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Les inconvénients de l’utilisation des acteurs abstraits

1-Les abstractions comme de « nouveaux acteurs 339 » dans

C- Les inconvénients de l’utilisation des acteurs abstraits

Le risque que nous pouvons rencontrer en utilisant les abstractions est de rendre plus difficile la réception du texte. Certes l’idée est présente avec son nom propre et est comprise de manière transparente par celui qui la connaît déjà. Mais l’écart entre le représenté et le représentant est un avantage : instruire un enfant par le biais d’acteurs abstraits, qui ne lui évoquent rien, qui ne peuvent pas être touchés ou dessinés, risque de nuire à la transmission de la leçon. Pour l’efficacité didactique, pour autant que nous puissions en juger, il ne faut pas mettre d’acteurs abstraits. C’est illogique pour un enfant d’entendre ou de lire des fables sur des notions qui ne conviennent pas à sa capacité de compréhension. Nous allons voir l’avis des critiques contre cet usage des abstractions dans le paragraphe suivant.

Le public de l’époque de La Motte ne concevait guère l’apologue que construit autour de personnages animaliers, comme dans une fable ordinaire, ou d’humains, comme dans une

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parabole344. Les lecteurs du temps de La Motte n’ont pas apprécié les acteurs abstraits et ne se

sont pas identifiés à eux. Cette nouveauté des abstractions personnifiée dans une fable a fait l’objet de critiques à cette époque-là. Le premier à les critiquer c’est Gacon345.

Le Père Mourgues remet en cause l’utilisation d’acteurs abstraits et estime qu’il est difficile de juger à quel point on peut animer et personnifier les sentiments, les idées, les nombres, parce que ces choses paraissent moins capables de vie346. Il souligne la difficulté de

déguiser des êtres invisibles, des idées, des pensées ; cacher l’invisible est une contradiction dans les termes. Autrement dit, il n’y a pas de symbole représentatif pour des abstractions. Nous pouvons rétorquer que La Motte les nomme par leur nom :

Tout peut agir dans une métaphore, mais non pas dans une Allégorie suivie telle que la Fable. C’est à un goût fin et naturel qu’il appartient de choisir le sujet, et de voir si l'âme

qu'on lui donne n’en fait point un être bizarre, un monstre capable de rebuter, plutôt qu’un acteur propre à plaire347.

En tant que rhéteur348, nous comprenons la réaction de ce Père qui considère que les

abstractions sont des allégories forcées. C’est-à-dire qu’il y a trop d’écart entre l’univers de ce que le fabuliste veut représenter et ce qu’il utilise comme sa représentation.

Quant à Joannet, il définit l’apologue par les acteurs, il adopte le point de vue de La Motte de s’adresser à toute sorte de lecteur :

Mais les brutes ne sont pas les seules d'où nous puissions tirer des principes de conduite et des leçons de morale. Nous en pouvons trouver dans les êtres insensibles et dans les objets même inanimés. Lorsque le Poète a découvert dans ces créatures, quelque rapport entre leur nature et nos mœurs, il les anime, il les personnifie en leur prêtant une espèce de vie, un langage proportionné à leurs qualités naturelles, et il en fait les Acteurs de cette espèce de Poème que nous appelions Apologue. Les simples modifications des êtres, les affections, et

les passions de l'âme, peuvent aussi lui servir à former ces allégories ; et c'est peut-être dans

celles-ci seules qu'il lui est permis, et qu'il est même quelquefois obligé de s'écarter de cette simplicité qui doit faire le caractère de toutes les autres espèces de Fables. On n'est pas

344 Il n’y avait pas encore une définition large de la fable comme dans nos jour, pour cette

époque-là les personnages habituels de la fable ce sont des animaux.

345 A voir à ce propos, les fables de Mr Houdart de La Motte traduites en Vers par le poète sans fard.

et se vend au café du- Mont- Parnasse. Antoine Houdar de La Motte, , Le P. S. F. 1715

346 Le Père Mourgues divise les acteurs entre animés et non animés, supérieurs et inférieurs,

inanimés en mouvement, ce qui est visible et invisible. Il affirme que le fait que les animaux sont des êtres vivants est à l’origine de leur choix dans les fables et que les plantes aussi sont des êtres vivants admis comme acteurs aussi : « Tout ce qui a quelque sorte de vie peut encore être mis au même rang que les animaux, du moins dans un rang peu inférieur. Ainsi les plantes, les fleurs peuvent paraître sur le Théâtre de la fable », p. 288 Pour les être inanimés ou les objets : « Quant au corps inanimés, mais qui ont quelque mouvement, comme les astres et les fleuves, ils ont sans contredit leur rôle, fans bleffer la vraisemblance. Il en est de même en un mot de tout ce qui est visible, soit naturel, soit artificiel. », Bumory,op ;cit., p. 287.

347 Bumory, op.cit., p. 287-288.

348 Dans la tradition des rhéteurs ou des professeurs des rhétorique ce qui est important pour

une figure de rhétorique c’est qu’elle soit naturelle. Il y a des comparaisons qui sont interdites parce qu’elles paraissent ridicules ou exagérées ou qu’il y a trop d’écart entre le comparant et le comparé.

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surpris de trouver dans ces dernières des pensées fines, des sentiments délicats, des expressions figurées, un style élégant & poli, des images empruntées de la nature la plus cachée ; cet assortiment paraît essentiel aux idées abstraites et métaphysiques qui font personnage dans ces sortes de Fables. Je me contente de vous donner un exemple de ces derniers, comme moins communes que les autres349.

Batteux aussi critique l’usage des abstractions chez La Motte car pour l’apprentissage on a besoin de ce qui est concret :

On a vu non seulement le loup, l’agneau, le chêne et le roseau, mais encore le pot de fer et le pot de terre jouer les personnages. Il n’y a que Dom Jugement et Demoiselle Imagination et tout ce qui leur ressemble qui n’ont pas pu être admis sur théâtre ; parce que, sans doute, il est plus facile de donner un corps caractérisé à ces êtres purement spirituels, que de donner de l’âme et de l’esprit à des corps qui paraissent avoir quelque analogie avec nos organes.350

René Alexandre de Culant, dans son livre La Morale enjouée351, fait une fable intitulée « Jugement, Mémoire, Imagination ou l’homme de bon sens, le poète et le pédant » pour adresser une sévère critique contre l’introduction des acteurs abstraits dans les fables de La Motte. Cet auteur essaye de montrer qu’on peut faire des fables sans même faire des allégories car les animaux, les abstractions, les plantes peuvent être remplacées par des acteurs humains352.

L’allégorie faite par des abstractions selon cet auteur relève donc de « vains ornements ». Il reprend une fable de La Motte et il remplace ses acteurs par d’autres :

349 JOANNET, Eléments de Poésie Française Seconde section de la Troisième Partie. , Vol 3, Article II

De L’apologue p. 26.

350 BATTEUX, Charles, l’abbé, Cours de Belles-Lettres ou Principes de la littérature, Paris, Desaint et

Saillant, 1753, 4 vol.Tome I, P. 215 édition 1753.

351 ALEXANDRE, René, Morale enjouée ou Recueil de Fables, contes, épigramme, pièces fugitives, et pensée diverses Seconde édition. Par René Alexandre, second du nom, Marquis de Culant, seigneur de Ciré,

ancien Mestre 71 de Coup de Dragons. A Cologne, Chez Pierre Marteau, 1783.

352 Sévère critique des acteurs abstraits :

Il introduit aussi pour interlocuteurs,

Des êtres sur lesquels nos enfants n’ont point prise, Et que chacun définit à sa guise,

Personnifiant tout, affection, désir, Seigneur présent, seigneur avenir, Qu’il établit marchand dans une foire,

Dom Jugement, Dame Mémoire Et Demoiselle Imagination,

Font avec nous encore bien moins allusion, Que messer Appétit, dom Pet, dame Colique

Demoiselle Indigestion, Ou tout autre fantastique.

Qu’est-ce donc, après tout, qu’un auteur de bon sens, Un penseur dont la muse étique,

Affuble de vains ornements, Une fable métaphysique ? (p. 69-70)

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« jugement », « mémoire » et « imagination » par « le bon homme Pédro, le pédant Phalaorte et le Poète Boréas », pour désigner peut-être Ésope, La Motte, La Fontaine. Selon cet auteur, l’allégorie dans une fable dont les acteurs sont des abstractions n’a pas la même utilité qu’une fable dont les acteurs sont des animaux ou des plantes.

III-L’introduction du naturalisme dans le genre de la fable est

un sujet de polémique dans la querelle des Anciens et des

Modernes

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