• Aucun résultat trouvé

discours dans les recueils du XVIIIe siècle

L’on sait que La Fontaine n’a pas fourni de discours sur la genèse de ses fables, ni n’a donné de théorie explicite ou de « poétique » systématique sur l’apologue. Il faut donc pour les successeurs s’appuyer sur ses textes pour y trouver des principes, ce qui autorise une plus grande liberté critique. La fable est par exemple un genre relativement moins régulé et censuré que le théâtre avec ses théoriciens officiels. Les successeurs de La Fontaine ont voulu combler cette absence de théorie et ont écrit des discours pour définir la fable comme genre. Leurs discours ressemblent aussi à des méthodes, qui donnent les règles de fabrication des fables. Cette poétique a plusieurs fonctions, comme nous allons le voir plus tard, notamment d’aider à mieux comprendre la nature de la fable, sa structure et la manière de la lire. Pour l’écrivain, ces discours sont des méthodes d’apprentissage qui aident à écrire des fables, mais pour le chercheur actuel ce sont des guides qui aident à lire ces dernières, à comprendre le rôle central qu’a eu La Fontaine, à comprendre la littérature du XVIIIe siècle dans son contexte. Aucun de

ces discours ne se prive de consacrer un moment pour parler de La Fontaine, pour se justifier d’écrire des fables après lui. Dans la fable, il s’agit toujours de comprendre La Fontaine et de se définir par rapport à lui.

Nous pouvons classer plusieurs attitudes critiques. D’un côté, La Motte prend la plume pour faire ce que son prédécesseur n’a pas fait, c'est-à-dire pour prescrire des règles de fabrication des fables. De l’autre côté, les auteurs cherchent à dégager la poétique de la fable à partir des fables de La Fontaine comme d’Ardène144. Ce qui distingue le premier, La Motte,

c’est qu’il ne cherche pas à dégager la poétique de La Fontaine. Mais il veut inventer sa propre poétique en travaillant sur la théorie de la fabrique de la fable. Nous pouvons dégager la poétique de la fable chez lui à partir de son œuvre, où il nous donne des explications sur le travail et la technique d’écriture de la fable.

L’objectif de ce chapitre est donc d’étudier comment La Motte puis ses successeurs, les autres auteurs de recueils de fables au XVIIIe siècle, ont élaboré un discours poétique général,

à travers des préfaces et des paratextes, sur l’écriture de la fable. Cette étude suppose qu’il y a

144 Nous avons Patrick Dandrey qui dégage la poétique de la fable chez La Fontaine à partir de

ses écrit théoriques (« préface »,) il annonce que son travail, La fabrique des fables est une tentative de

reconstituer pas à pas la poétique de La Fontaine en analysant les conditions dans lesquelles La Fontaine a réinventé les apologues ésopiques. Patrick Dandrey dans La fabrique des fables, dans l’atelier

de poète, il cherche à fouiller ou à découvrir les matériaux que La Fontaine utilise pour construire ses fables.

82

un lien intrinsèque entre la fabrique et la théorie de la fable et que le genre de la fable a évolué depuis La Fontaine.

I-Jeux et enjeux de la préface ou du discours

145

La préface fait partie de ce que Gérard Genette appelle le paratexte, c’est-à-dire « l’ensemble hétéroclite de pratiques et de discours de toutes sortes », qui forme une « zone de transaction » dans laquelle l’auteur agit « sur le public au service d’un meilleur accueil du texte et d’une lecture plus pertinente146». Parmi les moyens permettant d’infléchir ces phénomènes

médiateurs autant que la réception d’une œuvre, figure notamment la préface, qui a d’abord pour objectif d’encourager à une lecture de l’œuvre, et ensuite de garantir que cette lecture soit bonne, comme le disait Gérard Genette en 1987. Ainsi la préface joue un rôle important dans la réception d’une œuvre. La préface vise essentiellement deux buts : susciter l’intérêt du lecteur et lui permettre d’accéder au contenu de l’ouvrage de la façon la plus adéquate possible dit Madeleine Sauvé147.

Munie d’une préface, le texte s’approche du livre et le livre de l’œuvre. Autrement dit, une œuvre littéraire a recours à des éléments extérieurs à elle-même pour se situer, voire justifier son existence. Qu’est-ce donc que cette préface à la fois nécessaire et superflue au commencement d’un recueil de fable depuis La Fontaine ?

Nous allons voir que, dans un recueil de fables, après La Fontaine, la préface n’est jamais un texte superflu. Chez La Fontaine, le texte d’une fable est la création d’un poète qui écrit avec enthousiasme ses pensées. La préface lui sert seulement à se positionner par rapport aux lecteurs et aux autres écrivains. Il n’a pas besoin d’autres discours parce que la fable est le moyen d’expression naturel de sa pensée. En revanche chez La Motte, l’ensemble du discours et des fables fonctionne selon la modalité du précepte et de l’exemple. Le discours donne le précepte et les fables donnent l’exemple. L’idée de La Motte est que ses fables sont une illustration et une démonstration de ce qu’il prescrit dans son discours. Un cas contraire à La Motte est le discours de Florian chez qui le discours remplit le vide tout en disant que les discours n’ont pas d’utilité. Ces discours sont comme une immense prétérition. Il est donc important de s’attarder sur la question de la préface car chez le successeur de La Fontaine, La Motte, la préface se transforme en discours méthodique plus important que l’œuvre entière.

145 Voir à ce propos Ioana Galleron, « L'art de la préface au siècle des Lumières » Presses universitaires de Rennes, 12 juil. 2016.

146 GENETTE, Gérard, Seuils, Paris, Seuil, 1987, p. 8.

147 SAUVÉ, Madeleine, Qu'est-ce qu'un livre ? De la page blanche à l'achevé d'imprimer, Les Editions

83

Nous allons dégager la différence entre l’œuvre préfacée de La Fontaine et l’œuvre précédée par un discours préliminaire de La Motte.

II-La préface au XVII

e

et au début de XVIII

e

siècle

Placée en tête de l’œuvre, toute préface à la fin du XVIIe siècle a été considérée comme

une ouverture donnant une validité littéraire à tout ouvrage. Cette pratique du texte liminaire invite le lecteur à pénétrer dans le temple de l’œuvre littéraire. Pour comprendre le rôle d’une préface, il est intéressant de se rappeler qu’une pièce de théâtre à l’époque classique doit correspondre aux règles de l’époque et elle doit aussi répondre aux attentes du public. Puisque selon les règles classiques, une pièce de théâtre doit remplir son rôle de catharsis morale, Racine, par exemple, a écrit la préface de Phèdre pour justifier une utilité morale de cette pièce. Dans cette préface il nous explique que le malheur de Phèdre est fait pour détourner le spectateur d’avoir une conduite semblable. La préface de cette pièce lui confie une validité littéraire et une preuve que le théâtre ne corrompt pas les mœurs. Phèdre sans cette préface aurait risqué d’être refusée car elle représente un personnage qui incarne le mal, une femme adultère et incestueuse. Le rôle de la préface est de montrer que la pièce vise le perfectionnement moral des spectateurs. Ainsi Racine par cette préface prouve que son théâtre est légitimé par sa fin morale et que l’auteur répond aux exigences de son siècle148. Le

recueil des Fables choisies de La Fontaine aurait pu se passer de préface, étant donné que l’œuvre n’est pas particulièrement hermétique ou polémique. Le lecteur ordinaire d’aujourd’hui se passe facilement de cette préface. Or La Fontaine a tout de même écrit une préface, parce que la préface est nécessaire pour la publication des œuvres littéraires. C’est un des modes de la sociabilité littéraire. Le statut de l’auteur se manifeste dans les textes liminaires. Il s’agit d’y exposer les raisons qui ont motivé la publication du recueil.

148 Voir à ce propos Jean-Noël Pascal, « Sur les préfaces des premières éditions commentées de

Racine, de Luneau de Boisjermain (1768) à Étienne Aignan (1824) » L'art de la préface au siècle des Lumières » Presses universitaires de Rennes, 2007.

84

Outline

Documents relatifs