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La fable en vers est un signe de modernité et de rivalité.

a-Les ornements du style

D- La fable en vers est un signe de modernité et de rivalité.

Une fois ces réflexions faites, comment comprendre que La Motte écrive ses fables en vers et non en prose ? En dépit de ce refus de parler de versification, La Motte versifie ses fables. Sabatier propose une réponse : La Motte n’écrit pas en prose pour prouver la primauté des Modernes sur les Anciens, pour diminuer le mérite des Anciens qui ont écrit des fables en prose. Sur ce point, il préfère être moderne et écrire en vers comme La Fontaine :

La prose, quelque concise qu’on veuille la supposer, a toujours quelque chose de traînant, que la contrainte de bonne poésie exclut nécessairement : conséquemment les fabulistes, bons poètes et bons versificateurs, toutes choses égales, doivent l’emporter sur les prosateurs. J’en veux d’autres preuves que M de La Motte, qui n’aurait jamais traité la fable en vers, s’il eu cru qu’elle pouvait réussir en prose. Il aurait certainement profité de ses avantages qu’on n’avait guère d’exemple de fable en prose depuis Esope ; et M .de La Motte a mieux aimé céder, en ce genre, aux Modernes, que de l’emporter sur l’inventeur même de l’apologue : c’est prouver le mérite des Anciens.256

J.-N. Pascal avance une autre réponse. Il considère que La Motte cherche à rivaliser avec La Fontaine sur le même terrain et qu’on n’est guère surpris de ne pas rencontrer dans le discours de La Motte

Aucune allusion à la versification et à ses procédés, l’auteur ayant par ailleurs pris la position qu’on connait et n’ayant pas, paradoxalement, songé à remettre en cause l’usage des vers dans les apologues, soit qu’il ait voulu rivaliser avec La Fontaine sur son propre terrain, soit que la nécessité d’une expression aisément mémorisable lui ait paru exiger le moule versifié257.

Nous revenons donc au débat habituel. Ce n’est pas parce que le texte est en vers qu’il est forcément poétique, mais aucun texte poétique ne peut se dispenser de vers à l’époque. C’est un vrai paradoxe dans l’œuvre de La Motte, qui nous montre un auteur prisonnier d’un

254 BRUMOY, Traité de la poésie française, par le Père Mourgues, f chez Jacques Vincent, rue et vis-à-

vis l'Eglise de S. Severin, a l'Ange, 1724, p. 291-292.

255 JOANNET, Élément de Poésie Française, seconde section de la troisième partie, vol. 3 p. 23. 256 Antoine Sabatier de Castres, op.cit., p. 159-160.

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nouveau carcan. Malgré cela, La Motte réussit à écrire un nombre important de fables versifiées.

La poésie pour La Motte n’est donc que le meilleur moyen pour présenter l’enseignement, une forme qui donne la meilleure image possible du fond. Avec la poésie on peut parler à l’esprit de lecteur, c’est une manière habile pour introduire des vérités dans son esprit, à la fois réussir à capter son attention et le diriger vers ces vérités. C’est une manière de ruse. J.-N. Pascal explique comment La Motte conçoit la poésie. La poésie n’est donc que « l’art de donner la meilleure forme à un fond qui, d’évidence, est prioritaire, et qu’il convient d’insinuer dans l’esprit du lecteur258 ». La poésie de la fable est donc le style de l’insinuation :

« or le style de l’insinuation est le style familier », « langage du sentiment » par opposition au style soutenu, « langage de la méditation et de l’étude ».

Nous relevons finalement que la question de la versification pose plus de problèmes pour nous que pour la théorie de la fable de La Motte alors que notre auteur s’y intéresse dans d’autres cas, soit pour contester l’usage du vers, soit pour considérer que le vers est d’abord une sorte d’exercice intellectuel pour forcer à trouver les mots adaptés dans un nombre de syllabes imposé.

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Chapitre II : La vérité contenue dans la fable

Pour notre fabuliste, comme nous l’avons déjà montré, la fable est avant tout une instruction cachée sous un voile. Il considère que faire entendre une vérité est l’avantage particulier de la fable qui la distingue des autres genres littéraires, comme le théâtre comique, tragique ou l’épopée.

En beaucoup d’autres ouvrages on peut se déterminer par ce que les faits ont d’agréable ou de touchant, et les traiter seulement pour les traiter, sans aucune vue d’y renfermer quelque instruction259.

Nous dénombrons deux caractéristiques principales de cette vérité : la nécessité d’être symbolique et d’être morale. La Motte écrit en effet :

Son essence est d’être symbole, et de signifier par conséquence quelqu’autre chose que ce qu’elle dit à la lettre260.

Elle doit consister en un élément descriptif ou narratif susceptible d’une double interprétation narrative. Deuxièmement, « La vérité doit être le plus souvent morale, c'est-à- dire, utile à la conduite des hommes261». La Motte précise bien qu’il s’agit d’aider les hommes

à bien se diriger dans la vie, à avoir un bon comportement.

I-Le recueil des Fables Nouvelles comme traité

moral

Chez La Motte, malgré des déclarations qui prétendent refuser l’enseignement dogmatique et se conformer à l’esthétique horatienne du mélange de l’utile et de l’agréable, le recueil de fables est conçu dans son ensemble comme un traité de morale pratique qui est « préférable peut-être à un traité plus méthodique et plus direct262».

Le fabuliste entend s’attaquer aux comportements humains absurdes ou vicieux, sans prétendre s’élever au niveau de la morale théorique ou de l’éthique : « La définition des vertus et des vices n’est qu’une simple spéculation qui ne passionne point263».

259 Houdar de La Motte, op.cit., « Discours sur la fable », p. 13-14. 260Ibid., p. 14.

261Ibid., p. 14. 262Ibid., p. 14. 263Ibid., p. 14.

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Les fables n’ont pas d’ambition éthique, c'est-à-dire qu’elles ne cherchent pas à donner le cadre d’une morale théorique, ni à conduire à une réflexion éthique :

En peignant le vice et la vertu de leurs vraies couleurs, [la fable] donne de l’éloignement pour l’un et du penchant pour l’autre, et elle fait sentir les devoirs, ce qui toujours la meilleure manière de les connaître264.

La Motte décrit l’effet de la fable : par le moyen de la peinture, elle « donne de l’éloignement » et « fait sentir ». Il suppose que la réflexion sur la nature des devoirs et la vertu a déjà été faite et a été partagée par tous. La fable ne développe pas cette réflexion mais obéit à un objectif plus pragmatique. Elle nous amène à réfléchir sur nos conduites, mais pas sur ce qui fonde nos conduites. Il est intéressant, cependant, de distinguer la morale de la moralité dans la fable. La Motte ne cherche pas à théoriser la question de la morale. Il théorise la question des moralités des fables. La fable ne donne pas de définitions à des principes moraux, mais elle peint ces principes, elle les représente, elle les anime. L’avantage de la fable est qu’elle est une manière d’enseigner la morale pratique en éveillant un très vif intérêt chez le lecteur.

La fable, toujours selon La Motte, joue avec les sentiments le rôle que jouait le grand philosophe Socrate avec les pensées, en tant que « sage-femme des pensées des autres265 ». La

Motte considère la fable comme :

La sage-femme de nos sentiments266 et de nos réflexions, puisque par les images ingénieuses

qu’elle nous présente, elle développe en nous ce germe de droiture et de justice que la Nature y a mis, et qui n’est que trop souvent étouffé par nos passions267.

La fable aide à développer en l’homme le germe de sagesse qui est à l’intérieur de lui. L’enseignement de la morale à partir de la fable a plus d’effet que l’enseignement méthodique et direct. La Motte met l’accent sur le caractère indirect de l’enseignement, il valorise la fiction et l’imagination.

264Ibid., p. 15. 265Ibid., p. 15.

266 Nous précisons que sentiment est ici au sens classique d’émotions et de sensibilité. 267 Houdar de La Motte, op.cit., « Discours sur la fable », p. 17.

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