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La Fontaine confirme la visée didactique des fables dans sa dédicace des fables, au dauphin Louis, fils du roi, où il présente le genre comme une histoire « mensongère » qui « contient des vérités qui servent de leçons. » Il s’agit donc pour lui, à partir d’une fiction, d’atteindre la vérité ou une morale.

La Fontaine a donné plusieurs définitions. Voyons comment il définit la fable à partir de son image allégorique.

Genre didactique au deuxième degré208, la fable procure un enseignement indirect.

Comme le dit Jean de La Fontaine dans « Le Pâtre et le Lion » (Fables, VI, I) :

Les fables ne sont pas ce qu'elles semblent être ; Le plus simple animal nous y tient lieu de maître. Une morale nue apporte de l'ennui :

Le conte fait passer le précepte avec lui.

Aussi La Fontaine considère la fable comme un genre de fiction qui a pour but d’instruire et de plaire209.

Dans le deuxième recueil, livre VII, la dédicace à Mme de Montespan s’ouvre par le mot « apologue ». La Fontaine continue à évoquer la notion d’apologue pour donner une sorte d’importance à la dimension didactique et philosophique de la fable. Ainsi le fabuliste élargit le champ de l’apologue :

L'apologue est un don qui vient des Immortels; Ou, si c'est un présent des hommes, Quiconque nous l'a fait mérite des autels : Nous devons, tous tant que nous sommes, Eriger en divinité

Le sage par qui fut ce bel art inventé.

Nous observons, par ces vers ci- dessus, que La fable est décrite comme un don et comme une inspiration du poète qui lui vient des Dieux. Le résultat de cette inspiration est de charmer comme le montrent les vers suivant :

C'est proprement un charme : il rend l'âme attentive, Ou plutôt il la tient captive,

Nous attachant à des récits

Qui mènent à son gré les cœurs et les esprits. O vous qui l'imitez, Olympe, si ma muse

208 « Didactique » n’a pas le même sens que chez La Motte. La Motte définit la fable comme un

genre didactique au premier degré.

209 Dans le livre de Simone Balvier-Paquot, La Fontaine Vues sur l'art du moraliste dans les fables de 1668, éd. « Les Belles Lettres », Paris, 1961 ; nous trouvons l’ensemble des indications données par La

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A quelquefois pris place à la table des dieux, Sur ses dons aujourd'hui, daignez porter les yeux; Favorisez les jeux où mon esprit s'amuse.

La fin de cette dédicace nous souligne le fait que l’œuvre franchit les barrières de temps, et sans doute console de vieillir :

Le temps qui détruit tout, respectant votre appui, Me laissera franchir les ans dans cet ouvrage: Tout auteur qui voudra vivre encore après lui Doit s'acquérir votre suffrage.

C'est de vous que mes vers attendent tout leur prix.

Cette dédicace à Mme Montespan souligne une évolution de la fonction de la fable. Contrairement à la dédicace du premier recueil qui affirme que la fable est une forme destinée aux enfants, ici on remarque bien que la fable s’adresse aux adultes. Cette catégorie de texte s’élargit petit à petit jusqu’à définir une forme qui aborde des questions de l’actualité, de la société, des activités politiques, scientifiques et philosophiques.

La Fontaine expose cette théorie dans la fable « Le Pâtre et le Lion » : « conter pour conter me semble peu d’affaire », ainsi qu’ « une morale nue apporte l’ennui ; le conte fait passer le précepte avec lui » : il faut plaire en instruisant. L’efficacité de l’apologue vient quand on joint l’agréable à l’utile. Amuser le lecteur le rend prêt à accepter la morale, qui ne se confond pas pour lui avec l’éthique (sinon, que dire de « la raison du plus fort est toujours le meilleur210 » ?

En dépit de tout ce qu’on vient de dire, la fable n’a pas une définition très précise. Même La Fontaine qui a imité ou traduit les anciens fabulistes n’a pas pensé à préciser les principaux éléments qui constituent la fable. Son souci c’était d’écrire de bonnes et jolies fables. Peut-être avait-il une théorie de la fable en tête mais il n’a pas voulu l’expliquer à son public. Il l’a gardée comme un secret de réussite pour lui-même.

Les idées de La Fontaine sur la fable sont rarement exprimées. Elles sont plutôt contenues dans ses fables, évoquées dans ses préfaces ou dans ses discours ; La Fontaine ne se présente pas en tant que théoricien. Cependant, pour élaborer la théorie de la fable, ses successeurs font référence à son œuvre ; ils cherchent à expliciter l’implicite de La Fontaine. Le point de départ de tant de réflexions théoriques est l'absence de définition de la fable chez le maître du genre.

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Jusqu’à l’époque de La Motte, la fable n’avait pas de définition précise. On n’a pas encore fait la typologie textuelle du genre. La fable est un genre qui n’est pas forcément simple, nettement détaché des autres genres. À partir de ce point, La Motte tente d’identifier le genre de la fable et à lui donner un statut autonome. Il ne veut plus que la fable soit un texte inséré dans un genre littéraire, mais qu’elle soit isolée. Il veut plus que la fable soit un exemple mais le récit d’un exemple. De cette façon, La Motte s’écarte de la thèse qui vise à réduire la fable à de simples fictions. Ce fabuliste moderne a l’ambition de distinguer les confusions pour dire que la fable n’est pas seulement une allégorie. Ainsi on va voir qu’avec lui la fable n’est plus conçue comme une simple allégorie.

En écrivant ses fables, La Motte a tendance effectivement à laisser l’effet de la fable se produire uniquement par l’autonomie de son récit, à l’inverse des rhéteurs qui insèrent la fable dans un tissu démonstratif, comme un « élément de discours » qu’ils utilisent comme n’importe quel autre exemple, comme n’importe quelle illustration. La Motte rejette la définition descriptive de La Fontaine, pense à nous donner une définition prescriptive. Nous explication cette définition dans la partie suivante où la fable passe d’un genre transgénérique à un genre autonome et libre chez lui.

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