• Aucun résultat trouvé

Quoique La Fontaine eût été précédé par d’autres fabulistes qui ont écrit des fables versifiées et qui ont essayé de faire de la fable un poème234, ces fabulistes étaient si concis,

médiocres et sans fantaisie qu’on peut dire que c’est bien lui qui a inventé le genre de la fable, dans le sens où il a été le premier à savoir le pousser à ses plus grands effets. La Fontaine avait trouvé chez les premiers fabulistes des modèles de fables, mais il est le premier qui a exercé, sur le lecteur, le charme de l’étonnement. C’est La Fontaine qui a rapproché la fable de la poésie. Ainsi La Fontaine a le mérite de l’avoir inventé pleinement, parce qu’il l’a aussi perfectionné. Il a embelli le genre de la fable et a reçu un succès durable. La Fontaine a un beau naturel, une élégante incorrection, une négligence toujours justifiée par la grâce, comme l’indique la citation suivante :

Mais l’incorrection, mais la négligence sont cependant des défauts ? Sans doute ; mais il y a dans les Arts, comme dans toutes choses, des compensations : je laisse à l’imagination et aux sentiments, à expliquer la sorte de beauté inexplicable qu’on trouve dans de certains défauts, quand ils sont rachetés par des qualités aimables d’un ordre supérieur et d’un genre entraînant235.

Le mérite de la Fontaine est ainsi la grâce de son style qui en fait « le plus original de nos poètes du dix-septième siècle236 » selon l’expression de Saint Marc Girardin. L’originalité

de La Fontaine est de transformer la fable en genre poétique écrit en vers français. La Motte écrit ses fables en vers aussi, mais la caractéristique principale de ses fables est de transmettre une sagesse, non de travailler le vers. Il se justifie en renvoyant aux origines de la fable, le langage des dieux : « Ces récits ingénus qu’Apollon m’a dictés ». Cette réflexion de La Motte ne vise pas à dire que la fable suppose vraiment une inspiration divine, mais il rappelle l’origine de la fable, qui est la sagesse.

Pour savoir si La Motte considère la fable comme un poème, il est intéressant de rappeler ses jugements sur la poésie.

A-Le but de la poésie est de plaire

Dans son Discours sur la poésie en général qui sert d’introduction à son recueil d’odes, La Motte cherche l’essence de la poésie, si elle est définissable en termes de contenu ou de style.

Selon La Motte, ce qui caractérise les genres poétiques est leur manière de présenter leurs sujets, non pas leur utilité, tandis qu’il affirme que ce qui distingue la fable c’est son

234 Entre autres, les fables de Phèdre en vers ou les fables de La Renaissance.

235 SOBRY, Jean François , Poétique des arts, ou, Cours de peinture et de littérature comparées, Delaunay,

1810, p. 206.

132

utilité, c’est-à-dire l’enseignement moral. De cette manière, notre poète met le sentiment commun contre lui avec ses pensées hardies. Contrairement aux Anciens, la poésie épique n’est pas, pour lui, un art de convaincre, la tragédie n’a pas la fin de purger les passions, le but de la comédie n’est pas de corriger les mœurs : « Le but de tous ces ouvrages n'a été que de plaire par l'imitation237».

Nous remarquons bien que La Motte traite la poésie en général, en ses concentrant surtout sur la question de l’imitation selon Aristote, pas vraiment sur sa description propre.

Il affirme que l’unique objet de la poésie est de plaire. La poésie est conçue comme un art qui cherche à faire plaisir à un lecteur non pas à l’instruire. Elle peut l’instruire mais c’est un objectif secondaire : l’instruction dans la poésie peut être un moyen et un soutien pour rendre la poésie agréable :

Dans tous ces différents ouvrages, je pense qu'on n'a eu communément d'autre dessein que de plaire, et que s'il s'y trouve quelque instruction, elle n'y est qu'à titre d'ornement238.

Il nous est clair que La Motte ne fait pas partie des censeurs de la poésie qui y voient une matière qui corrompt l’esprit, ni un de ses panégyristes qui en voient une matière d’instruction morale. Il affirme que le seul but de la poésie est de faire plaisir : il avance au commencement de son Discours sur la poésie en général et l’ode en particulier que « la poésie n’a essentiellement d’autre fin que de plaire. » Cependant, il ne juge pas la poésie de la même manière que faisaient ses défenseurs ou ses détracteurs. Pour la juger, il essaye d’établir en quoi elle consiste :

Elle n'était d'abord différente du discours libre et ordinaire que par un arrangement mesuré des paroles, qui flatta l'oreille à mesure qu'il se perfectionna. La fiction survint bientôt avec les figures ; j'entends les figures hardies, et telles que l'éloquence n'oserait les employer.239

Cela nous montre que pour La Motte, ce qui constitue la poésie, c’est tout d’abord la versification, puis la fiction et les figures hardies. Il propose une liste des plaisirs de la poésie :

Le nombre et la cadence chatouillent l’oreille, la fiction flatte l’imagination, et les passions sont excitées par les figures240.

La poésie échappe à l’ordre de la raison pour être inscrite dans celui de l’imagination :

En effet, les beautés les plus fréquentes des poètes consistent en des images vives et détaillées, au lieu que les raisonnements y sont rares et presque toujours superficiels241.

237 La Motte, Odes avec un Discours sur la poésie en général et sur l’ode en particulier. V. 1, éd. Renard,

1707, p.21.

238Ibid, p. 32. 239Ibid, p. 17-18. 240Ibid, p. 19. 241Ibid, p. 20.

133

Nous pouvons souligner un paradoxe dans la distinction de la Motte. Ce penseur défend dans son « Discours sur la poésie » l’idée que la poésie est vouée au plaisir, même dans le genre de la satire ou de la poésie philosophique où il considère la leçon morale comme ornement. Le but premier de la poésie est alors de plaire sans s’intéresser à son utilité ou inutilité, alors que dans son « Discours sur la fable », il souligne que la fiction qui plait dans la fable n’est qu’un ornement qui sert à cacher le propos moral. Donc, ce qui confirme ce que nous avons dit, dans les textes théoriques, La Motte n’envisage pas la poésie comme la fable, cette première s’inscrit dans le plaisir esthétique et la deuxième s’inscrit dans l’esthétique morale et philosophique. Dans le genre de la fable, La Motte inverse les rapports entre le contenu moral et le plaisir de la forme. Il rejoint Platon qui revendique la nécessité de nourrir les enfants par des fables.

B-Ce qui fait des fables des poèmes :

Il n’en faut pas plus pour que l’on se demande comment La Motte conçoit la poésie de la fable, la poésie de La Fontaine, et comment il cherche à « concilier le type (didactique) et l’expression (poétique)242.

Nous ne pouvons pas dire que, selon son « Discours sur la poésie », la fable n’est pas un poème, car la contradiction de La Motte n’est pas réservée à l’univers de la fable. Nous allons à présent détailler les arguments qui font de la fable un poème chez La Motte.

Outline

Documents relatifs