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Le Bossu associe strictement l’épopée homérique à l’apologue ésopique, seuls les noms changeant, noms d’hommes ou de dieux pour l’un, de bêtes pour l’autre.

La fable est une partie de la poésie épique, dans l’Iliade d’Homère où l’on trouve des Dieux et des Hommes qui parlent et parfois des bêtes, comme le cheval. Le Bossu essaye de montrer que dans l’épopée on utilisait des fables, auxquelles il donne le nom de fables épiques, surtout pour celles où l’on trouve des scènes où les dieux et les humains parlent. Cela

194 Ibid., p. 17.

195 Dans son Traité sur la poésie épique;Le Bossu écrit : « Aristote a dit que la fable est ce qu’il y a

de principal dans le poème et qu’elle en est l’âme». Op.cit., p. 30. 196 René Le Bossu, op. cit., , 1er t. ch VI p 31.

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signifie que l’épopée est une fable épique mais non que la fable relève obligatoirement de l’épopée.

Par rapport à l’action de la fable, Le Bossu affirme qu’il s’agit uniquement de la fiction ou de la parole dont on couvre les instructions :

Enfin l’action d’une fable peut être grave, illustre et importante à un Etat, ou commune, basse et populaire ; traitée en vers, ou en prose, remplir un long discours, ou être exposée en peu de parole ; être racontée par l’auteur, ou représentée par les personnes qui y glissent seules. Toutes ces différentes manières ne changent rien à l’essence de la fable, et n’en altèrent point la nature198.

Ce qui distingue, selon Le Bossu, la fable épique de toute autre sorte de fable c’est qu’elle est raisonnable, c'est-à-dire que les personnages sont des hommes et des Dieux. Ce qui la distingue aussi c’est qu’elle est « vraisemblable ; elle imite une action entière et importante, elle est longue et racontée en vers ». Le Bossu insiste sur l’idée que ces propriétés d’une fable épique n’en font pas « moins une fable que toutes celles qui portent le nom d’Esope199».

Pour montrer qu’une épopée est une fable, Le Bossu prend appui sur l’épopée et compare l’Iliade aux fables d’Esope. Voyons ce qu’il y a en commun entre une fable d’Esope et l’Iliade : dans les deux genres, nous avons une vérité morale et une instruction. Le deuxième élément commun est la fiction ou l’action qui déguise la vérité. Le troisième élément consiste dans les personnages : Esope utilise les bêtes, Homère utilise les humains. Cela fait de l’épopée une fable raisonnable.

Le Bossu continue ses analyses et dit

que le nom de fable donné à la fable de l’Iliade, et à celle d’Esope, n’est ni équivoque

ni analogue, mais synonyme et également propre, que toutes les conditions qui y mettent quelque différence, ne touchent aucunement le fond, la nature, ni l’essence de la fable, mais qu’elles n’en font que diverses espèces, et qu’enfin, si une fable est raisonnable, vraisemblable, grave, importante, mêlée de Dieux, amplifiée, et racontée en vers ; elle fera une épopée : si elle n’a point ces conditions, ce sera autre espèce de la fable.200

Le Bossu examine le sens de la fable épique chez Horace aussi et conclut :

Ce que l’Iliade et l’Odyssée ont de commun, est que l’une et l’autre est une instruction

morale, déguisée sous les allégories d’une action ; c’est ce qu’Horace y reconnait ; et par conséquent l’une et l’autre, au sentiment de ce critique, est une fable, telle que nous l’avons proposée201.

198 René Le Bossu, op.cit., p. 33. Il s’agit là pour le lecteur contemporain d’une opinion

surprenante : nous n’avons pas le sentiment en lisant l’Iliade et L’Odyssée de leçon morale ; mais plutôt de récit au sens le plus large du terme.

199Ibid., 1er t. ch VI, p. 34. 200Ibid., p. 55-56.

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Cette opinion explique toutefois que l’abbé Batteux parle du caractère épique de la fable dans le sens que ce qui est épique, c’est ce qui comporte un récit (épos en grec signifie récit).

Mais ce qui nous est le plus intéressant chez Le Bossu c’est qu’il définit le processus de la création de la fable ou d’un texte littéraire selon les étapes suivantes :

1- La première chose par où l’on doit commencer pour faire une fable est de choisir l’instruction et le point de morale, qui lui doit servir de fond, selon le dessein et la fin que l’on se propose.

2- il faut ensuite réduire cette vérité morale en action, et en feindre une générale et imitée sur les actions singulières et véritables. C’est le moment de l’invention de la fable ; celle-ci doit déguiser « le point morale », l’instruction doit rester cachée».

3- les noms qu’on donne aux personnages commencent à spécifier la fable202.

Dans le livre Les secrets de notre langue, seconde partie de la Rhétorique française de René Bary, le mot fable désigne le récit qui prêche une belle morale :

Entre les fables il y en a quantité qui prêchent une belle morale. Les unes détournent de la cruauté, comme celle de Lycaon. Les autres excitent le courage comme celle d’Hercule. Les unes inspirent la modestie comme celle d’Ixion. Les autres combattent l’avarice comme celle de Tantale. Les unes augmentent l’espérance comme celle des champs Elysées. Les autres font naitre la crainte comme celle de Radamante.203

Nous verrons que La Motte n’est pas éloigné de ces conceptions.

Nous venons de voir que pour les rhéteurs du XVIIème siècle, la fable ressemble aux

histoires dans les livres saints. Ce qui en résulte, c’est que la fable n’est, à leurs yeux, qu’un exemple pour apprendre la morale, c'est-à-dire qu’elle n’est qu’une instruction morale. Nous pouvons repérer des récits qui ressemblent à la démarche de la fable dans d’autres types de textes. La fable était donc un genre transgénérique que l’on peut rencontrer à l’intérieur d’autres genres. C’est un procédé d’argumentation, qui n’est pas forcément clos sur lui-même et peut très bien fonctionner à l’intérieur de textes variés. Et La Motte veut en faire un genre indépendant. Si la fable chez ces rhéteurs n’est qu’un genre transgénérique, une illustration ou un exemple, La Motte aspire à changer cette tradition pour faire de la fable un genre autonome et générique. Il veut joindre la poétique à la rhétorique, plaire à la raison tout en séduisant et flattant les sentiments. En ce sens, il marche à la suite de La Fontaine, tout en s’intéressant à la tradition rhétorique.

202 Ces trois passages se trouvent au Chapitre VII du 1ère livre du Traité. Cette théorie de Le

Bossu sera attaquée par Marmontel

203 Bary, René, Les secrets de notre langue, seconde partie de la Rhétorique Française, Paris, p. 280. Ce

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B-Définition de la fable chez La Fontaine

Il est clair que La Fontaine ne fut pas un rhéteur ou un théoricien. Ses fables ne sont ni des exemples pour illustrer sa pensée sur la théorie de la fable ni un moyen pour persuader le lecteur de suivre une leçon morale. Il est tout à fait différent des rhéteurs antiques. Il ne traite pas les questions qu’ils ont traité, il ne cherche pas à trouver des solutions pour résoudre les problèmes de détermination générique. Il échappe à la tradition des orateurs, parce qu’il n’a pas cherché à faire une poétique de la fable. Ses fables sont de « petits drames, gracieux ou piquants, et qui vont tous à l’adresse de quelques–uns de nos travers et nos vices204». Ou

encore « une comédie à cent actes divers ». Ses fables sont donc des représentations quasi- transparentes de la réalité qui ne touchent qu’aux défauts et aux ridicules de l’homme. Nous allons bien voir que La Motte construit la définition de la fable avec un objectif qui est celui de la finalité didactique par la moralité. Il ne cherche pas à créer des fables à la manière de La Fontaine, c'est-à-dire à « créer des personnages, prêter un caractère à ces personnages et leur donner la parole205 », mais il cherche à réinscrire la fable dans le domaine de l’instruction et de

l’édification morale et à la considérer comme un récit exemplaire.

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