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2-La vérité et la liberté de penser : qu’est-ce que la vérité pour La Motte ?

La Motte ne définit pas le vrai de manière abstraite. Si l’on condense son discours sur la vérité dans la fable, le vrai c’est ce « que l’on est surpris de trouver vrai quand on y pense ». Le vrai est une « semence » chez chacun et potentiellement « reconnaissable à tous ». La Motte accepte donc le principe que chaque personne pense d’une manière différente des autres. Le vrai a plusieurs facettes et chacun en voit une c’est ainsi le vrai est ce que l’on pense vrai. Il ne faut pas dire non plus que c’est vrai parce que ceux qui ont été avant nous ont dit que c’était vrai. Il faut voir ici une critique contre les préjugées, les idées admises sans examens, contre les stéréotypes. Une idée ne se résume pas à une simple étiquette, qui revient à juger préalablement une idée sans posséder les connaissances suffisantes pour évaluer la situation. La Motte insiste sur l’importance de la réflexion qui fait travailler l’esprit et ne le laisse pas inactif. La vérité est une pensée à mettre en action, qui implique une relation proportionnée entre ce qui est pensé et ce qui est fait. Selon La Motte ce qu’on pense est vrai de fait. Mais ce n’est pas vrai pour tous, c’est une chose relative. Pour La Motte la vérité n’est rien d’autre que ce qui permet que « tout le monde vive », ce qui est utile, ce qui est avantageux. Une vérité psychologique ou intellectuelle, c’est une vérité qui nous procure un sentiment de rationalité.

Ce que l’on appelle vérité n’est donc que le résultat à laquelle nous arrivons quand nous faisons une erreur ou un bien. L’expérience est au service de l’utilité, elle est nécessaire au développement personnel dans la vie.

Pour créer des vérités nouvelles, La Motte compte sur la logique d’Aristote sans en parler directement. Ce qui lui est intéressant c’est le système de raisonner et de penser : il construit la fable à partir des vérités qui sont le résultat des données (prémisses) posée.

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II-La moralité et la fable

Nul ne met en doute, au XVIIIe siècle, que la fable ne soit conçue pour l’édification

morale : toute littérature, en ce temps- là, pour être considérée comme acceptable, doit contribuer au perfectionnement moral du lecteur et à sa bonne insertion dans la société. La notion centrale est donc celle d’utilité morale, qui s’est imposée à tous les écrivains et même à La Fontaine, contraint d’ajouter des leçons explicites de morale à ses poèmes conçus, sans doute, au départ, comme des divertissements mondains. De sorte que, chez lui, la moralité qui vient conclure la fable, apparaît, sinon comme un alibi grossier destiné à inscrire le texte dans un univers réagi par une conception moralisatrice de la littérature, du moins comme un énoncé moralisateur souvent paradoxal ou décalé par rapport au récit qui l’amène. Il s’agit donc d’un glissement d’une écriture qui se contentait de promener un regard réaliste ou ironique sur le quotidien à une textualité ambiguë, dont la leçon, ajoutée comme un accessoire, a souvent tendance à brouiller le sens.

Au XVIIIe siècle la question se complique encore. De plus en plus, les auteurs, non

contents de finaliser moralement leur écriture, considèrent la confection du recueil de fables comme une entreprise pédagogique qui constitue un véritable « cours de morale ». Cette posture exclut de fait toute ambiguïté : le texte doit fournir sa propre interprétation de manière claire et démonstrative, le lecteur ne pouvant pas être d’un avis opposé à celui que lui impose le fabuliste par rapport à La Fontaine. La connivence entre le lecteur et le fabuliste change de nature : elle n’est plus de l’ordre de la distanciation amusée, mais de l’approbation.

Nous allons nous efforcer d’éclairer cette conception de la moralité en nous demandant quel usage La Motte entend donner à la morale dans les fables et comment il s’y prend pour introduire ses leçons. Pour cela, il importe de se rappeler les conceptions antérieures, chez les fabulistes anciens et chez La Fontaine : Avant La Fontaine, la fable (ou apologue) est toujours conçue en fonction de sa moralité : ce que l’on veut démontrer dicte donc le recours à la narration allégorique qui y conduit. La Fontaine, quant à lui, comme nous l’avons déjà dit, est d’abord poète, avant d’être moraliste. Il n’élimine pas l’enseignement moral de ses textes mais, malgré des déclarations qui se réfèrent à l’utilité de la leçon, il n’en fait pas la priorité de son écriture.

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III-La Motte et la composition de la moralité

L’élaboration de la fable chez La Motte commence par le travail de la moralité : « La vérité une fois choisie, il faut la cacher sous l’Allégorie281». Cette moralité doit se manifester

tout au long de la fable. Le fabuliste s’interroge sur sa composition: faut-il la prononcer, ou la supprimer et l’ignorer ? Au début de son discours, La Motte affirme qu’il vaut mieux ne pas exprimer la moralité ; puis il se justifie de l’avoir exposée à la fin de ses fables et il explique ses raisons.

Pour lui, il ne faut pas formuler la moralité, ne pas la rendre visible mais la rendre sensible sans la dévoiler, c’est à dire ne pas l’énoncer directement, ni au début de la fable ni à sa fin. Il ne faut pas expliquer la vérité immédiatement. Il est important de faire attendre jusqu’à la fin tout en permettant au lecteur de la dégager tout seul. Le travail du lecteur est de dégager la vérité. La Motte montre clairement que la moralité dans la fable doit être claire et distinguée : il dit qu’« il est bon de suppléer par une réflexion distincte282» à ce que

l’indifférence des lecteurs laisserait échapper. Brumoy dans le Traité de la poésie française du père Mourgues, précise bien ce que la moralité peut être par rapport au corps de la fable. « Ce qu’on appelle moralité est une sentence courte, qui exprime vivement et précisément la vérité qu’on a exposée plus au long283».

Vu que La Motte veut définir le genre de la fable, il semble qu’il donne une certaine importance à la forme : la forme définit-elle le genre comme c’est le cas avec les maximes ? La présence explicite d’une leçon morale à la fin indique-t-elle que l’on a affaire à une fable ? L’argument ne convainc pas entièrement si nous le prenons par l’absurde : est-ce que mettre la leçon morale au début ou au milieu est un signe que le texte n’est pas une fable ?

Pour répondre à cette question, nous nous référons à Joannet qui dans ses Eléments de Poésie Française va distinguer la fable de la parabole par cette moralité :

La moralité est une courte explication de l’allégorie que la Fable renferme, et une application de cette allégorie à nos mœurs ; la parabole n'a pas pour l'ordinaire de moralité

séparée du fait. Elle y est rarement nécessaire pour l'intelligence de là Fable ; puisque la

parabole renferme presque toujours une sentence relative aux mœurs et qui s'explique assez

d'elle-même. II arrive cependant quelquefois qu'on mette une sentence dans la bouche des animaux, comme dans la fable mixte, sentence qui n'a quelquefois qu'une relation indirecte à

nos devoirs ; et alors il est bon d'indiquer le rapport qu'on lui trouve avec nos mœurs. Dans

l’apologue et la fable mixte, on peut supprimer la moralité dès que l’application de l’allégorie est

tout-à-fait sensible284.

281 Houdar de La Motte, op.cit., « Discours sur la fable », p. 17. 282 Houdar de La Motte, op.cit., « Discours sur la fable », p. 18.

283 Brumoy, op.cit., p. 291-292.

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Si la moralité chez La Fontaine est tantôt explicite et tantôt implicite, La Motte affirme qu’

On ne devrait l’exprimer ni à la fin ni au commencement de la fable. C’est à la Fable même à faire naitre la vérité dans l’esprit de ceux à qui on la raconte, autrement le précepte est direct et à découvert, contre l’intention de l’Allégorie qui se propose de le voiler285.

L’Allégorie qui devrait cacher la vérité ne la cache pas vraiment. Autrement dit, La Motte qui se soucie toujours de la réception de la leçon morale par le lecteur et de sa compréhension, revendique toujours une allégorie assez transparente qui n’est là que pour amuser, plaire et surtout pour ménager l’amour propre du lecteur. Ainsi elle ne prend pas la fonction ou la forme d’une devinette ou d’un emblème qui réclame une solution ; l’allégorie chez La Motte est un maquillage pour rendre la vérité belle et vraie, selon le principe de l’assimilation. Énoncer la moralité n’est pas une règle obligatoire dans la poétique de la fable, par contre, il est préférable de la déclarer et de la rendre bien claire. La Motte justifie sa préférence de l’exprimer par la question de la réception :

Comme nous avons affaire à toutes sorte de lecteurs ; que nous sommes trop fins pour les uns, tandis que nous sommes trop simples pour les autres, et qu’il n’est pas possible de se proportionner tout à la fois à tous ; nous faisons bien d’indiquer le fruit de La Fable286.

Nous comprenons que l’énonciation de la moralité dépende du lecteur. Cette clarté de la moralité aide à éveiller l’attention du lecteur et à adapter le jugement que le fabuliste choisit comme édifiant.

Voilà comment Brumoy, dans son traité, aborde cette question de mentionner ou supprimer la moralité : il se demande s’il est mieux de la placer à la tête ou à la queue de la fable, ou enfin de l’omettre et il répond :

Les trois sont bons, suivant la manière dont la fable est traitée. Si la vérité qui pourrait blesser, était trop nue ; si enfin l’auteur sent que le plaisir de deviner saisira plus vivement son lecteur, que la sentence même, pour lors il est mieux de laisser la moralité287.

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