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1-Les fabulistes contemporains à La Fontaine.

Les contemporains de La Fontaine ont aussi écrit des fables, parce que c’était courant à cette époque d’écrire des fables. Mais les fables de La Fontaine ont été en leur temps si célèbres que les autres fabulistes ne pouvaient les ignorer. Son nom seul désigne la fable74.

Nous pouvons distinguer deux catégories de fabulistes à son époque : ceux qui craignent de se mettre en concurrence avec le Bonhomme, ceux qui estiment qu’il est possible d’entrer en rivalité avec lui.

Certains puisent dans les mêmes sources que La Fontaine et traitent des mêmes sujets, comme le très laconique Isaac de Benserade (1612 ou 1613-1691) dont les courtes fables ont l’honneur d’être gravées pour décorer le bosquet du Labyrinthe du château de Versailles75.

74 La Harpe dit à ce propos : « nommer la fable c’est nommer l’auteur ; le genre et l’auteur ne

font qu’un », ce qui est un grand éloge pour La Fontaine et sa réussite. Eloge de [Jean- François] de La Harpe, membre de l’académie française, de toutes les académies de l’Europe, et professeur de littérature au lycée de Paris prononcé à l’ouverture des séances, par René Chazet, Paris 1805, p. 20.

75 BENSERADE, Isaac (de) , Les Fables d'Ésope mises en quatrains, dont il y a une partie au Labyrinthe de Versailles, Paris, Mabre-Cramoisy, 1678. Ses fables forment un décor animé, inspiré des fables

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Nommons aussi Charles Perrault qui traduit en vers français des fables de Faërne. La plupart de ces fabulistes se reconnaissent inférieurs à La Fontaine. Perrault dit à ce propos :

Quoique ma traduction [des fables de Faërne] soit fort exacte, hors en quelques endroits, où j’ai cru pouvoir m’en dispenser, et qu’elle ait la brièveté et la clarté si recommandable dans une narration, je n’ai garde de l’oser comparer, ni même leur original, aux fables de M. de La Fontaine : les nôtres ressemblent à un habit d’une bonne étoffe, bien taillée et bien cousue, mais simple, toute unie ; les siennes ont quelque chose de plus, et il y ajoute une riche et fine borderie qui relève le prix infiniment76.

Quant à Edme Boursault (1638-1701), il a eu l’étrange idée « de transporter l’apologue sur le théâtre77 ». Il met en scène Ésope qui récite des fables dans Les Fables d’Ésope ou Ésope à

la ville (1690) une comédie en cinq actes et Ésope à la cour (1701), une comédie héroïque. C’était une manière pour censurer la société et critiquer ses vices et ses mœurs. Boursault lui-même avoue la supériorité de La Fontaine, il écrit dans la préface d’Ésope à la cour :

Il ne faut, que comparer les fables de M. de La Fontaine avec celles que j’ai faites, pour voir que c’est lui qui est le maître. Les soins inutiles que j’ai pris de l’imiter m’ont appris qu’il est inimitable78.

De son côté Le Noble a essayé d’être original en introduisant la fable politique79. Mais

le problème est que quand les fabulistes parlent des sujets qui ne sont pas universels, qui concernent une période précise ou des actualités, la fable est condamnée à l’oubli, parce que ce qui amuse le lecteur dans cette période précise va perdre sa valeur plus tard80. C’est

pourquoi les fables de Le Noble sont tombées dans l’oubli81. Nous remarquons que les fables

à l’époque de La Fontaine et après ses premiers livres sont des fables hybrides, des fables- épigrammes ou des fables théâtrales.

Les contemporains de La Fontaine n’avaient pas vraiment l’intention de rivaliser avec lui mais ils tentent d’écrire des fables parce que ce genre est courant à cette époque : il a du succès, notamment dans les salons.

La deuxième catégorie de fabulistes cherche une autre solution. Mis à l’étroit, comme tant d'autres, par le poids du génie de La Fontaine, ils se tournent vers d’autres sources, non

76 Les Fables de Faërne, trad. en vers français par Charles Perrault, Gerard Onder de Linden, éd

1718, Préface.

77 Léon Levrault, op.cit., p. 117. 78 Jacques Janssens, op.cit., p. 59.

79 LE NOBLE, Eustache , La pierre de touche politique. La fable du Renard, William Dewking, 1690. 80 Selon l’auteur de La Fable et les fabulistes, Janssens, « la fable politique prend sa substance dans

l’actualité, et l’actualité est changeante80 ». C’est pourquoi La Fontaine s’est éloigné de La Fable

politique qui normalement tombe dans l’oubli. (Jacques Janssens, Office de Publicité, 1955, p. 60.)

81 Il est lieu de préciser cependant que les contes et les fables de Le Noble, en 1697, présentent,

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pas les Anciens mais des sujets inventés82. Furetière (1619-1688) et Desmay (mort en 1699)

ouvrent l’école de l’invention des fables. L'Ésope du temps83 (1677) et L'Ésope Français sont les

deux recueils de M. L. S. Desmay. Furetière, un émule contemporain de La Fontaine, chez qui la préoccupation pédagogique s’affirme, a publié des Fables morales et nouvelles (1671) dont il a inventé les histoires. Par désir de nouveauté, il aboutit à l’invraisemblance et choisit même pour héroïne d’apologue les Chimères, c’est- à- dire les imaginations vaines qui logent dans la cervelle des hommes84. Pour lui, La Fontaine a rendu honneur aux fabulistes anciens, « par la

nouvelle et excellente traduction qu’il en a faite, dont le style naïf et marotique est tout à fait inimitable, et ajoute de grandes beautés aux originaux85. » Furetière prend parti contre

l’immoralité des fables de La Fontaine, tout en reconnaissant la simplicité de son style. Ce qui est remarquable chez Furetière c’est de reconnaitre la supériorité de La Fontaine en matière de style : La Fontaine a relevé son sujet « par la beauté de son style, et ses heureuses expressions ». Naturellement il se prononce inférieur par rapport à lui sur ce point. C’est ainsi qu’il a recours à l’invention non pas d’un style mais de fables morales et nouvelles.

Ce qui nous est intéressant dans notre recherche c’est la nouvelle génération de fabulistes, à laquelle Fénelon apporte un exemple fécond d’invention, en lui apportant la respectabilité des Anciens. Les fables de Fénelon ne sont pas son œuvre la plus célèbre, mais elles ont marqué leur époque. La Motte s’inscrit dans la deuxième catégorie, parce qu’il invente des sujets, tout en affirmant sa modernité.

Nous allons voir que La Motte ne se contente pas d’écrire des fables, il écrit aussi un discours sur la fable qui sera un référent pour les fabulistes théoriciens après lui. Tout comme Furetière, il essaye de contourner La Fontaine en rêvant d’une fable pédagogique et nouvelle.

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