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La moralité explicite chez La Motte est toujours placée à la fin de la fable. Cette position finale de la morale est due, selon La Motte, à deux raisons : la première vise à susciter le plaisir de la suspension et la deuxième la logique de la construction d’un raisonnement.

Étant donné que l’allégorie vise à procurer du plaisir, La Motte trouve qu’il vaut mieux que le lecteur lise le récit de la fable avec plaisir jusqu’à ce qu’il arrive à découvrir la morale qui

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en découle, c’est pourquoi il lui semble « que la morale est bien mieux placée à la fin qu’au commencement de la Fable296».

La Motte a montré que l’allégorie sert à cacher la vérité. C’est à la fable de faire naitre la vérité, c’est aux fabulistes d’indiquer le fruit de la fable à la fin, pour ne pas nuire au plaisir de la découverte, pour éveiller l’esprit du lecteur à découvrir le sens caché durant la lecture de la fable. La Motte veut faire travailler l’esprit et à ce propos il se met à la place du lecteur et explique son point de vue sur la moralité finale :

Mon esprit fait dans le cours de la fable tout l’exercice qu’il faut faire, et je suis bien aise en finissant, de me rencontrer avec vous, où je suis obligé de m’apprendre mieux que je ne pensais297.

La morale finale procure au lecteur « le plaisir amusant de la suspension, ou ce qui est plus flatteur, le mérite de prévoir ce qui doit arriver298».

Cette moralité finale donne, au lecteur l’honneur de pénétrer le sens. Elle rapproche l’auteur et le lecteur, qui reçoit la confiance que le fabuliste lui donne parce que ce dernier croit à sa capacité à construire la moralité.

La moralité à la fin permet la construction d’une allégorie et d’un raisonnement qui aboutit à une conclusion morale. En mettant la leçon morale à la fin de la fable, le fabuliste respecte pour la démarche rhétorique de la persuasion. Avant de dire ce qu’il faut dans le style de la pensée, il vaut mieux construire le raisonnement :

L’esprit est jaloux de toutes les preuves qu’il peut se donner à lui-même de sa pénétration, et il ne saurait voir sans quelque dépit qu’on lui enlève les occasions de se faire honneur299.

Il s’agit de la participation du lecteur à la construction de la moralité. En lisant le récit allégorique tout lecteur devine aisément le message implicite chez La Motte. Cette procédure rhétorique qui vise à pousser le lecteur à reconstruire la conclusion et à la rendre plus convaincante est le but de La Motte. Il cherche à donner au lecteur une force logique en lui donnant l’illusion d’avoir trouvé le message caché de la fable et à lui permettre de comprendre la logique argumentative de la fable et à s’adhère à la fonder. Il confie à l’esprit du lecteur un exercice qu’il est capable de faire.

Les images de la fable méritent d’être bien lues et prises en considération. Pour cela il faut favoriser la compréhension des images tout au long de la fable. C’est pourquoi quand le fabuliste met la moralité à la fin de la fable, il donne à l’esprit du lecteur ce qu’il aime –

296 Houdar de La Motte, op.cit., « Discours sur la fable », p. 18. 297 Ibid., P. 19.

298 Ibid., p. 19-20. 299 Ibid., P. 20.

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travailler – il suscite le plaisir de saisir les informations qui se croisent, et qui sont en accord avec l’intention du fabuliste. Donc cette moralité finale prend la position d’une confirmation de la pensée du lecteur.

Par cette pensée, La Motte nous confirme encore que son but n’est pas seulement d’écrire des fables à instruction morale ; son but est aussi de transformer l’individu au sens où il encourage toujours à raisonner et juger. De cette façon, le lecteur, quand il lit la moralité à la fin de la fable, se sent investi d’une mission et croit construire la moralité. De même, le fabuliste ménage l’amour propre du lecteur qui lui sera reconnaissant, parce que le fabuliste lui a permis de se trouver lui-même. Donc la pédagogie de la Motte dépasse l’instruction morale.

Brumoy dans le Traité de la Poésie française du Père Mourgues avoue :

J’avoue que généralement parlant, elle a plus de grâce à la fin qu’au commencement, pour les raisons ingénieuses qu’allègue M de La Motte, desquelles la principale est, que le lecteur, qui ignore où l’on veut le conduire, a le plaisir amusant de la suspension, et ce qui est plus flatteur, le mérite de prévoir ce qui doit arriver300.

Jauffret (le premier historien sérieux de la fable française) de son côté affirme que notre esprit est curieux et aime les aventures, aime à chercher ce qui est caché : « Il y a un certain charme pour notre esprit à dégager la vérité de l’allégorie. » Ensuite il compare la vérité à un fruit caché derrière le feuillage, ce qui suscite le plaisir de le chercher et le cueillir. C’est l’amour du travail de l’esprit, le plaisir du labeur difficile mais accessible, qui donne plus de valeur à ce qu’on ne peut pas avoir facilement301.

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