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La renommée de La Fontaine à son époque Genre mineur, qui n’est même pas considéré comme genre, la fable est devenue sous la

extension à la querelle d’Homère

II- La renommée de La Fontaine à son époque Genre mineur, qui n’est même pas considéré comme genre, la fable est devenue sous la

plume de La Fontaine un genre poétique. A l’instar du poète latin Phèdre, La Fontaine faite de la fable un poème. Dans le paysage de la littérature française à l’époque de leur publication, les fables de La Fontaine font exception69. En quelques décennies et jusqu’à nos jours, elles

sont devenues une œuvre universellement admirée.

La Fontaine n’est pas le grand fabuliste connu parce qu’il aurait inventé la fable, mais parce qu’il a affiné et déplacé ce genre. Il est le fabuliste, « l’auteur », par son style poétique. Comme les autres, il emprunte ses sujets aux grands fabulistes de l’Antiquité tels qu’Ésope, Phèdre, Babrius et aux quelques humanistes du XVIe siècle70. Il le dit lui-même dans la

dédicace de son premier recueil : « je chante les héros dont Ésope est le père ». Ce qui distingue l’imitation de La Fontaine c’est qu’elle est créative et non pas une simple traduction ou adaptation. Il se sert des modèles comme matière brute pour une nouvelle création. Chez La Fontaine, le thème est ancien, mais tout le reste est nouveaucomme le confirme Léon

Levrault. La Fontaine ne compose pas de fables, mais semble les écrire à la manière d’une

conversation : il voit ce qu’il écrit, son style paraît naturel. Nous pouvons dire que La Fontaine n’est pas avant tout un imitateur des Anciens mais qu’il a réussi à devenir un fabuliste inimitable. Il s’est attaché aux récits de ses fables en en développant les circonstances. Il est inimitable dans son art du récit, non pas d’après la hauteur de son style mais d’après son rapport au badinage. Le badinage est bien un caractère inimitable des fables lafontainiennes, c’est-à-dire la capacité de changer de registre dans la même fable, de s’adapter à la bouche et au cœur des acteurs, selon leur tempérament mais aussi selon leur situation. Selon Patrick Dandrey, La Fontaine est un auteur de ton c'est-à-dire « le choix d’une coloration qui pénètre en nous (les lecteurs) non pas par l’intellect mais par le sensible qui est en résonnance avec notre cœur71 », la Fontaine trouve toujours le ton adapté à toutes les

situations. Le ton inimitable de La Fontaine fait sa spécificité. Le savoir-faire poétique de La Fontaine l’a poussé à s’élever au-dessus des règles classiques imposées à son époque. Cette prise de liberté par le fabuliste dans le domaine de la versification se manifeste dans son choix

69 A l’époque de La Fontaine, la fonction didactique de la fable s’éclipse pour céder à

l’amusement de la société mondaine. L’introduction de la poésie à la fable par La Fontaine en fait un genre autonome. Voir à ce propos JONG-IK WON, La fable en France au XVIIe siècle après le 1er

recueil des fables de La Fontaine, thèse, p. 282-238

70 Marot était une référence pour lui pour son style.

71 « Jean de La Fontaine (1621-1695) : Une vie, une œuvre » Licence YouTube standard,

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de mètres variés. Il fait des vers de différentes longueurs : nous pouvons trouver un vers de six syllabes encadré par des alexandrins. Ces vers mêlés permettent au fabuliste de réciter ses histoires en badinant. Cette transformation des fables des Anciens en une œuvre poétique agréable bien ornementée est la preuve du génie poétique de La Fontaine, qui fait de son œuvre une référence obligatoire et un modèle difficile à imiter.

Au XVIIe siècle, la Fontaine est au centre des préoccupations de ceux qui veulent écrire

dans le même genre. Ils se sentent paralysés car ils trouvent que la fable comme genre a connu son apogée. C’est ce que confirme Léon Levrault dans son manuel consacré à la fable, peut-être lacunaire mais très clair et instructif pour nous :

On peut dire que La Fontaine a fait obtenir à la fable ses lettres de noblesse en la plaçant au niveau des genres poétiques traditionnels. En revanche, à l’instar d’Ésope pour les Grecs, le fabuliste est devenu la personnification même du genre72.

La Fontaine incarne la fable. Il fait de la fable, considérée de son temps comme peu digne de prouver le talent d’un poète, un genre nouveau, vaste et varié, apte à embrasser tout le cercle des idées humaines, depuis la plus haute spéculation de la philosophie jusqu’aux plus humbles préceptes de la vie commune. Il s’est approprié tous les styles depuis le langage simple, mais harmonieux et cadencé, d’une muse gracieuse et familière, jusqu’aux plus sublimes élans de l’enthousiasme poétique.

Cette grande réussite a été un obstacle aux autres fabulistes contemporains et postérieurs. Tous les fabulistes avouent et reconnaissent le talent poétique de La Fontaine. Mais cette reconnaissance est assez souvent entachée par une condamnation pour l’absence ou l’ambigüité de la morale dans ses fables. La fable n’est pas considérée comme un genre poétique seulement, mais elle est aussi un genre qui tend à enseigner, à instruire. Or La Fontaine en écrivant ses fables ne cherche pas à être l’unique fabuliste moderne, il dit qu’il ouvre la route devant ceux qui viennent après lui, il l’a annoncé dans sa préface :

Il arrivera possible que mon travail fera naitre à d’autres personnes l’envie de porter la chose plus loin. Tant s’en faut que cette matière soit épuisée, qu’il reste encore plus de fables à mettre en vers que je n’en ai mis. J’ai choisi véritablement les meilleures73.

La Fontaine a ouvert le chemin devant ses successeurs ; il a laissé une partie des fables ésopiques à réécrire. Nous voyons là un encouragement pour l’émulation, même s’il pense avoir choisi les meilleures fables, ce qui est un jugement de valeur qu’on peut contester. Son but n’est pas seulement de mettre la fable en vers mais de donner une valeur à ce genre, de le

72 JANSSENS, Jacques, La fable et les fabulistes, Bruxelles, Office de publicité Janssens 1955, p. 52. 73 La Fontaine, La Fontaine Fables, par René Radouant, nouvelle édition, Classique Hachette, 1929,

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hausser au niveau des autres genres. Il choisit ce qui lui semble les meilleurs fables. Mais par la force créative de ses fables, il a fini par éclipser tous ses contemporains et la plupart de ses successeurs.

Nous nous appuierons sur La Fable et les fabulistes de Jacques Janssens (1955), sur le manuel La Fable, évolution du genre de Léon Levrault (1905), sur le livre de Jean-Noël Pascal (La Fable au siècle des Lumières : 1715-1815 : anthologie des successeurs de La Fontaine, de La Motte à Jauffret (1991), sur un article de Jean-Noël Pascal, « De quelques stratégies préfacielles chez les fabulistes après La Fontaine (1715-1820) », où l’auteur distingue trois attitudes dominantes chez les successeurs du Bonhomme.

III-les continuateurs de La Fontaine, imitateurs

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