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1-Le goût pour le naturalisme chez La Motte 353

L’espoir de la modernité a conduit La Motte à inscrire la fable dans un naturalisme qui représente la lutte vigoureuse entre le respect de la tradition et la science avec l’esprit de recherche, entre l’ardeur de ce qui est utile et l’appétit pour ce qui est vrai et éprouvé.

Le regard démystificateur que La Motte porte sur l’Iliade354 d’Homère fait écho à l’idéal de naturalisme qu’on trouve dans ses Fables Nouvelles.

Cette idée se manifeste par l’exigence de l’écrivain moderne de réduire l’écart entre l’image et ce qu’elle représente et de s’approcher un peu plus de la réalité scientifique des choses. Dans son Discours, La Motte prétend se référer à ce naturalisme pour dénoncer le manque de justesse de l’image dans les fables de La Fontaine. Mais par cette démarche il critique moins le naturalisme chez La Fontaine que le manque de conscience du peuple. À son époque, les gens prenaient les images figuratives pour des vérités, sans comprendre qu’il s’agissait d’une analogie ou d’un rapprochement. Cette position de la part des gens constitue un problème fondamental dans la compréhension d’une vérité. De là, surgit l’idée du naturalisme dans la fable355. Ainsi ce naturalisme ne s’arrête pas à ce que La Motte soit contre

l’image figurative et forcément pour l’image naturaliste. L’idée de La Motte est d’inviter son

353 Beaucoup de critiques modernes affirment que c’est l’apologue lafontainien qui fait

lentement émerger une nouvelle topique teintée de naturel qui bénéficie indistinctement des enseignements de la lecture érudite, de la conversation savante et de la promenade agreste. Marlène Lebrun dans Regard Actuel sur les fables de La Fontaine, constate que c’est « l’ambition de vérité morale

qui guide l’œil de La Fontaine vers plus de vérité naturelle, vers l’observation de la réalité zoologique, peu affranchie des lois de la typologie emblématique ». Marlène Lebrun, Regards actuels sur les Fables de La Fontaine, Presses Univ. Septentrion, 2000, p. 23.

354 Pour lui, l’épopée de l’Iliade repose sur l’événement historique et ce qui l’entoure comme

richesses poétiques stylistiques et esthétiques, qui ont pour fonction de rendre cet événement amusant et proche du cœur d’un public. Selon La Motte, l’esthétique stylistique ajoutée à cet événement historique, ne sert à rien au XVIIIe siècle car il ne correspond plus au goût du public de cette époque.

La Motte prend donc la position d’un historien qui s’intéresse à la vérité de l’existence de tel ou tel héros, à ses exploits et non pas à sa manière d’être ; donc ce qui intéresse La Motte c’est avant tout l’événement historique dépouillé de l’attrait de sa richesse esthétique stylistique.

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lecteur à avoir conscience que tout ce qu’il lit n’est pas forcément vrai. Il essaye de lui faire comprendre comment lire et comprendre une image.

Le regard de La Motte sur les animaux est tout à fait différent de celui de La Fontaine. Ce deuxième observait les animaux parce qu’il était maître des eaux et forêts. En revanche, notre fabuliste moderne était aveugle quand il a commencé à écrire ses fables. Son attitude vers les animaux n’est alors pas directement personnelle. Au lieu d’observer la nature, il se plonge dans les livres de savants et explorateurs de son époque356. Son originalité à lui, c’est

d’introduire le naturalisme dans le genre de la fable.

Inscrit dans le courant de l’observation et de l’expérimentation du Père Lamy357 et de

Malebranche358, le début du XVIIIe siècle voit la publication de grands tableaux d’histoire

naturelle telle que le Traité de l’existence et des attributs de Dieu de Fénelon en 1712 et le Spectacle de la nature de l’abbé Pluche en 1732359. L’œuvre de La Motte se situe au carrefour des différents

courants naturalistes de son époque360. Son rejet de l’ajustement déformant des auteurs

anciens participe d’une volonté de s’affranchir d’une tutelle réductrice et corruptrice pour s’ouvrir à la modernité féconde et au progrès scientifique.

356 Les connaissances de La Motte sur l’écrevisse viennent peut être de Réaumu. En 1712, ce

dernier a constaté les phénomènes curieux de la reproduction des pattes des crustacés comme les écrevisses, les homards et les crabes, qui régénéraient leurs membres perdus ou qui leur avaient été enlevés. Son livre Observations sur les diverses reproductions qui se font dans les Écrevisses, les Homards, les Crabes, etc., et entre autres sur celles de leurs jambes et de leurs écailles (1712) ; Additions aux observations sur la mue des Écrevisses (1718).

357 Le père Lamy dans son Entretien sur les sciences de 1683 fonde sa conception de l’expérience

pour rechercher les faits de la nature. Il incite à faire des analyses sur les animaux, les plantes, les poissons, « pour ouvrir la nature qui nous a été fermée à présent » affirme-t-il.

358 Malebranche, ne se tarde pas à appliquer la méthode du père Lamy pour faire des analyses

dans la nature pour découvrir ce qui l’entoure. Voir H. Gouhier, La Vocation de Malebranche, Paris,

Vrin, 1926, p. 66-68. Malebranche : 1638-1715, oratorien en 1660, membre honoraire de l’Académie des Sciences en 1699.

359 La fin du siècle quant à elle, est marquée par l’apparition de la Zoologie universelle de l’abbé

Rayen (1788), suivie plus tard de l’Histoire naturelle des oiseaux, des reptiles et des poissons de l’abbé Bourassé

(1840).

360 A voir à ce propos l’article Éric Baratay, « Zoologie et Eglise catholique dans la France du XVIIIème

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