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La légitimité économique

Dans le document La radiation de la cote (Page 97-99)

Chapitre Premier : La légitimité de l’entreprise de marché

Section 1 : Le statut de l’entreprise de marché

B. La légitimité économique

La déconnexion progressive des marchés financiers de la tutelle des pouvoirs publics1, conduit à se demander si, à défaut de trouver sa légitimité dans un fondement politique,

Euronext SA ne dispose-t-elle pas d’une légitimité inhérente, ou encore d’une légitimité

économique dans son efficacité2.

Quid d’une légitimité inhérente. Faute de disposer d’une légitimité politique, la question

peut se poser d’une légitimité inhérente à l’entreprise de marché. À propos du régulateur, l’exercice de son pouvoir est conditionné par une habilitation législative ; s’agissant du règlement général de l’AMF, la loi lui délègue le soin de prendre des mesures d’application précises, et ladite Autorité doit rendre des comptes au législateur. Si l’AMF tente parfois de pallier les insuffisances de la loi, notamment dans l’affaire Gilaspi3 dans laquelle l’Autorité

de marché a recours à la notion anglaise de « beneficial owner », il n’en demeure pas moins que de manière générale, elle ne s’arroge de pouvoirs exorbitants, et au pire, la cour d’appel de Paris interviendra4, pour ensuite que le législateur réagisse en conséquence5. Il y aurait alors, une sorte de contre-pouvoir de part et d’autre qui inciterait à une autolimitation, et qui fonderait ainsi la légitimité de l’organisme étudié ; cela renvoie au principe américain de

checks and balances6. Or, en l’espèce, en 2007, l’Autorité des marchés financiers perd son

droit d’opposition à la décision de radiation prise par l’entreprise de marché7, qui n’est plus qu’une simple décision commerciale, alors même que l’Autorité des marchés financiers, anciennement la Commission des bourses de valeurs, semblait assurer la protection de l’épargne publique et ainsi en assumer la responsabilité8. Si certes aujourd’hui les pouvoirs publics exercent un certain contrôle sur l’entreprise de marché — qui sera étudié par la suite —, il est difficile de conclure à une légitimité inhérente de celle-ci.

Quid d’une légitimité dans l’efficacité. Toutefois, peut-être faut-il trouver dans la légitimité

d’Euronext, l’incompétence de l’État à assurer la mission dont l’entreprise de marché est investie, et donc y voir le début de son efficacité. Par ailleurs, Euronext SA est une société

1 De Vauplane H., « Commentaire du règlement COB n°96-01 relatif au droit d’opposition », Bull. Joly Bourse, 01/01/1997, n°01, p. 17 2 Frison-Roche M.-A., Conclusion du volume, « Réversibilité entre légitimité et efficacité dans les systèmes de régulation », Les régulations

économiques : efficacité et légitimité, coll. « Droit et Economie de la Régulation », Presses de Sciences Po/Dalloz, 2004, pp. 195-198

3 AMF, sanct., 28 janv. 2013, Sté Gilaspi et M. M. Eisenberg 4 CA Paris, P. 5, ch. 7, 26 juin 2014, n°2014-014955

5 Torck S., « Franchissement de seuils exclusivement indirect : la fin du désordre », Bull. Joly Bourse, 01/04/2016, n°04, p. 133 6 Frison-Roche M.-A., « Ambition et efficacité de la régulation économique », Revue de Droit bancaire et financier, Nov.-Déc. 2010 7 Martin-Laprade F., « Radiation : état des lieux après 20 ans de réformes boursières », Bull. Joly Bourse, 01/12/2012, n°12, p. 571 8 De Vauplane H., « Commentaire du règlement COB n°96-01 relatif au droit d’opposition », Bull. Joly Bourse, le 01/01/1997, n°01, p. 17

92 commerciale cotée sur son propre marché, de sorte qu’intuitivement, il semblerait que celle-ci ait tout intérêt à ce que le marché fonctionne de manière efficiente. Toutefois, Madame le Professeur Frison-Roche met en avant la fragilité de ce fondement, dans la mesure où il repose sur le bon accueil des décisions par les acteurs soumis à celles-ci : la démocratie de marché fonde alors la légitimité de la normativité économique1. Néanmoins, si ce constat peut être dressé pour certains régulateurs, la remarque n’est pas transposable à l’identique pour l’entreprise de marché ; Radiall en est un exemple, dans la mesure où ladite société a fermement contesté l’application par Euronext des règles de marché en combinaison avec les dispositions législatives. Elle ne pouvait pour autant se soustraire à l’autorité de l’entreprise de marché, dans la mesure où celle-ci garde la main sur la décision de radiation ; qu’elle soit ou non accueillie avec faveur, il n’est pas possible de s’en arroger. Aussi, Madame le Professeur Frison-Roche note que si l’efficacité valait légitimité, alors les crises majeures révélant l’inefficacité des régulations auraient dû anéantir les régulations et les secteurs sous- jacents ; ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Une nuance doit être apportée à ce dernier constat, dans la mesure où la difficile radiation peut avoir un effet dissuasif particulièrement important2 — « certains émetteurs et professionnels craignant que l’entrée en bourse soit un

choix “sans ticket de retour” »3 — et aujourd’hui, le nombre de radiations est largement supérieur à celui de cotations4. Une légitimité économique par la nécessité peut donc être constatée. À ce titre, la notion de « consensus de place » et ainsi la puissance du droit financier sont assez parlantes et traduisent de cette autonomie5. Le rapport Giami-Rameix relevait également que la stratégie dont fait preuve l’entreprise de marché s’est avérée pionnière et appropriée au marché européen et mondial6, prenant ainsi en compte les intérêts de l’ensemble des participants au marché7.

Au gré de ces propos, il semblerait donc que la légitimité de l’entreprise de marché repose sur son efficacité ; le fondement est toutefois fragile et, au regard de l’ambiguïté du statut de l’entreprise de marché, peut donc être dressé le constat d’une légitimité, à certains égards, quelque peu insuffisante, invitant donc à réfléchir à un renouvellement de celle-ci.

1 Leroy C., « De la normativité économique en démocratie de marché… », disponible sur

http://chrisleroy.free.fr/normativite_economique.htm, 20/01/2002

2 Gattaz Y., « ETI, n’entrez pas en bourse vous ne pourriez pas en sortir ! », Lettre d’actualité ASMEP ETI, n° 22, nov. 2010.

3 Giami Th., Rameix G., Rapport Giami-Rameix sur le financement des PME-ETI par le marché au ministre de l’Economie et des Finances,

Nov. 2011

4 AMF, Rapport annuel de 2016, p. 9 (introductions) et p. 65 (retraits)

5 Frison-Roche M.-A., Nussenbaum M., « Les méthodes d’évaluation financière dans les offres publiques de retrait et les retraits

obligatoires », Revue de Droit bancaire et de la Bourse, 1995, p. 56

6 Giami Th., Rameix G., Rapport Giami-Rameix sur le financement des PME-ETI par le marché au ministre de l’Economie et des Finances,

Nov. 2011

7 Barban P., « Affaire Radiall c/ Euronext : clarification des règles régissant les radiations volontaires d’instruments financiers », La Semaine

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§2 — L’ambiguïté du statut de l’entreprise de marché

L’ambiguïté du statut de l’entreprise de marché résulte du fait que l’entreprise de marché est une société commerciale de droit privé cotée sur son propre marché (A), et qui par conséquent, est étroitement contrôlée par les pouvoirs publics (B).

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