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Grossesse suivante, r´ esolutive ou empˆ echant le processus de deuil ?

2.4 Une grossesse apr` es un deuil pr´ enatal

2.4.2 Grossesse suivante, r´ esolutive ou empˆ echant le processus de deuil ?

Il a souvent ´et´e not´e par les auteurs qu’une grossesse apr`es une perte pr´enatale peut empˆecher le processus d’´elaboration du deuil et conduire `a sa n´egation. Certains pensent qu’une nouvelle grossesse agit comme un m´ecanisme de d´eni du deuil et donc en bloque son processus (Rowe et al., 1978). Scheidt a r´ealis´e plus r´ecemment une ´etude qui montrait une r´eactualisation du deuil durant une nouvelle grossesse pour un tiers des femmes de l’´echantillon (Scheidt et al., 2008). Cependant « la grossesse ne s’oppose pas toujours au travail de deuil comme cela a ´et´e fr´equemment d´ecrit » (Soubieux, 2013, p. 147). Jensen et Zahourek (1972) consid`erent d’ailleurs la grossesse suivante comme un indice de r´esolution du deuil. Certaines ´etudes mettent en ´evidence une diminution des scores de deuil `a la perinatal grief scale (Barr, 2006; Lin & Lasker, 1996). L’´etude r´ealis´ee par Barr souligne bien le lien entre diminution du score de deuil et nouvelle grossesse par rapport `a des femmes ayant seulement le projet d’avoir un autre enfant et pour qui le score de deuil reste plus ´elev´e. Les r´esultats des ´etudes sont donc contradictoires.

Peut-ˆetre que la question devrait ˆetre pos´ee diff´eremment : la grossesse suivante a-t-elle une fonction dans le travail du deuil pr´enatal ? Soubieux, au regard de sa clinique constate que la nouvelle grossesse peut venir r´eveiller le travail de deuil et par un processus cr´eatif le r´e´elaborer. D’autres auteurs (Bur, 1996; Nezelof, 2009; Nezelof et al., 2006) ont ´egalement not´e les aspects r´eorganisateurs de la nouvelle grossesse, tant au niveau de l’´elaboration du deuil que de la r´eparation narcissique pour la femme qui peut se sentir m`ere. « La grossesse apporte un espoir et lutte contre l’immobilisme psychique » (Soubieux, 2013, p. 147). Nous pouvons donc dire que, si la grossesse suivante le r´eactive, elle peut aussi ˆetre la voie pour ´elaborer un deuil qui aurait pu rester fig´e.

2.4.3 Sp´ecificit´e de la grossesse suivant un deuil pr´enatal

La nouvelle grossesse, `a la fois porteuse de l’espoir de vie signe aussi la virtualit´e d’un nouveau drame. Elle est alors souvent re¸cue par les couples avec cette ambivalence. La joie est parfois pr´edominante, pour d’autres c’est la tristesse qui d´eborde. C’est « une tˆache `a accomplir » (Squires, 2004) parfois un « v´eritable chemin de croix `a accomplir » (Soubieux, 2008). Pour d’autres encore la surprise vient parler de ce v´ecu paradoxal. L’annonce de cette nouvelle grossesse est le plus souvent re¸cue sans plaisir et avec ambivalence. Elle est toujours v´ecue comme une grossesse `a risque. Un certain nombre d’´etudes ont port´e sur la grossesse suivant une IMG. Ces recherches sont principalement dans un r´ef´erentiel

psychiatrique ou psychologie m´edicale. Nous compl`eterons les donn´ees de la litt´erature par les quelques r´ef´erences en psychopathologie psychanalytique portant sur ce sujet. Nous aborderons dans un premier temps l’impact sur le corps. Puis nous nous pencherons sur les affects d´epressifs et l’angoisse. Nous aborderons ´egalement la description d’´etats de stress post-traumatiques. Afin d’´eviter les redondances nous aborderons la honte et la culpabilit´e dans ce contexte uniquement dans le chapitre concern´e (voir Chapitre 3).

2.4.3.1 Le corps

Sans faire ici une revue des complications obst´etricales qui peuvent ˆetre retrouv´ees lors de cette grossesse `a haut risque psychique, il paraˆıt important d’en signaler les plus fr´equentes mais ´egalement de rapporter quelques ´el´ements r´ecurrents dans le discours des femmes sur le v´ecu physique de leur grossesse.

Les sensations corporelles que d´ecrivent ces femmes ne sont pas celles d’une grossesse or- dinaire pour la grande majorit´e d’entre elles. Ces sensations peuvent ˆetre empreintes de l’id´ee terrifiante d’avoir port´e la mort dans son propre corps et d’en garder encore les stigmates : « quelque fois le ventre est v´ecu comme un v´eritable tombeau qui ne peut que donner la mort [. . . ] Tout semble immobile. Le ventre est `a peine arrondi, inerte. Le corps n’est que lourdeur, ´epuisement, empˆatement » (Soubieux, 2013, p. 143). Dans de rares cas, les sensations corporelles seront amplifi´ees, comme une preuve de la vie possible de ce nou- veau fœtus « le drame ant´erieur peut conduire `a vivre la grossesse avec plus d’intensit´e » (Soubieux, 2013, p. 143).

Il a ´et´e d´ecrit diverses manifestations lors de la grossesse suivant une mort in utero : « Le ventre qui reste d´esesp´er´ement plat, le verbe lent, une fatigue excessive, divers maux ´evoqu´es (. . . ) des hospitalisations fr´equentes, des menaces d’accouchement pr´ematur´es, le col qui ne s’ouvre pas lors du travail d’accouchement » (Squires, 2002, p.57). La grossesse sera plus fr´equemment accompagn´ee de comorbidit´es, telles un diab`ete gestationnel ou une hypertension art´erielle (Soubieux 2008). Les contractions ut´erines seront retrouv´ees tr`es fr´equemment ainsi que les menaces d’accouchement pr´ematur´e (Squires, 1999) ; ces derni`eres venant ainsi traduire dans le corps cette crainte de la femme de ne pouvoir ˆetre « suffisamment contenante » pour un ˆetre humain `a venir. `A cela peut aussi s’ajouter la symptomatologie physique d’une d´epression (fatigue, ralentissement, troubles du sommeil etc.) (Hunfeld et al., 1997).

Nous avons retrouv´e peu de publications sur les complications obst´etricales de ces gros- sesses. Ceci nous semble ˆetre une piste d’´etude int´eressante. Il serait par exemple int´e- ressant de recenser le nombre d’accouchement par c´esarienne lors d’une grossesse faisant suite `a une mort pr´enatale, ce qui symboliquement dans ce contexte ne serait pas neutre.

2.4.3.2 Affects d´epressifs

Plusieurs auteurs ont montr´e que les symptˆomes d´epressifs ´etaient plus fr´equents et plus intenses lors d’une grossesse qui suivait un d´ec`es p´erinatal que lors d’une grossesse men´ee `

a terme (DeBackere et al., 2008). Les ´echelles utilis´ees pour mesurer la d´epression diff´e- raient selon ces ´etudes ce qui renforce la valeur de ce r´esultat (Beck Depression Inventory, Edinburgh Prenatal Depression Scale, Center for Epidemiologic Studies-Depression Scale).

Hughes et ses collaborateurs (1999) ont mis en ´evidence que les symptˆomes d´epressifs sont les plus intenses au troisi`eme trimestre de la grossesse suivante. Enfin, les femmes ayant fait l’exp´erience d’une perte fœtale sont sujettes `a des d´epressions de dur´ee plus longue pouvant aller jusqu’`a un an (Davis et al., 1988). « La nouvelle grossesse est souvent cach´ee et se d´eroule dans le silence » (Soubieux, 2013, p. 140). Les parents ne se sentent plus tout `

a fait capables de mettre au monde un enfant bien portant. Ils ont peur de d´ecevoir leurs familles une nouvelle fois et « leur sentiment d’estime de soi est perturb´e » (Soubieux, 2008). Souvent, leur entourage ne parle plus de la grossesse d’avant, voulant se focaliser sur l’avenir. Les femmes vivent alors cette nouvelle grossesse dans une profonde solitude int´erieure. Nous pouvons parler ici d’affects d´epressifs li´es `a la perte pr´enatale qui vont se manifester au moment de la grossesse suivante :

Cette nouvelle conception apparaˆıt fig´ee par la perte (. . . ) Le masque de la grossesse s’efface devant un visage immobile, inquiet. Des femmes habituellement coquettes ne se fardent plus, vˆetues de couleurs sombres, dans des tenues peu recherch´ees. Un certain ralentissement, un ´emoussement des affects est visible. (Squires, 2004, p. 276) Cet ´etat affectif marque la sp´ecificit´e du deuil pr´enatal avec tout son potentiel m´elanco- lique. Dans son « mod`ele multidimensionnel », Leon (1995) explique de quelle fa¸con la grossesse r´ealise des ambitions narcissiques cruciales. Tout d’abord, elle favorise le senti- ment d’omnipotence, `a la fois dans l’acte de cr´eer mais ´egalement par le fait de devenir m`ere, empreinte de toute puissance dans l’esprit de l’enfant. La grossesse est ´egalement un moment d’affirmation de sa f´eminit´e. Et enfin, elle sert de « d´efense narcissique vitale contre l’angoisse de mort grˆace `a un sentiment d’immortalit´e r´ealis´e par la perp´etuation biologique dans la prochaine g´en´eration » (Leon, 1996a, par. 18). Lorsqu’une malforma- tion est annonc´ee et qu’elle donne lieu `a la d´ecision d’interrompre la grossesse, beaucoup de femmes, note Soul´e, expriment une volont´e forte que l’interruption ait lieu le plus ra- pidement possible (Soubieux et Soul´e, 2005). « On assiste dans ces cas `a une situation apparemment contradictoire entre l’intense investissement psychique du fœtus jusque-l`a et l’imm´ediat d´esinvestissement dont il semble pourtant pouvoir faire l’objet. Et c’est l`a que la comparaison nous semble pertinente avec l’objet m´elancolique, porteur, selon S. Freud, d’une contradiction analogue » (Golse, 2002, p. 25). Il est alors souvent question pour l’´equipe soignante d’aider les parents `a r´einvestir et r´ehumaniser leur enfant. C’est en effet ce qui sera porteur d’une possibilit´e plus importante d’´elaboration du deuil. Soubieux note qu’en psychoth´erapie, aider les femmes `a objectaliser l’enfant, passer du statut narcissique « j’´etais enceinte, je ne le suis plus », au statut objectal « j’avais un enfant, il n’est plus », leur permet d’´elaborer un deuil qui peut dans le cas inverse rester bloqu´e ou prendre une tournure m´elancoliforme. Sans aller jusqu’`a un r´eel ´etat m´elancolique ou une d´epression, il apparaˆıt que lors de la grossesse qui suit un deuil pr´enatal les affects de tristesse et de perte de l’estime de soi sont souvent r´eactiv´es et ont une importance majeure dans le v´ecu psychique des femmes. De Wailly (2015) a r´ecemment montr´e que si l’´etat m´elancolique accompagne une absence d’´elaboration du deuil, la d´epressivit´e `a l’inverse « refl`ete les remaniements inh´erents `a la grossesse ainsi que le travail psychique li´e `a l’´elaboration pro- gressive de la perte, contribuant `a donner une place au fœtus/b´eb´e attendu » (De Wailly, 2015, p. 473). La d´epressivit´e est alors consid´er´ee comme un marqueur de l’´elaboration du

deuil.

2.4.3.3 Angoisse

Les ´etudes de psychologie m´edicales ont mesur´e que l’anxi´et´e est significativement plus ´elev´ee chez la majorit´e des femmes (64.7%) lors de la grossesse qui suit une perte p´eri- natale (DeBackere et al., 2008). Une ´equipe am´ericaine a affin´e ces donn´ees en mettant en ´evidence que le niveau d’anxi´et´e ´etait sup´erieur en cas d’ant´ec´edent de perte p´erina- tale mˆeme si le niveau « d’optimisme » concernant la grossesse en cours ´etait similaire (Cote-Arsenault, 2003). Cette mˆeme ´equipe a d´emontr´e que l’anxi´et´e lors de la grossesse suivante ´etait d’autant plus ´elev´ee que la m`ere assignait une personnalit´e au fœtus d´ec´ed´e (Cote-Arsenault & Dombeck, 2001). Armstrong et Hutti (1998) quant `a eux, ont mis en ´evidence d`es leurs premiers travaux que le niveau d’anxi´et´e pendant la grossesse qui suivait la mort pr´enatale ´etait inversement li´e au degr´e d’attachement pr´enatal, concept que nous d´efinirons plus loin. Cela signifie donc que moins le b´eb´e `a venir peut ˆetre investi, plus les manifestations anxieuses sont ´elev´ees.

D’autre part, les ´etudes s’int´eressant `a l’´evolution de l’anxi´et´e en fonction du stade de la grossesse ont conclu que l’anxi´et´e ´etait plus ´elev´ee au premier trimestre qu’au troisi`eme trimestre, que la femme ait un ant´ec´edent de d´ec`es p´erinatal ou non (Tsatsara & Johnson, 2006; Cote-Arsenault, 2007).

newline Enfin, le degr´e d’anxi´et´e `a la grossesse suivant une perte p´erinatale est plus ´elev´e si le d´elai entre les deux grossesses est inf´erieur `a douze mois (P. M. Hughes et al., 1999).

Du point de vue psycho-dynamique, l’angoisse semble ˆetre l’´el´ement clinique majeur des grossesses suivant une mort in utero : « L’absence de joie s’accompagne d’une tension extrˆeme `a la crainte de la r´ecidive » (Squires, 2004, p. 276). « Les couples s’empˆechent de se projeter dans le futur comme s’ils cherchaient `a s’immuniser contre un ´ev´enement dont ils redoutent l’issue. Ils luttent contre le d´esir de s’attacher `a cet enfant qui pourrait se d´erober `a nouveau » (Soubieux, 2013, p. 140). Comme nous l’avons vu, il a ´et´e retrouv´e dans de nombreuses ´etudes (Armstrong & Hutti, 1998; Tsatsara & Johnson, 2006; Cote- Arsenault, 2007, 2003) que le niveau d’angoisse et d’anxi´et´e est beaucoup plus ´elev´e que dans des grossesses sans ant´ec´edents. Elle est d’autant plus vive `a l’approche des dates anniversaire, tant sur le calendrier que dans les stades de la grossesse suivante (terme ou date de la mort). « L’angoisse de revivre la mˆeme chose, l’angoisse de d´ecouvrir les mˆemes probl`emes, l’angoisse de ne plus sentir le b´eb´e bouger, l’angoisse de le voir im- mobile `a l’´echographie (. . . ) l’angoisse de ne jamais y arriver » (Soubieux, 2013, p. 140) Pour cause, ces femmes sont porteuses de l’immense responsabilit´e de devoir mettre au monde un enfant bien portant. Le v´ecu global de la grossesse est alors teint´e par cette angoisse. Le ressenti des mouvements fœtaux par exemple n’est pas source de projection et de rˆeverie. Ces mouvements sont marqueurs de la vitalit´e du fœtus et sont source de panique lorsqu’ils s’arrˆetent.

Squires remarque, quant `a elle, que l’angoisse n’est pas sans lien avec les affects d´epres- sifs. C’est lorsque les femmes commencent `a ˆetre rassur´ees, par les examens m´edicaux, sur l’issue positive de cette nouvelle grossesse qu’elles semblent reprendre goˆut `a la vie. Cet

´etat est n´eanmoins fragile et soumis aux inqui´etudes de chaque nouvel examen, de chaque nouvelle date.

2.4.3.4 Stress Post traumatique

L’´etat de stress post-traumatique se caract´erise par un ensemble de symptˆomes surve- nant apr`es un ´ev´enement traumatique au cours duquel le sujet s’est senti menac´e dans son int´egrit´e physique et psychique. On note ainsi principalement la pr´esence de souvenirs r´ep´etitifs, de flashs associ´es au sentiment de revivre l’´ev`enement traumatique et de mani- festations neurov´eg´etatives de stress (hyper vigilance, difficult´e d’endormissement). Une ´etude am´ericaine s’est int´eress´ee `a la pr´esence ´eventuelle d’un ´etat de stress post- traumatique `a la grossesse suivant un b´eb´e mort-n´e et a constat´e que des symptˆomes post-traumatiques ´etaient pr´esents de fa¸con significative jusqu’`a la naissance du nouveau b´eb´e (Turton et al., 2001). De plus, il a ´et´e constat´e qu’un d´elai court entre la perte et la nouvelle grossesse augmente le risque d’´etat de stress post traumatique.