents « d´esenfant´es » (Nezelof, 2005, p. 6), ce qui