• Aucun résultat trouvé

La Motte cherche des vérités fondées sur l'expérience du réel et du possible. Il a une conscience aiguë de la banalité des leçons morales quand elles n’apprennent rien de nouveau. Contrairement à La Fontaine, il évite les vérités communes et ordinaires et construit une « philosophie déguisée ». Le fond de la fable, selon lui, ne doit pas aborder de vérités ordinaires ou communes que l’on a déjà utilisées, qui seraient épuisées268. Inversement, les

vérités contenues dans la fable doivent être inhabituelles et réfléchies. La Motte dédaigne les vérités « triviales, qui n’échappent pas aux plus stupides269». Il nomme « vérités triviales » en

premier lieu les vérités qui n’appartiennent pas au fabuliste et qui n’apportent pas de nouvelles instructions. À son avis la fable a pour devoir de prouver la justesse d’une vérité, ainsi il est inutile de prouver

Que nous sommes tous mortels : mais [il est] un fort sensé, de nous dire que la mort est presque toujours imprévue à quelque âge qu’elle vienne ; et le centenaire qui trouve mauvais que la mort le prenne au pied levé, nous fait sentir à propos combien nous sommes imprudents d’agir toujours comme si nous ne devions pas mourir270.

La Motte montre ici clairement comment éviter les lieux communs trop rebattus. Le fabuliste peut déblayer des vérités générales pour en extraire des vérités particulières.

Dans un deuxième temps, il appelle des vérités triviales « celles qui ont été déjà maniées par la fable271». La réécriture ne sert à rien si elle est une simple répétition, qui humilie et

déshonore la littérature. L’accumulation affaiblit la valeur de la littérature. Le résultat est immédiat auprès du « public », qui « payera toujours d’un juste mépris » cela :

Car à quoi bon, sous prétexte de quelques vaines différences, redire ce que les autres ont dit ? Ces amas d’écrits qui ne multiplient que les mots et non pas les choses, sont l’opprobre de la Littérature272.

Selon lui, si l’on impose une loi qui interdit de traiter les vérités qui sont déjà mises en œuvre dans d’anciennes fables, les fabulistes seront gênés. La solution est de varier la nouvelle

268 Nous remarquons que d’Ardène dans son Discours, p. 68, est contre La Motte sur cette

question. Il trouve qu’on peut traiter la vérité qu’annonce la moralité (« la moralité annonce une vérité ») plusieurs fois. Pour lui « il n’y a qu’un certain nombre de vérités propres à la fable. » La Motte trouve que les Anciens étaient des imitateurs et les critique. D’Ardène défend son point de vue en disant que les anciens n’inventaient pas vraiment des vérités. Ils imitaient aussi.

269 Houdar de La Motte, op.cit., « Discours sur la fable », p., p. 17. 270Ibid., 15-16.

271Ibid., p. 16. 272Ibid., p. 16.

142

fable : il est possible d’obtenir la même instruction mais en variant la fable de sorte qu’elle paraisse nouvelle. C’était la méthode que les Anciens ont suivie273.

Pour La moralité, La Motte propose, ainsi, deux solutions, soit l’invention de nouvelles vérités soit l’amélioration des vérités anciennes. La Motte prend en considération des vérités abordées par la fable mais mal traitées, « si ce n’est qu’elles ne l’eussent pas été sous une image assez heureuse ; ce qui serait une raison de les reprendre, pour les mettre dans leur véritable jour274». La Motte, dans ce deuxième cas, propose de renouveler ces vérités et les mettre au

goût du jour. Il croit dans la perfectibilité de l’écriture, qu’il est possible de reprendre ce qu’on a manqué dans une fable, le travailler pour le corriger et le rendre meilleur.

Brumoy éclaire bien la pensée de La Motte par rapport à la moralité :

M. de La Motte a bien raison de distinguer les vérités triviales qu’un fabuliste doit dédaigner d’avec les vérités fines qu’il doit tâcher de mettre en œuvre. Il est pourtant encore des vérités communes qui tiennent le milieu, et que l’on peut employer d’une façon non commune. Ces vérités sont en grand nombre, mais il n’est pas aisé de leur donner un tour neuf ; c'est-à-dire, que l’allégorie coûte beaucoup plus que la maxime qu’on veut proposer275.

La Motte illustre son point de vue de théoricien en mettant en scène la question dans une fable, dans le prologue de la fable « Le chat et la chauve-souris » (I, 8) :

Mais tout vrai ne plaît pas. Un vrai fade et commun Est chose inutile à rebattre.

Que sert par un conte importun

De me prouver que deux et deux font quatre ? Nous devons tous mourir. Je le savais sans vous ;

Vous n’apprenez rien à personne276.

Nous retrouvons ici l’exemple de la mort évoqué au-dessus et la confirmation que la moralité de la fable sert à apprendre ce que l’on ne sait pas. Finalement la vérité se rattache à l’idée que l’esprit humain a besoin d’exprimer ses pensées. Il s’agit des pensées qui peuvent servir comme des moralités pratiques et c’est en cela que Saint-Marc Girardin parle des

273 Grozelier fait une table des matières des moralités. Conformément à son métier de

professeur, Nicolas Grozelier souhaite faire un ouvrage édifiant qui apprenne quelque chose aux gens. D’où l’idée que la moralité doit être mise à la fin et qu’on peut faire un répertoire en matière de morale. À l’inverse, d’Ardène ne fait pas une table des matières de morales. Finalement la leçon chez d’Ardène est secondaire, elle a une place dans la fable parce que c’est générique, parce que le genre le demande.

274 Houdar de La Motte, op.cit., « Discours sur la fable », p. 16.

275 Brumoy, Traité de la poésie française, par le Père Mourgues, chez Jacques Vincent, rue et vis-

à-vis l'Eglise de S. Severin, à l'Ange, 1724, p. 291-292. En fait c’est le père Brumoy qui a corrigé et augmenté ce traité.

143

derniers fabulistes qui « ont souvent une morale moins mesquine et moins timide que celle d’Esope277».

Ce qui intéresse La Motte c’est la manière de raisonner. La Motte accepte des prémisses qui sont peut être fausse pour donner une nouvelle vérité. C’est ainsi il ne veut pas de vérités triviales.

Si nous examinons des moralités dans les fables de La Motte, nous remarquons qu’à plusieurs reprises, la moralité prend la forme d’une question ou d’un questionnement. Par cette manière le lecteur est un complice dans la construction de la moralité car il est poussé à réfléchir pour trouver des réponses. Par exemple dans la moralité suivante :

Nous voilà bien. Souvent nous condamnons autrui. Que l’occasion s’offre ; en fait-on moins que lui ? 278

Cette moralité isolée à la fin de la fable pousse le lecteur à réfléchir au raisonnement du fabuliste

Pour confirmer notre vision sur la méthode de La Motte pour expliquer ses moralités nous citons un autre exemple. Un autre questionnement qui invite le lecteur à réfléchir :

Plaideur, commente ici mon sens.

Tu cours aux tribunaux pour rien, pour peu de chose. Du temps, des frais, des soins ; puis tu gagnes ta cause.

Le gain valait-il les dépens ?279

Cette moralité est une réflexion qui pousse le lecteur à raisonner pour canaliser des passions.

Dans la moralité suivante :

La couronne fait-elle un roi ?

Non ; c’est talent, courage et vigilance.280

La réponse de tout lecteur sage est « non la couronne ne fait pas un roi ». Et de cette manière le lecteur participe à définir la fonction de roi.

Le prologue qui devance la fable « Le Chat et la Chauve-souris », (I, 8) nous montre la vérité dont La Motte parle :

Je veux un vrai plus fin, reconnaissable à tous, Et qui cependant nous étonne :

De ce vrai, dont tous les esprits Ont en eux-mêmes la semence :

277 St Marc Girardin, op ;cit., t.1,troisième leçon, p. 87.

278 La Motte, fable, Le Renard et Le Chat (I, 4). 279 La Brebis et Le Buisson (III, 10).

144

Qu’on ne cultive point, et que l’on est surpris De trouver vrai quand on y pense. Laissez donc là vos fictions,

Me va répondre un censeur difficile.

Pensez-vous nous donner quelques instructions ? Non pas à vous ; vous êtes trop habile : Mais il est des lecteurs d’un étage plus bas ; Et telle fiction qui ne vous instruit pas, À leur égard pourrait être instructive. Il faut que tout le monde vive.

La vérité ou la leçon morale pour La Motte représente la sagesse universelle qui s’intéresse aux affaires du monde c’est la sagesse des hommes avisés et judicieux.

2-La vérité et la liberté de penser : qu’est-ce que la

Outline

Documents relatifs