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3-La manière d’introduire le naturalisme dans les fables

Pour définir le naturalisme chez La Motte, nous pouvons dire qu’il repose essentiellement sur « la justesse de l’image », qui nécessite une juste peinture des qualités des personnages : « prenons de l’animal les véritables traits » dit La Motte363. Dans deux de ses

prologues qui précédent des fables364, La Motte précise toujours qu’il rend à ses acteurs

animaux leurs exacts caractères et affirme la justesse de son image365 : « Il faut à la nature être

toujours fidèle », ainsi « ne point faire du loup l’allié des brebis366 ».

Dans les Fables Nouvelles, l’acteur animal n’a plus seulement la fonction de représentation des travers humains, cependant il est illustré et peint selon sa propre nature

362 Éric Baratay, « Zoologie et Eglise catholique dans la France du XVIIIe » article. Gurau,,

Nouvelle Intervention de Chasse ( Paris éd. de 1888) ch, 3 et 4), 5, 19-20 À la suite de Pline et de Virgile, le curé, Pierre Louis Gruau, croit que « les loups d’Italie ont les yeux pleins de poison et que leurs haleines les rendent muet. Et que le curé Louis Bail reprend les dires d’Aristote à propos de la scolopendre de mer qui rejette ses entrailles pour se défaire de hameçons avalés. L’auteur de l’article met l’accent sur les religieux qui n’observent pas la nature, et qui comptent sur ce qui a déjà été écrit sur les animaux, même si ce sont des animaux fantastiques, et qu’ils prennent pour des vérités.

363 « Le Renard et le Chat », (I, 4), p. 65.

364 Il s’agit de « l’écrevisse qui se rompt la jambe » et du « chat et du renard »

365 La notion de la justesse de l’image ici est différente de celle de la justesse entre l’allégorie et son

interprétation morale. La justesse de l’allégorie, c’est la justesse du raisonnement qui peut conduire le lecteur à la moralité, c'est-à-dire la justesse de l’analogie qu’il y a entre le monde de la fiction où il y a les animaux qui font une histoire ou un conflit etc. et le rapprochement que le lecteur est invité à faire avec ce qu’il a lui dans le monde humain ; donc la justesse de l’allégorie repose sur la validité du raisonnement moral, c’est la transposition du monde animal au monde humain.

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avec le plus de vérité possible. Finalement, il quittera le statut d’image de l’homme au sens symbolique et allégorique de l’emblème pour atteindre celui d’un être à part entière, mis en correspondance avec d’autres êtres vivants. Tout en symbolisant les hommes dans le genre de la fable, il nous apparaît, à nous lecteurs, que la présence physique des animaux n’est pas indispensable. La Motte conçoit cette vision différemment : chez lui, ce n’est pas seulement le caractère allégorique des animaux qui est intéressant mais aussi la justesse naturelle de leur caractère. Il est important de noter que d’un côté les acteurs sont des « figures » servant à l’instruction morale et que de l’autre côté ils sont des « personnages » pour construire le récit et pour enseigner la réalité concrète. Cette nouvelle méthode naturaliste est la marque de l’originalité de La Motte qui, en tant qu’homme des Lumières, s’intéresse à la science biologique. Pour lui, considérer les animaux des Fables sur un plan purement allégorique est une grande erreur.

Les animaux qui vivent dans la fable constituent avec leur immense diversité leur bestiaire. Ils figurent en tant que symbole des hommes, toutefois, ils figurent en tant qu’eux- mêmes367.

Mais ce scrupule naturaliste rencontre aussi ses limites. La Motte, en tant que fabuliste- peintre animalier, est aussi l’héritier d’une tradition antique peu soucieuse d’exactitude zoologique : dans ses fables, chaque animal conserve les traits les plus habituels que lui attribue, depuis des siècles, non vraiment la nature mais surtout la culture. D’ailleurs, chez La Motte, la poétique de la fable ne se lasse guère d’essayer de donner aux « acteurs » des fables le statut « d’authentiques personnages » et non pas celui de simples « figures », et à fournir les éléments nécessaires à la richesse de ces acteurs.

Si les animaux sont considérés comme une représentation des penchants et des passions humaines, il s’agit moins de s’intéresser à l’exactitude biologique qu’à l’aspect figuratif traditionnel des animaux. La Motte est moins un fabuliste naturaliste qu’un fabuliste moraliste. En dehors de quelques déclarations de principes, les animaux ne sont pas considérés ou envisagés prioritairement sous l’angle zoologique. Ainsi, la fable qui est une instruction morale allégorique chez La Motte devient à quelques occasions en même temps un document d'ordre zoologique.

La Motte impute à La Fontaine un certain nombre d'erreurs ; il le critique au nom de l’invraisemblance. Même si La Motte ne prétend pas à écrire une encyclopédie du monde animal, il préfère donner aux animaux leurs vrais caractères. Il fait des fiches descriptives qui contiennent un résumé des informations sur les animaux. Il insiste sur l’idée que les acteurs de

367 A voir J.-N. Pascal, « La ménagerie des fabulistes des Lumières », dans L’animal des Lumières

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la fable soient peints avec justesse et rigueur : « la fable ne veut rien de forcé, de bizarre368».

Pour que la fable fasse sens, pour que l’image soit juste, il faut que les acteurs soient justement peints, même si ce ne sont pas des animaux. Il faut photographier les objets, décrire exactement les idées, se conformer à la nature des choses, tout en restant « vraisemblable », c'est-à-dire crédible, ne pas choquer l’opinion commune, présenter les choses telles que chacun les attend.

Nous pouvons signaler que malgré les prétentions de La Motte, la peinture des animaux dans ses fables n’est évidemment pas tout à fait réaliste : l’humanisation des animaux est effectuée selon une représentation anthropomorphique privilégiant une lecture morale. Mais les traits de caractère, les mœurs prêtées aux différentes espèces, les habitudes et les tempéraments des animaux dépeints leur sont soigneusement attribués.

A-Image traditionnelle et image fondée sur une vérité scientifique

Nous allons essayer de montrer aussi que les vérités scientifiques sur lesquelles compte notre fabuliste sont les vérités qu’on a affirmées soit par la science soit par les croyances. C'est-à-dire que certains comportements qui nous paraissent incroyables relèvent en fait de croyances fautives que La Motte a prise pour vraies.

Dans le choix des images, La Motte établit une distinction entre la vraisemblance de l’observation ou celle fondée sur le savoir savant, et la justesse de l’image qui est conforme aux stéréotypes et à la tradition369:

Les acteurs les moins usités, les plus bizarres deviennent naturels, et méritent même la préférence sur d’autres, dès qu’ils sont les plus propres soit par l’agrément, soit par la justesse, à représenter la vérité dont il s’agit370.

Il ajoute que l’image dans la fable doit être naturelle, c'est-à-dire « fondée sur la nature, ou du moins sur l’Opinion371». Cette association entre la nature et l’opinion étonne beaucoup

aujourd’hui mais est ordinaire dans les siècles classiques. Les images doivent être fondées sur l’opinion, sur la manière de penser partagée. Cet accord gouverne la conformité des idées qu’on a des choses, demande de faire attention aux symboles choisis, de donner aux animaux leurs caractères exacts, l’important étant de reste logique et cohérent.

368 « Le Renard et le Chat », (I, 4), p. 65.

369 C’est la sémantique qui va s’intéresser à la question de la représentation figurative, et la

sémiotique qui va aborder les multiples définitions de la figure.

370 Houdar de La Motte, op.cit., Discours sur la fable, p. 29. 371Ibid. p. 20.

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