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Une société commerciale de droit privé autocotée

Dans le document La radiation de la cote (Page 99-102)

Chapitre Premier : La légitimité de l’entreprise de marché

Section 1 : Le statut de l’entreprise de marché

A. Une société commerciale de droit privé autocotée

L’article L.421-2 du Code monétaire et financier énonce qu’« Un marché réglementé est

géré par une entreprise de marché. Celle-ci a la forme d’une société commerciale. Lorsque l’entreprise de marché gère un marché réglementé régi par les dispositions du présent code, son siège social et sa direction effective sont établis sur le territoire de la France métropolitaine ou des départements d’outre-mer ou du Département de Mayotte ou de Saint- Barthélemy ou de Saint-Martin. L’entreprise de marché doit satisfaire à tout moment aux dispositions législatives et réglementaires qui lui sont applicables.

L’entreprise de marché effectue les actes afférents à l’organisation et l’exploitation de chaque marché réglementé qu’elle gère. Elle veille à ce que chaque marché réglementé qu’elle gère remplisse en permanence les exigences qui lui sont applicables. ».

Une société commerciale de droit privé. Par définition, une société commerciale de droit

privé est instituée en vue de partager des bénéfices ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter1. Expressis verbis, Euronext SA a bien vocation à tirer profit de son activité, et cela est le fruit de la démutualisation des bourses. En effet, en raison du contexte de mutation politique, et donc économique, le rapport Pérouse2 de 1981, mit en lumière la nécessité de rénover le système financier français ; la réforme de dématérialisation du marché financier par la loi du 20 décembre 19813 s’en suivit. Cette évolution technique rendait alors nécessaire une refonte du mécanisme de la mutualisation ; la démutualisation est ainsi le fait de la loi du 22 juillet 19884. Le système financier était alors supervisé d’une part, par un organisme professionnel disposant de prérogatives de puissance publique, et d’autre part, par la « Société des bourses françaises », société anonyme investie d’une mission d’intérêt général, en charge de l’exploitation de la bourse5. L’Union européenne prit ensuite le pas sur cette évolution, et

la directive du 10 mai 19936 transposée par la loi du 2 juillet 19967, créa un statut de marché

réglementé commun et emporta création du statut d’entreprise de marché, société

1 Art. 1832 Code civ.

2 Pérouse M., Rapport sur la modernisation des méthodes de cotation, d’échange et de conservation du marché des valeurs mobilières, La

documentation française, 1980

3 Loi de finances pour 1982 n°81-1160 du 30 décembre 1981 4 Loi n° 88-70 du 22 juillet 1988 sur les bourses de valeur

5 Barban P., Les entreprises de marché, Th. Paris II, LGDJ, éd., 2015, p. 15

6 Directive 93/22/CEE du Conseil du 10 mai 1993 concernant les services d’investissement dans le domaine des valeurs mobilières 7 Loi n°96-97 du 2 juillet 1996 de modernisation des activités financières

94 commerciale qui a pour activité d’assurer le fonctionnement d’un marché réglementé d’instruments financiers. Par la suite, la directive concernant les marchés d’instruments financiers (MIF)1 conféra de nombreuses prérogatives à l’entreprise de marché, que la directive et le règlement MIF 22 ne modifient que légèrement. Quoi qu’il en soit, ce recours à la société anonyme pour Euronext Paris lui permettra de lever plus facilement des capitaux. Ce rappel historique — très largement résumé — conduit à se demander si une société commerciale, qui poursuit son propre intérêt, est-elle la plus à même de remplir la mission si particulière dont elle est investie. Il convient alors de revenir sur la nature de cette mission.

Une mission de service public ? Dans un premier temps, le caractère de service public fut

reconnu par la loi3, puis par la jurisprudence4 aux marchés territoriaux. Ce caractère fut ensuite reconnu aux bourses de commerce et de valeurs5. Toutefois, l’analogie n’est qu’imparfaite d’un point de vue fonctionnel avec les marchés réglementés, dans la mesure où les bourses de commerce et de valeurs étaient autrefois gérées par les chambres de commerce et d’industrie, qui sont des établissements publics6, alors qu’aujourd’hui, le marché

réglementé est organisé par l’entreprise de marché, société commerciale de droit privé. La jurisprudence est néanmoins venue reconnaître qu’un organisme de droit privé puisse être chargé d’une mission de service public7 ; soit il s’agit d’une « personne privée qui assure une mission d’intérêt général sous le contrôle de l’administration et qui est dotée à cette fin de prérogatives de puissance publique et est chargée de l’exécution d’un service public », ou bien « en l’absence de telles prérogatives, une personne privée doit également être regardée, dans le silence de la loi, comme assurant une mission de service public lorsque, eu égard à l’intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu’aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints, il apparaît que l’administration a entendu lui confier une telle mission ». D’une part, il semblerait que le but d’intérêt général puisse être reconnu aux marchés réglementés, et plus particulièrement à son bon fonctionnement, garanti par une sévère répression pénale. D’autre part, eu égard aux fonctions de l’entreprise de marché, qui organise et exploite le marché, et aux pouvoirs dont celle-ci est

1Directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004, concernant les marchés d’instruments financiers, modifiant les

directives 85/611/CEE et 93/6/CEE du Conseil et la directive 2000/12/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 93/22/CEE du Conseil, publiée au JOUE le 30/04/2004, n° L 145/1

2 Directive 2014/65/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014, concernant les marchés d’instruments financiers et modifiant

la directive 2002/92/CE et la directive 2011/61/UE, publiée au JOUE le 16 juin 2014, n° L 174/349

3 Art. L.2224-8 du Code général des collectivités territoriales 4 CE. sect., 22 avr. 1977, Michaud

5 Cass. civ., 21 juin 1943, Compagnie agricole d’arbitrage c/ Chambre syndicale du commerce des sucres de Paris

6 Delvolvé P., « Droit boursier et droit public », in Les offres publiques d’achat, G. Canivet, D. Martin, N. Molfessis (dir.), Lexisnexis Litec,

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95 investie, il semblerait qu’un but d’intérêt général puisse être reconnu. Toutefois, certains auteurs estiment que le législateur n’a pas entendu conférer à la mission dont est investie l’entreprise de marché, le caractère d’une mission de service public1. D’autres n’émettent aucune réserve à ce sujet eu égard au caractère très particulier du régime de l’entreprise de marché2. Ce dernier point entrainera des conséquences quant au pouvoir normatif de l’entreprise de marché, à propos duquel des développements seront consacrés par la suite. Il convient néanmoins de se demander si une société commerciale de droit privé, cotée sur son propre marché, est la plus à même de remplir cette mission — soit-elle, ou non, qualifiée de

service public ?

Autocotation. L’autocotation peut créer un conflit à propos de la liquidité, qui pourrait

conduire à admettre, de manière plus accommodante, certaines activités spéculatives. Monsieur Boujnah, directeur général d’Euronext, affirme que « l’instrument de la performance, c’est souvent l’indépendance qui permet la concentration sur des objectifs opérationnels3 » ; l’indépendance d’Euronext doit donc être assurée. Toutefois, un auteur met

en avant le fait que la majeure partie des gains d’Euronext, provient de l’activité de négociation4, et cette liquidité profitera naturellement à l’entreprise cotée sur son propre

marché. Si Euronext s’efforce d’améliorer constamment la liquidité de son marché, cela pourrait ainsi avoir pour effet de nuire à la mission de régulation dont est investie l’entreprise de marché, qui doit néanmoins respecter un devoir de neutralité et d’impartialité5. Ceci justifia au Royaume-Uni que cette activité de contrôle des émetteurs soit désormais confiée au régulateur, la Financial Services Authority6. Ce modèle avait d’ailleurs inspiré quelque sénateur français, mais n’a finalement pas abouti7. Certains estiment même que ce transfert de compétence est insuffisant, et prônent une obligation de double cotation pour les bourses8. Le site internet même de l’entreprise de marché indique que celle-ci cherche à améliorer la fréquence des transactions9. De cette première difficulté, en découle une seconde liée à l’activité de sponsoring, puisqu’à l’extrême, le trading haute fréquence, et plus particulièrement le trading algorithmique, pourrait être facilité, tant les transactions sur les ordres sont rapides, et les frais perçus proportionnels. Cette technique, qui en soi, n’est pas

1 Delvolvé P., « Droit boursier et droit public », in Les offres publiques d’achat, G. Canivet, D. Martin, N. Molfessis (dir.), Lexisnexis Litec,

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2 Barban P., Les entreprises de marché, Th. Paris II, LGDJ, éd., 2015, p. 521

3 Cuny D., Mabille P., « Le Nasdaq européen existe, c’est Euronext », Interview de Stéphane Boujnah, La Tribune, le 07/04/2017 4 Barban P., Les entreprises de marché, Th. Paris II, LGDJ, éd., 2015, p. 196

5 Art. 512-3 RG AMF

6 Barban P., Les entreprises de marché, Th. Paris II, LGDJ, éd., 2015, p. 228

7 Marini P., « L’avenir du droit des offres publiques », Les Petites affiches, 29/11/1995, n°143, p. 34

8 OCDE, Rapport, Le rôle des bourses dans le gouvernement d’entreprise, Groupe de direction sur le gouvernement d’entreprise, 15 juin

2009, p. 18

96 illégale, et qui est même dans une certaine mesure, souhaitable pour les marchés1, présente pour autant de sérieux risques du fait de la surcharge des systèmes de négociation, des dysfonctionnements des algorithmes, de la manipulation des marchés ou encore de l’amplification des tendances du marché. Néanmoins, une décision la commission des sanctions de l’AMF2 a suscité quelques inquiétudes à ce sujet, condamnant à la fois Euronext

SA, et la société Virtu Financial Europe Ltd. Au terme de la procédure, Euronext SA est

condamnée pour manquement professionnel pour défaut de neutralité et d’impartialité, et pour atteinte à l’intégrité du marché, pour avoir dispensé la société Virtu du ratio imposant aux membres une limitation dans leur faculté d’ordres ou de placement d’ordres non cohérents, permettant ainsi d’éviter une surcharge du système de négociation. La société Virtu quant à elle, est reconnue coupable du manquement de manipulation de marché, et du manquement à ses obligations professionnelles, sur le fondement des règles de marché d’Eurolist3. Cette condamnation de la société Euronext SA, met en avant le conflit particulier auquel est confrontée ladite société. Peut-être faudrait-il transférer à l’Autorité de marché, par voie de délégation législative, les fonctions d’organisation du système, en ce compris la radiation4.

Économiquement, le statut de l’entreprise de marché semble justifié, mais si prima facie, le conflit est apparent, la solution du manque de légitimité politique, apparaît dans le contrôle effectué par les pouvoirs publics.

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