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L’opportunité de la transposition d’un tel dispositif

Dans le document La radiation de la cote (Page 89-91)

Chapitre Second : La mise en place d’un mécanisme sociétaire

Section 3 : La légitimité du mécanisme

B. L’opportunité de la transposition d’un tel dispositif

L’opportunité du mécanisme peut être jugée au regard de l’intérêt du marché, ainsi qu’au regard de l’intérêt social.

Au regard de l’intérêt du marché. Au regard de l’intérêt du marché, peut se poser la

question de l’opportunité pour les actionnaires que d’intervenir sur la décision de radiation en assemblée, alors que généralement ils retrouvent le droit de s’exprimer en répondant à une offre publique préalablement au retrait obligatoire. Il faut alors se demander si un tel mécanisme n’a pas vocation à nuire au bon fonctionnement du marché caractérisé par la liquidité et la circulation des titres, un marché à grande vitesse qui s’accommode peut-être mal de ce type de décision, qui a tendance à être assez longue comme souligné précédemment. Se pose aussi la question, d’un droit des sociétés cotées, au titre duquel doit être privilégiée la circulation des titres, et d’un droit des sociétés non cotées, où le droit des sociétés pur peut retrouver une place de premier plan. Certains auteurs affirmaient il y a quelques années que les juges avaient reculé devant une telle distinction qui aurait conduit à des règles techniques de plus en plus nombreuses1. Ce constat doit néanmoins être nuancé aujourd’hui de par les restrictions qui peuvent exister dans les sociétés cotées, concernant l’exclusion des actionnaires, ou les obligations incombant auxdites sociétés, notamment s’agissant des règles de communication financière.

Au regard de l’intérêt social. Au regard de l’intérêt social, une telle décision de l’assemblée

empêchera des situations de blocage, à l’image de XPO, où la situation est bloquée seulement en raison de la participation acquise par le fonds Elliott ; le minoritaire prend le contrôle de la situation, engendrant des obligations et des coûts en conséquence pour la société. Avec une décision prise par l’assemblée, qui plus est à la majorité des 75 % à l’image du droit anglais, ou bien à la majorité des deux tiers à l’image du droit français pour les décisions modificatives des statuts, il apparaîtra alors plus facile de se radier, et une majorité aussi élevée, peu importe la définition de l’intérêt social retenue, répondra généralement de l’intérêt de la société. Ce constat présente néanmoins deux insuffisances.

D’une part, en France, les sociétés sont majoritairement des sociétés contrôlées, de sorte que l’actionnaire contrôlant, agissant seul ou de concert, aura généralement une forte influence sur

1 Frison-Roche M.-A., Nussenbaum M., « Le retrait obligatoire n’est pas contraire à la Convention européenne des droits de l’homme et son

84 la décision définitive, qui in fine ne représentera pas nécessairement l’intérêt de l’ensemble des actionnaires, mais sera plutôt le fruit de la décision de l’actionnaire contrôlant.

D’autre part, cette intervention des actionnaires suppose que ceux-ci s’impliquent réellement dans ledit vote, alors même que certains usent de manœuvres pour opérer une cession temporaire de titres afin d’obtenir des droits de vote supplémentaires lors d’une assemblée. Ce type de manœuvre n’est d’ailleurs pas exclusivement utilisée par les hedge funds, puisque l’État français1 avait recours à cette méthode dans le conflit qui l’opposait à Renault il y a deux ans, lui permettant ainsi d’augmenter sa participation dans le capital de ladite société, et donc d’obtenir une minorité de blocage2. Plus récemment, Vivendi avait recours à l’emprunt de titres dans l’affaire Gameloft, lui permettant de franchir le seuil de l’offre publique obligatoire de ladite société3.

Doit aussi être mentionné le rôle grandissant des agences de conseil en vote4 faisant des recommandations sur les projets de résolution. Bien entendu, le risque ne sera probablement pas le même pour les sociétés contrôlées ou non, mais il convient d’envisager la question. Tout d’abord, ces agences de conseil en vote semblent diffuser des résolutions qui laissent place à une certaine forme d’uniformisation blâmable, omettant alors la typologie des marchés et des sociétés. Par ailleurs, ces agences de conseil en vote interviennent en tant que mandataires de certains actionnaires. À l’extrême, s’est développée une pratique de proxy

fight, qui peut avoir vocation à déstabiliser une société par la collecte des mandats opérée par

ces agences, qui peut leur conférer un réel pouvoir déstabilisateur, voire leur permettre d’exercer de manière détournée, un certain contrôle sur la société5. À supposer que la compétence de l’assemblée générale soit étendue, il faudrait probablement renforcer, en contrepartie, la régulation des proxy advisors, ou du moins responsabiliser un peu plus les actionnaires. L’Autorité de marché6, la Commission européenne7, et l’ESMA8 ont tour à tour émis des recommandations à propos de ces agences de conseil en vote9. En termes de réglementation, seule une recommandation de l’AMF trouve à s’appliquer aujourd’hui10.

1 Torck S., « L’Etat, cet actionnaire activiste », Les Echos, le 30/04/2015

2 Amiot M., Boisseau L., « Renault : cinq questions clefs sur le bras de fer avec l’Etat », Les Echos, le 20/04/2015 3 Martin D., Kanovitch B., Haas F., « L’affaire Gameloft », Chronique/Public M&A – Offres publiques, RTDF N°1 – 2017 4 Boisseau L., « Le rôle grandissant et inquiétant des agences de conseil en vote », Les Echos, le 02/02/2016

5 Deniaud C., Vermeille S., « Le projet de réforme du régime des offres publiques d’acquisition (OPA) en France : quels enjeux pour notre

pays, quels enjeux pour nos entreprises et leurs actionnaires ? », RTDF N°4 – 2013, N°1 – 2014, p. 116

6 AMF, Rapport Mansion pour l'amélioration de l'exercice des droits de vote en France, 6 sept. 2005 ; AMF, Rapport Poupart-Lafarge sur

les assemblées générales d’actionnaires de sociétés cotées, 7 fév. 2012

7 Commission européenne, Livre vert sur le cadre de la gouvernance d’entreprise dans l’UE, 5 avril 2011

8 ESMA, Discussion Paper, An Overview of the Proxy Advisory Industry: Considerations on Possible Policy Options, 22 mars 2012 9 Torck S., « AMF : un pas de plus vers la régulation des agences de conseil en vote », Droit des sociétés, n°7, Juillet 2011, comm. 14 ;

Torck S., « Rapport final de l’ESMA sur les agences de conseil en vote », Droit des sociétés, n°5, Mai 2013, comm. 87

85 Néanmoins, la récente directive Droits des actionnaires1 apporte des précisions quant à la transparence des agences de conseil en vote : l’article 3 undecies prévoit notamment que les conseillers en vote devront publier un certain nombre d’informations relatives à leurs recherches, conseils et recommandations de vote, telles que les éléments essentiels des méthodes et recommandations qu’ils appliquent, les procédures mises en place pour garantir la qualité de ces recherches, la prise en compte de situations juridiques, réglementaires et de marchés nationales, ainsi que les situations propres à la société2. Toutefois, cette directive étant d’harmonisation minimale, il conviendra de juger de l’efficacité du dispositif à l’avenir ; la transposition de ces dispositions nécessitera au moins, d’un point de vue formel, l’utilisation du droit dur accompagnée de sanctions en conséquence, et sur le fond, devra être détaillé le contenu de l’obligation d’information sur les méthodes mises en œuvre, et l’obligation de se référer à un code de bonne conduite3.

Dernière insuffisance du processus à noter ; le délai de recours à une telle assemblée, qui d’ailleurs se fait sous le contrôle du juge en droit anglais, s’accommode mal de décisions stratégiques qui doivent être prises rapidement.

Si par essence, ce type de dispositif peut être le bienvenu au regard de l’intérêt social, les modalités de celui-ci doivent donc faire l’objet d’un examen critique.

§2 — L’atteinte au principe de non-exclusion d’un actionnaire

Le droit de rester actionnaire d’une société est un droit fondamental (A), de sorte qu’il faut s’interroger sur le bienfondé d’une telle atteinte, pour ensuite en étudier la proportionnalité (B).

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