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a-La justesse traditionnelle de l’image

Fonder l’image selon la tradition est ce que nous nommons la justesse traditionnelle372.

La Motte soutient cette idée dans son prologue qui annonce la fable de « L’Ecrevisse qui se

rompt la jambe » (II,14) :

Nous autres inventeurs de fables Nous avons droit pour orner nos tableaux, Et sur le vraisemblable, et même sur le faux.

Nous pouvons, s’il nous plaît donner pour véritables Les chimères des temps passés.

La Motte estime que le fabuliste peut s’autoriser librement des fictions, même inventées de bout en bout et inspirées par aucune autre source que l’imagination. Mais cela ne l’empêche pas de prendre les chimères d’autrefois, les croyances, les rêveries, comme vraies dans le genre de la fable. On est tellement habitués aux fables grecques, et aux légendes des peuples anciens, que nous prenons aujourd’hui pour fausses, mais que la fable a le droit de présenter comme vraies. Les bizarreries de la fable semblent vraies, parce que la vraisemblance qu’elle évoque soutient une vérité morale. La crédibilité de la fable surgit alors de la morale. Même si on utilise la fiction et le mensonge pour présenter la fable, celle-ci reste vraie et accomplit son objectif. C’est pourquoi le fabuliste se permet d’utiliser lui aussi des acteurs légendaires, dans une visée morale373. La Motte utilise donc des personnages

mythologiques mais pour faire passer la vraie leçon et non pas la fausse leçon transmise par le temps. Il ne faut pas considérer l’image comme une vérité, mais comme un moyen pour arriver à la vérité.

Un fait est faux ; n’importe ; on l’a cru ; c’est assez, Phénix, sirènes, sphinx, sont de notre domaine.

372 Fontenelle ouvre son« Origine des fables par cette mise en garde : « On nous a si fort

accoutumés pendant notre enfance aux fables des Grecs que quand nous sommes en état de raisonner, nous ne nous avisons plus de les trouver aussi étonnantes qu’elles le sont. Mais si l’on vient à se défaire des yeux de l’habitude, il ne se peut qu’on ne soit épouvanté de voir toute l’ancienne histoire d’un peuple, qui n’est qu’un amas de chimères, de rêveries et d’absurdités. Serait-il possible qu’on eût donné tout cela pour vrai ? À quel dessein nous l’aurait-on donné pour faux? Quel aurait été cet amour des hommes pour des faussetés manifestes et ridicules, et pourquoi ne durerait-il plus? Car les fables des Grecs n’étaient pas comme nos romans qu’on nous donne pour ce qu’ils sont, et non pas pour des histoires ; il n’y a point d’autres histoires anciennes que les fables. Éclaircissons, s’il se peut, cette matière ; étudions l’esprit humain dans une de ses plus étranges productions : c’est là bien souvent qu’il se donne le mieux à connaître. » De l'origine des fables, dans Œuvres de Fontenelle, t. 4, Paris,

1825, p. 294-310 Fontenelle indique la fausseté et la déformation dans la transmission des messages, le fait qu’on prend ces histoires pour vraies au lieu de croire à leurs caractère fictif.

373 C’est la même idée que Mme Dacier a utilisée et expliquée pour défendre Homère contre les

Modernes, qu’elle trouve que les leçons d’Homère valent pour tous les temps et tous les publics car le contenu moral de ses poèmes est éternel.

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Le phénix, les sirènes, le sphinx sont des créatures fabuleuses ; les Anciens croyaient à leur existence réelle ; on peut donc les introduire dans la fable, « comme si elles étaient vraies ». En se souciant du vrai, La Motte écarte la théorie qui vise à réduire les fables à de simples fictions. La dimension fictive de la fable est mise au service de la construction allégorique en vue de la moralité. La fable a pour but de transmettre un enseignement, et les figures doivent être adaptées à ce but. C’est peut-être la raison pour laquelle La Motte cherche de nouvelles figures pour être adaptées aux nouvelles vérités de son époque. Il se trouve obligé de créer de nouvelles fables parce que les chimères des Anciens étaient utilisées pour des vérités triviales. Mais La Motte a inventé de nouveaux fondements pour ces chimères et ces fictions. Ce qui montre que l’essence de la fable ce n’est pas l’allégorie et que les fictions jouent un rôle secondaire, celui de cacher le noyau de la vérité.

Ce naturalisme menteur

Sied bien dans une fable ; et le vrai qu’il amène N’en perd rien aux yeux du lecteur.

Le naturalisme menteur, c’est le fait de faire « comme si » les êtres fictifs ou seulement vraisemblables de l’univers animalier existaient naturellement. La vérité qui découle de ces histoires inventées avec des personnages fictifs n’en est pas moins une leçon valable et valide pour les lecteurs.

Mais quoi, des vérités modernes

Ne pourrons-nous user aussi dans nos besoins ?

Cependant le fabuliste moderne peut aussi prendre ses leçons, ses personnages et ses sujets dans les « vérités » modernes, il n’est pas obligé de ne puiser que dans la fiction ou la légende.

La Motte affirme que si les Anciens ont eu besoin de l’explication et de la révélation, une clarté nouvelle est nécessaire pour le public de son temps.

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