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De la nature de la fable dans le Discours de La Motte

Dans le discours de La Motte, l'analyse consiste à partir d’un genre qu’on a déjà pratiqué, de manière à établir ses propriétés. Il poursuit dans cette voie jusqu'à produire assez de propriétés pour caractériser ce genre. La Motte suit l’esprit de la géométrie analytique : il cherche à formaliser la fable dans une équation. Nous percevons cet esprit de la géométrie analytique chez la Motte par sa volonté de choisir un repère, qui serait le plan indispensable et constant dans toute fable. Il cherche à exprimer un rapport entre les éléments de la fable par un procédé géométrique ; son but est d’obtenir une règle de type « équation ». Cette équation est soumise à un objectif, un repère invariable. Tous les autres éléments seront décrits relativement à ce repère, qui est l’instruction dans la fable. Pour clarifier son texte, la Motte cherche à classer les constituants par des définitions.

L’étude littéraire de La Motte sur le genre s’est attachée à montrer la spécificité discursive de la fable, en particulier en ce qui concerne le langage allégorique. Ce fabuliste moderne définit la fable sur deux axes que nous envisagerons tour à tour : l’axe poétique et l’axe rhétorique.

La définition poétique se manifeste dans la composition structurale de la fable et dans le fait de la considérer comme un genre indépendant. Quant à la définition rhétorique, elle se manifeste par l’utilisation de la fable pour faire un enseignement par comparaison, selon le style de l’insinuation qui est aussi une stratégie de persuasion. Cela nous montre aussi que le style chez La Motte se manifeste sur deux niveaux : le niveau poétique est ce qui concerne le style de l’époque (l’ornementation) et le style de l’insinuation.

I-L’élaboration d’une définition géométrique

poétique et structurale

La définition que propose La Motte est la suivante : « La fable est une instruction déguisée sous l’allégorie d’une action211».

Le schéma théorique de cette définition est une pensée de l’ordre, des rapports fermes et immuables, infiniment reproductible. La Motte trouve, dans la fable, le champ d’application d’un système, c’est-à-dire qu’il applique à la fable une théorie où chaque facteur ne peut être

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supprimé sans que cela n’entraine de modification de la fable. La coexistence des éléments déterminés dans la fable est la synthèse que fait La Motte en observant le genre de la fable. Fixer la structure du genre pour donner une définition était sa méthode : « Il est le premier à proposer une définition détaillée contenant les premières structures du genre212». Le premier

souci de La Motte est alors d’élaborer une définition explicite et claire de la fable. Il cherche à expliquer la fable à partir de la place qu’elle occupe dans la poétique des genres. Ainsi il définit la fable par les relations d’équivalence ou d’opposition qu’elle entretient avec les autres genres213. De ce fait, la fable est un type d’arrangement qui fonctionne comme un ensemble

de rapports de production. Chaque élément constitutif s’inscrit dans un environnement fonctionnel par rapport aux autres, où tout fonctionne dans une seule fin, sans effacer le caractère propre de chaque élément214.

On se trouve, avec cette définition, à la fois dans la suite de la tradition antique rhétorique d’Aphtonios et dans la préfiguration des théories formalistes215. Ainsi La Motte se

positionne comme un chercheur structuraliste dans le sens où il essaye de trouver une structure fixe et des règles qui régissent la fable216.

Dans cette définition-là nous constatons que les éléments constitutifs et leurs relations sont déterminés par la structure de la fable. Il y a une hiérarchisation des éléments dans la fable qui correspond à la finalité didactique que La Motte considère comme prioritaire. La Motte enlève toute particularité, toute action caractéristique sur la détermination de la structure finale de l’édifice didactique qu’il appelle la fable. C’est par cette interaction qu’il situe la fable parmi les genres littéraires. De fait La Motte met en valeur le mot « instruction217» en débutant sa définition par ce mot. On ne lit pas que la fable est une fiction

ou que la fable est une histoire animalière où les bêtes parlent, mais que la fable c’est l’enseignement que l’homme peut acquérir des aventure de ces animaux. Elle est avant tout une instruction en vue de l’éducation. La Motte définit la fable par son but premier qui est la formation de l’homme. Il ne dit pas par exemple que la fable est une « fiction instructive » car

212 MOALLA Abderrahman, Le genre de la fable en France au XVIIIe siècle (thèse de l’Université de

Grenoble), 1980.

213 Par rapport à une philosophie, une épopée, un conte , un récit, une allégorie.

214 Si l’allégorie est nécessairement présente c’est pour la simple fonction d‘instruire en

ménageant l’amour propre de celui qui veut s’instruire en s’amusant.

215 Ce qui nous attire vers La Motte c’est cet aspect de pré-modernité. Sa démarche intellectuelle

a une parenté avec celle de Foucault.

216 Dans ce sens, on pourrait rétorquer que La Fontaine est plus moderne que La Motte car tout

comme les poststructuralistes que nous sommes, il ne cherche pas une structure unique et quelque peu autoritaire de la fable.

217 Dans sa définition, La Motte insiste sur l’importance de l’instruction, qu’il distingue de

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la fiction, même si elle est adressée à l’enseignement, ne produit pas forcément de fable. Nous remarquons bien que « l’action allégorique » ne fonctionne pas toute seule, le déguisement non plus ; tout doit jouer son rôle pour instruire. Pour examiner cette définition, il vaut mieux parler en langue de géométrie : La Motte a fait un théorème qui dit « la fable est une instruction déguisée sous l’action d’une allégorie » et, pour prouver ce théorème, La Motte nous offre un livre de fable, qui est une démonstration de ce théorème. Mais La Motte n’a pas du tout essayé de démontrer la réciproque de son théorème c’est-à-dire que « toute instruction déguisée sous l’action d’une allégorie est forcément une fable ».

La Motte démontre par une argumentation déductive la validité de son théorème. En lisant ses fables nous certifions que ce théorème est correct. Mais si nous analysons cette définition géométrique en détail nous remarquons bien qu’il n’a pas défini l’allégorie ou l’action de la fable ou le déguisement.

II-L’élaboration d’une définition rhétorique,

pratique par son aspect éducatif

La fable pour La Motte est une structure et une fonction. Après avoir définit la fable d’un point de vue structuraliste, on a une définition par fonction. La Motte s’intéresse à la fonction de la fable et à l’effet de cette fonction sur le lecteur.

L’œuvre de La Motte conjugue la tradition de l’enseignement jésuite et l’esthétique rationnelle au profit d’un projet d’éducation morale. La Motte se pose comme théoricien d’un art de parler dans lequel l’éducation morale s’épanouit. La fable, chez lui, est ainsi une branche de la rhétorique dans le sens où, par son style d’insinuation, elle devient un art de bien dire afin de persuader. La fable entend allier une pratique efficace de la parole à une expérience réfléchie du discours.

Dans son discours sur La Fable, La Motte réagit paradoxalement à l’égard des fables de La Fontaine : d’une part, il est sensible au pouvoir littéraire de ce genre, surtout la question de la séduction littéraire qui se manifeste par la tromperie. D’autre part, son regard critique et analytique se dirige strictement sur la valeur éducative de la fable. En dépit donc de sa sensibilité au charme qu’offrent les fables, La Motte choisit de préférence de s’occuper rigoureusement de la leçon que l’on peut en tirer.

La fable est considérée en tant que stratégie didactique qui contient des valeurs et des principes de vie à transmettre aux générations futures, par l’intermédiaire d’une allégorie ou d’images symboliques.

122 Marmontel définit ainsi l’insinuation :

Tour d'éloquence qui consiste à présenter à un auditoire, au lieu de l'objet qu'on se propose, et pour lequel on sait qu'il a de la répugnance ou de l'éloignement, un autre objet qui l'intéresse, et qui, par ses rapports avec l'objet dont il s'agit, dispose d'abord les esprits à ne pas en être blessés, et les amène insensiblement à le voir d'un œil favorable.218

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