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De la théorie cyclique de l’histoire à une théorie linéaire du progrès littéraire

2-L’esthétique classique et le principe de l’imitation

4- De la théorie cyclique de l’histoire à une théorie linéaire du progrès littéraire

Une nouvelle conception du temps a été inaugurée avec l’avènement du christianisme selon l’auteur du Clovis. Cette nouvelle religion « a brisé le [...] temps en deux par l'événement décisif de l’Incarnation : la naissance, la mort et la résurrection du fils de Dieu fait homme. S'est alors ouvert un temps nouveau, que viendra refermer un second et ultime événement,

28 La théorie cyclique de l’Histoire est l’idée que l’Histoire est constituée de moments qui

comportent un progrès et une décadence et qu’à la fin de ce cycle de progrès et de décadence recommence un autre cycle de progrès et de décadence. Par exemple dans l’Antiquité il y a eu une période de progrès jusqu’au siècle de Périclès, au moment de Sophocle, d’Euripide, des grands auteurs. Puis il y a eu une période de décadence suivie d’une nouvel période de progrès : c’est la période qui correspond à la domination de Rome sur le monde antique, qui aboutit au siècle d’Auguste qui est le sommet du progrès. Ensuite vient inévitablement la décadence. Puis un autre cycle commence.

29 Pour les partisans des Anciens, le Moyen Âge ne représente pas un modèle en littérature. Par

contre il représente une décadence par rapport aux civilisations antiques car il est régi par l’ignorance et l’obscurité. Du Moyen Âge à la Renaissance on progresse doucement vers le siècle de Louis XIV. Après le siècle de Louis XIV, on retombe normalement dans une période de décadence, conformément à l’idée du cycle : le développement de la civilisation et de l’art part de peu, progresse et, après un sommet, retombe en décadence, et ainsi de suite.

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celui du retour du Christ et du Jugement30». Alors Desmarets remplace la conception cyclique

de l’histoire par une ligne droite de la théorie du progrès :

Un peuple a pour un temps et l'empire et les mots. Rome et sa langue enfin tombèrent sous les Goths. Mais notre langue règne, et doit être immortelle. Nos rois sont protecteurs de l'Église éternelle. Cet état de nos vers

Dureront avec elle autant que l'Univers31

Dans son Parallèle des Anciens et des Modernes, Perrault change aussi cette conception cyclique de l’Histoire en s’appuyant sur la théorie de la perfectibilité, qu’on peut définir comme la capacité parallèle de l’homme et de l’Histoire à s’améliorer dans tous les domaines, techniques, moraux et artistiques. Ce n’est pas parce qu’une œuvre a atteint un jour une forme de perfection que le progrès n’est plus possible. La meilleure des qualités est celle qui a une dynamique d’amélioration continuelle :

[...] Les apogées [...] semblent tendre de plus en plus à la perfection et décrivent, somme toute, malgré des mouvements rétrogrades et des temps intermédiaires de ténèbres, un progrès par étapes ascendantes32.

Pour Perrault la théorie cyclique est pessimiste car elle prévoit la décadence avant le progrès, alors que la théorie linéaire lui donne de la « joie » :

Je me réjouis de voir notre siècle parvenu en quelque sorte au sommet de la perfection. Et comme depuis quelques années le progrès marche d'un pas beaucoup plus lent, et paraît presque imperceptible, de même que les jours semblent ne croître plus lorsqu’ils s’approchent du solstice, j'ai encore la joie de penser que vraisemblablement nous n'avons pas beaucoup de choses à envier à ceux qui viendront après nous33.

Fontenelle, le moderne enthousiaste, s’oppose à l’admiration des Anciens en argumentant l’idée d’un progrès indéfini : « Rien n’arrête tant le progrès des choses, rien ne borne tant les esprits, que l'admiration excessive des Anciens34».

Il reconnait la perfection des Anciens en indiquant aussi leur imperfection. Que les Anciens soient les inventeurs de sciences, de lettres, ne signifie pas qu’ils sont plus intelligents

30 HARTOG, François, Régimes d'historicité : présentisme et expérience du temps, Paris, Seuil, 2003, p.

73.

31 DESMARETS DE SAINT-SORLIN,Jean, La Défense de la poésie et de la langue française adressée

à Monsieur Perrault [1675], cité dans La Querelle des Anciens et des Modernes de Marc Fumaroli, op. cit., p.

127.

32 SCHLOBACH, Jochen, « Pessimisme des philosophes? La théorie cyclique de l'histoire au

18e siècle », dans Theodore Besterman, dir., Studies on Voltaire and the Eighteen century, «Transactions of

the fourth international congress on the Enlightenment V », vol. c1v, Oxford, The Voltaire Foundation at the Taylor institution, p. 1976.

33PERRAULT, Charles, Parallèle des Anciens et des Modernesen ce qui concerne les sciences, 1690, p. 99. 34FONTENELLE, Bernard Le Bovier de, Digression sur les Anciens et les Modernes [1688], dans La

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que les Modernes ; mais il s’agit seulement d’une question de temporalité d’existence. Ils sont venus avant les Modernes, ce qui ne signifie pas qu’« ils avaient beaucoup plus d'esprit que nous. Point du tout ; mais ils étaient avant nous35».

Dénoncer la théorie cyclique de l’histoire aboutit à une théorie du progrès linéaire. Dans Les Digressions des Anciens et des Modernes de Fontenelle, selon Jochen Schlobach, le « critère du progrès continu se trouve surtout dans l'accumulation et la diffusion des connaissances qui garantissent une marche indéfinie des Lumières36». Cette accumulation fait

un bon esprit « composé de tous les esprits des siècles précédents37».

Contrairement aux partisans des Anciens qui se déclarent inférieurs aux Anciens, les Modernes ne trouvent aucune raison pour que les Anciens soient supérieurs aux Modernes. Dans l’esprit des auteurs modernes de la fin du XVIIe siècle, les Modernes sont capables de

créer des chefs d’œuvres qui égalent ceux des Anciens. Ils estiment même que les Modernes sont nécessairement meilleurs que les Anciens car ils sont arrivés dans un moment où les savoirs ont atteint une plus grande perfection par rapport à ceux qui les ont précédés. L’époque moderne a progressé par l’accumulation des traditions. Le progrès de l’esprit humain correspond aux progrès des sciences et des champs du savoir : les savoirs obtenus par les Anciens seront presque innés chez les nouveaux. L’accès aux savoir est radicalement transformé. Les savoirs des Anciens deviennent l’héritage des Modernes. C’est pourquoi les Modernes défendent leur supériorité par rapport aux Anciens. Ainsi les Anciens sont toujours remplaçables par des Modernes, non pas dans le sens que les Modernes peuvent remplacer les Anciens mais dans le sens que chacun a sa place à un moment donné.

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