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La fable n’est pas faite seulement pour l’instruction morale, elle est faite aussi pour le plaisir et l’entretien de l’esprit du lecteur. La position initiale de la moralité, selon La Motte, ôte à la fable son second but de plaisir. La moralité préliminaire enlève la beauté de l’attente et de la découverte, elle « émousse la plaisir de l’allégorie302 » et prive le lecteur de « l’honneur

d’en pénétrer le sens303». Selon La Motte, il s’agit d’ infliger une humiliation au lecteur et non

partage de la confiance dans sa capacité à construire la moralité.

Le fait de placer la morale en tête de la fable présente un caractère argumentatif qui cherche à donner l’impression que l’exemplum découle de la morale, que le récit devient la confirmation de la moralité comme s’il s’agit d’une déduction. Cela réduit l’intérêt que l’on

300 Brumoy, op.cit., p. 291-292.

301 Jauffret (Louis-François), Lettres sur les fabulistes anciens et modernes, 3 vol., Paris, Pichon-Béchet,

1827 2e lettre.

302 Houdar de La Motte, op.cit., « Discours sur la fable », p. 18.

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prend au récit, qui devient presque superflu. La fable devient simplement une illustration, un exemple pour valider ce qui a été déjà posé. C’est une démarche qui peut avoir d’autres avantages mais ce n’est pas une démarche qui est didactique selon La Motte.

La position initiale de la moralité affaiblit, rend moins vif le plaisir de l’allégorie et le plaisir de la découverte. Il décourage le lecteur à travailler sur la compréhension des images tout au long de la fable.

La Motte veut mettre le lecteur ou l'auditeur dans l'attente impatiente de ce qu’il va annoncer. Dans la position initiale de la morale, selon lui, il s’agit de priver le lecteur de l’honneur de ce qu’il croit inventer, d’empêcher la fable de rendre impatient le lecteur et de le priver du plaisir de la lecture. Nous pouvons défendre l’idée de commencer la lecture de la fable par la leçon morale en disant que cela peut aider le lecteur à savoir ce qu’il doit déduire du récit et à bien comprendre l’histoire qui suit. C’est une autre approche que celle de La Motte ou celle de la tradition rhétorique de la persuasion. La morale à la tête de la fable ne gâche guère l’effet de la leçon morale ou la force du style de l’insinuation car le lecteur aime aussi s’attaquer à la démonstration et voir si elle tient route. Le lecteur trouve son plaisir en vérifiant la validité de la démonstration. La leçon morale sert à la clarté de la lecture et résume la fable pour les paresseux.

Mourgues dans son Traité de Poésie Française dit à ce propos :

Cependant comme il y a des cas où l'esprit peut prendre le change, et avoir le chagrin de s’être trompé, il semble qu'alors il est bon de le fixer tout d'un coup, et j'ajoute encore, de lui procurer le charme nouveau de voir une vérité peu agréable d’abord, croître, se développer et se parer de mille attraits sans changer de nature. C'est ce qui arrive quand la moralité est placée à propos au commencement. Le voile ou l'image qui cache la vérité doit avoir un rapport fidèle, et non équivoque à ce qu'on veut dire ; un rapport fondé sur la nature ; enfin, un rapport unique, qui ne tende qu’à une seule maxime304.

La Fontaine dit clairement que mettre la moralité en position initiale ne prive pas le lecteur de tout plaisir comme dans la fable « Le Loup et l’Agneau » (I, 10) où la moralité est mise au début de la fable : « la raison du plus fort est toujours la meilleure ». Dans la fable de « L’Alouette et ses petits » (IV, 22), La Fontaine met la moralité au début de la fable : « Ne t'attends qu'à toi seul »

Saint Marc Girardin conteste la vision de La Motte, pour lui, la soudaine clarté de la moralité « cachée » produit d’autant plus d’effets. Il ne voit pas que le fait de faire précéder

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l’histoire par une maxime lui enlève l’intérêt car la maxime est la règle, l’histoire est l’exemple, l’expérience vient confirmer la morale. Cet ordre est tout naturel et le lecteur ne languit pas en écoutant le récit ; le plaisir de comprendre que le récit confirme la maxime vaut celui de deviner d’avance la maxime dans le récit305.

La Fontaine écrivait la moralité avant l’allégorie, ce qu’on lui reproche. Mais comme La Motte trouve que la moralité est essentielle, La Fontaine a raison de la placer au commencement pour que l’esprit de son lecteur ne se détourne pas de la vérité représentée. Nous pouvons pas dire que le lecteur n’aura plus envie de lire les fables de la Fontaine car elles sont distinguées par leur style, ainsi quand les lecteurs lisent la moralité au début ils vont trouver du plaisir grâce style du fabuliste. La place de la morale ne touche pas au plaisir de la lecture306. Ainsi, si La Motte impose cette règle c’est parce qu’il est classique par son esprit

méthodique.

Une question plus intéressante que la position de la morale est celle de la correspondance entre le contenu de la fable et celui de la moralité, la ressemblance entre le sujet de la fable et la concision moralité. Comme la moralité résume la fable brièvement et clairement, sans image, sans symbole, il est possible que certaines informations ou interprétations soient laissées de côté. L’analogie ou la conformité entre le sens caché implicite du récit et l’explication claire de la moralité suppose un travail interprétatif de la part de l’auteur et du lecteur.

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