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1-La définition de la fable dans l’histoire rhétorique antique

C- Les rhéteurs après Aristote

Etant aussi rhéteur, Aristote s’intéresse à la théorie de la rhétorique. Ses successeurs comme Aphtonios à la fin du IVe et Théon (env. 335 - env. 405) sont des professeurs de

rhétorique et des pédagogues. A l’exemple d’Aristote, ces maîtres ont classé la fable dans l’ordre rhétorique et non pas poétique. La fable pour eux est aussi un moyen de persuasion efficace177.

Pour nous, il est évident que considérer la fable d’un point de vue poétique n’est pas erroné ; mais ici nous retraçons les étapes apparemment contradictoires de l’histoire de la fable, comme éléments de persuasion. La fable dans l’Antiquité a été utilisée comme exemple pour illustrer des pensées : de cette façon ce n’était qu’une forme de persuasion rhétorique.

Les rhéteurs grecs donnent leurs observations sur la critique de la fable en s’appuyant sur la pensée d’Aristote. La fable était d’un côté un bon terrain d’exercices de style comme le signale Théon qui parle des exercices auxquels on soumettait les enfants :

Un sujet de fable étant donné, on les accoutumait soit à le développer, soit à le condenser en un récit très court, à en tirer la moralité, ou sur une moralité proposée à reconstruire la fable. Une fable connue devenait l’objet de remaniements divers ; si elle était en vers, on la mettait en prose, si elle était en prose, on changeait les termes, on la faisait passer du style direct au style indirect ou vice versa178.

L’objectif pédagogique poursuivi par les maîtres de rhétorique était ainsi la maîtrise de la forme de la fable entre prose et vers, la grammaire, la stylistique, l’art de la narration et de l’argumentation. La fable est une matière pour apprendre à raconter et à raisonner.

176 A ce propos, nous pouvons consulter l’ouvrage de Gilles Declerq, L'art d'argumenter : Structures rhétoriques et littéraires, Editions universitaires, 2014

177 Voir Charles-Athanase WALCKENAER, Essai sur la fable et sur les fabulistes avant La Fontaine,

Lefèvre, 1822. Voir aussi Les fables avant La Fontaine : actes du colloque international organisé les 7, 8 et

9 juin 2007 dans les Universités Paris-Est Créteil Val de Marne, Paris-Sorbonne-Paris IV, Sorbonne Nouvelle-Paris III -- [études réunies] par Jeanne-Marie Boivin, Jacqueline Cerquiglini-Toulet et Laurence Harf-Lancner.

178 ÉSOPE : Œuvres complètes — Les 358 fables et annexes annotées, Arvensa editions, 2014, p.

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Si l’on avance en âge, la fable est aussi un exercice préparatoire pour les rhéteurs179, un

moyen pour former les nouveaux orateurs. Le grand rhéteur antique, Aphtonios donne des détails sur le moyen d’utilisation de la fable comme genre argumentatif ; il s’occupe de l’utilité de la fable et propose son mode d’emploi.

Nous avons un livre d’Aphtonius, Progymnasmata ; c’est une espèce de Rhétorique pratique qui contient des formules qui mettent sous les yeux des jeunes Rhétoriciens les préceptes de cet art, et qui leur apprennent la manière de mettre en œuvre ces préceptes ; six cents auteurs ont travaillé sur cette manière et l’ouvrage d’Aphtonius a été trouvé le meilleur. Cet ouvrage était autrefois en si grande vénération, que pour réussir dans l’art oratoire, on croyait qu’il fallait avoir sans cesse dans la main le livre d’Aphtonius, ce qui est exprimé par le distique suivant :

Si tibi rhetorices sedet ingens mente cupido, Assidue in manibus fit liber Aphtonii. 180

La pratique d’Aphtonius est de mettre un sommaire à la tête de chaque fable, une morale à la fin181.

L’idée de ce rhéteur du IIIe siècle, Aphtonios, est d’aider le nouveau rhéteur à savoir

comment faire une fable. De plus ses fables se montrent éducatives car il met à la fin une moralité et au commencement une indication pour guider la lecture. Par exemple, la fable de « La Cigale et la fourmi », est reprise par lui Aphtonios en un exercice littéraire. Au commencement de cette fable, Aphtonios écrit : « pour inspirer aux jeunes gens l’amour du travail » ; à la fin de celle-ci, il place la morale suivante : « ainsi la jeunesse qui ne veut pas travailler devient malheureuse dans sa vieillesse182». La fable pour Aphtonios est « le premier

exercice préparatoire […] dans ses Progymnasmata183». Le but de la fable chez Aphtonios est

éducatif. Ce genre était donc un terrain de formation pour les orateurs débutants. Ils commencent par écrire de bonnes fables qui les aident à persuader leurs auditeurs. Puis ces mêmes orateurs avec le temps et après cette formation s’intéresseront à la stylistique de la fable.

Désormais la véritable critique de la fable a commencé avec les professeurs de l’art de bien dire qui, prenant appui sur la pensée d’Aristote touchant la question de l’essence,

179 AMATO, Eugenio, Approches de la Troisième Sophistique : hommages à Jacques Schamp, Latomus,

2006, p. 232- 234-236.

180 Traduction : si pour toi la rhétorique répond au désir de ton esprit

Aies assurément en mains le livre d’Aphtonus

181 FRASNAY, Pierre (de), Mythologie, ou Recueil des Fables Grecques, Esopiques et Sybaritiques, mises en Vers François, Avec des Notes & des Réflexions, Orléans, Couret de Villeneuve, 1750, p. 230.

182 Jacques-Nicolas Belin de Ballu, Histoire critique de l'éloquence chez les Grecs: contenant la vie des orateurs, rhéteurs, sophistes et principaux grammairiens grecs, Volume 2, A. Belin, 1813, p. 204-205.

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finissent par nous donner la première définition de la fable : « la fable est un récit fictif qui donne une image de vérité184». Ici la fiction évoque l’allégorie, parce que la fable n’est pas un

conte fantastique, mais son caractère fictif suppose un conte « mensonger » qui présente une imitation de la vie de l’homme. Cela implique donc que la fable soit vraisemblable. Ce qui signifie que ces rhéteurs ne donnent pas seulement de l’importance à la fiction, mais au but de la fable par le moyen de la fiction. Il est donc vrai de dire que les rhéteurs antiques ont défini la fable par son but pratique qui est de transmettre une vérité. Morten Nojgaard, dans sa thèse intitulée la Fable Antique, trouve que la critique antique de la fable reprend toujours deux idées :

1 - La fable est une entité invariable qu’il est possible de définir.

2 - La fable est regardée comme une figure stylistique, déterminée par son but purement pratique.

Mais il décèle chez les rhéteurs antiques une contradiction qui procède d’un raisonnement circulaire:

Déjà dans les observations particulières des rhéteurs sur les différents composants de la fable et surtout dans leur subdivision du genre apparaît l’inconséquence de ces deux idées, car on ne peut déterminer un genre par son but et, en même temps, établir une série de critériums intérieurs déterminant les récits qu’on regardera comme appartenant à ce genre déterminé185.

Le rhéteur Aphtonios estime qu’on peut définir la fable et il la voit comme une figure de style avec un but précis. C’est là son essence : on l’utilise pour atteindre ce but.. Il cherche donc à définir le genre de la fable par son but, et en même temps, il cherche à établir une série de critères constructifs. Mais il n’a pas pensé que la fable pouvait être un genre libre. L’historien moderne Morten Nojgaard trouve que cette attitude est inconséquente.

Nous verrons que la définition de la fable chez La Motte sera clairement la continuation du travail de ces rhéteurs, à la différence près que le critique moderne du XVIIIe siècle ne

trouve pas dans la fable une simple figure de persuasion mais aussi un genre poétique déterminé. Il ne considère pas non plus comme contradictoire de définir la fable par son but et en même temps de déterminer ses composants.

La Motte pense qu’il peut, d’une certaine manière, à la fois tenter une définition a priori du genre comme faisaient les rhéteurs. De l’autre côté, il peut aussi établir une série de critères qui permettent plus modestement d’apparenter certains récits avec le genre de la fable. Il prend l’exemple d’un conte : ce qui est en train de se dérouler fonctionne comme un

184 Formule de Théon de Smyrne.

185 NOJGAARD, Morten, La Fable Antique, Tome premier, La Fable Grecque avant Phèdre, Nyt

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apologue. Il y a beaucoup de textes littéraires qui ne sont pas à proprement parler des fables, tout autant que de manières de créer des exemples en rhétorique pour faire des démonstrations, manières qu’a priori on n’a pas pensé comme des apologues, alors qu’ils fonctionnent comme des fables, parce qu’on peut en tirer des leçons comme dans ces dernières186.

Contrairement au rhéteur Aphtonios, La Motte ne trouve pas qu’il y a une inconséquence et une incompatibilité entre les deux idées. Théoriquement il veut dire que le genre de la fable doit être construit et finalisé d’après sa définition.

Mais il est possible de rencontrer des types textuels qui sont voisins de la fable, et fonctionnent comme elle, sans avoir été pour autant pensés comme des fables.

La fable n’est pas forcément un genre qui existe uniquement par la volonté consciente et informée de le fabriquer. Mais il peut aussi très bien se trouver dans des typologies textuelles différentes qui, à un moment ou à un autre, utilisent des procédés qui sont les mêmes.

A cause de cette contradiction et pour trouver une solution, les rhéteurs ont commencé à s’intéresser non pas seulement à la théorie de la fable mais aussi à la fable en elle-même. Le point de départ de La Motte, est justement cette contradiction. Il rencontre un problème et cherche une solution. Le succès des fables de La Fontaine stimule sa critique. Il ne veut pas que la place de la fable soit modeste comme pendant la Renaissance.

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