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L’indemnité calculée par un expert indépendant

Dans le document La radiation de la cote (Page 40-44)

Chapitre Premier : L’amendement du squeeze out à la française

Section 2 : La place des minoritaires dans le retrait obligatoire

A. L’indemnité calculée par un expert indépendant

Selon Monsieur le Professeur Schmidt, le minoritaire est « celui qui dans un groupement régi par la majorité, doit se soumettre à la décision du plus grand nombre ou se démettre »1. Si tel est le cas, la liquidité qui caractérise le marché lui permettra de se démettre. En l’espèce, les minoritaires en question sont les personnes qui « ne représentent pas plus de 5 % du capital ou des droits de vote »2, et l’atteinte portée à leur droit de propriété par la mise en œuvre du squeeze out sera compensée par une « indemnité »3.

Titres concernés. D’un point de vue du droit des biens, au sens strict, Monsieur le Professeur

Dross, au détour d’une conversation, nous faisait savoir qu’il ne voyait qu’une « modification substantielle » du droit de propriété de l’actionnaire passant d’une société cotée à une non cotée. Pour autant, ce constat ne peut s’avérer parfaitement exact sur un marché dont l’efficience est garantie par la liquidité, et eu regard aux caractéristiques du contrat d’investissement auquel adhère l’actionnaire. Le retrait portera donc, sauf exception, sur les titres de capital, ainsi que sur les titres de droits de vote. Pour que le retrait obligatoire puisse opérer, il faudra néanmoins que le titre existe. De sorte que les titulaires d’options de souscription d’actions devront les exercer préalablement si cela est possible. L’actionnaire majoritaire devra négocier avec eux les conditions du rachat, qui ne pourra être forcé4.

À propos de l’expert. Un expert indépendant est alors désigné5 ; autrefois, celui-ci devait recevoir un agrément de l’AMF, mais depuis la loi du 31 mars 2006 il est nommé par la société cible. Celui-ci aura vocation à rassurer les dirigeants sociaux6, à prévenir d’éventuelles situations de conflits d’intérêts et à assurer la protection des minoritaires7. Cet expert doit bien entendu être un expert accoutumé de la finance ; il peut s’agir d’un expert-comptable, d’un établissement de crédit, d’une société de bourse, d’une maison de titres, d’un bureau d’études financières, d’une société d’assurance8. Néanmoins, certains auteurs s’interrogent sur la diversité des profils précités ; qu’y a-t-il de commun entre « un expert-comptable et une grande banque d’affaires9 ? ». Toutefois, de manière assez intuitive, il semblerait que ce choix sera fonction du secteur d’activité concerné, de la taille de la société ou encore de

1 Schmidt D., « Les droits des minoritaires et les offres publiques », in Les offres publiques d’achat, G. Canivet, D. Martin, N. Molfessis

(dir.), Lexisnexis Litec, 2009, p. 257

2 Art. L.433-4, II et III Code mon. fin. – art. 237-1 et 237-14 RG AMF.

3 Le terme « indemnisation » ne fait pas référence à la réparation d’un préjudice, mais correspond « strictement à l’évaluation des titres dont

le transfert est ordonné », Viandier A., OPA OPE et autres offres publiques, Fr. Lefebvre, 5ème éd., 2014, p. 494 4 Viandier A., OPA OPE et autres offres publiques, Fr. Lefebvre, 5ème éd., 2014, p. 475

5 Art. 261-1 RG AMF

6 Viandier A., OPA OPE et autres offres publiques, Fr. Lefebvre, 5ème éd., 2014, p. 486

7 Rérolle J.-F., Schmidt D., « L’an I de la nouvelle expertise indépendante : réflexion critique », Revue de Droit bancaire et financier, n°5,

sept. 2007, étude 15

8 Viandier A., OPA OPE et autres offres publiques, Fr. Lefebvre, 5ème éd., 2014, p. 486

9 De Vauplane H., « L’évaluation financière indépendante, nouvelle protection des actionnaires ? », Revue Banque et Droit, n°671, juillet-

35 l’importance de l’opération. Au surplus, peut-être que cela permet une meilleure approche de la situation en cause par une meilleure connaissance du type d’opération envisagée. S’agissant des sociétés cotées, la pratique remarque à ce titre que se retrouvent souvent les mêmes experts, parmi lesquels Ricol Lasteyrie, Finexsi, ou encore Ledouble.

Principes. Quelques principes encadrent la mission de l’expert indépendant, quelle que soit la méthode employée. Il doit en premier lieu respecter un principe d’examen critique, en considérant l’ensemble des informations fournies. En second lieu, celui-ci doit bien entendu s’en tenir à un principe de transparence, dont les sources d’information, les données, le choix ou l’exclusion d’une méthode doit être clairement indiqué et justifié. Enfin, il se doit de respecter un principe de cohérence et de pertinence des informations, en vertu duquel il s’assure de la cohérence des informations entre elles, du choix de la méthode, de l’échantillon d’étude retenu1.

Indépendance. Cet expert doit également garantir son indépendance ; il ne doit pas se trouver en situation de conflit d’intérêts avec les personnes concernées par l’offre ou leurs conseils2,

et il se doit de déclarer au travers d’une attestation d’indépendance, tout lien passé, présent ou futur, qui pourrait affecter son indépendance et l’objectivité de son jugement3 ; une

indépendance juridique, financière, mais aussi morale. Le rapport Naulot fait aussi référence à « l’apparence d’indépendance », c’est-à-dire au « jugement que porterait un investisseur raisonnable et normalement informé sur la capacité de l’expert à exercer un jugement objectif et impartial sur toutes les questions que peut soulever sa mission »4. L’AMF publiait par la suite une instruction dressant une liste non limitative de cas dans lesquels l’expert était présumé être en conflit d’intérêts5. Néanmoins, certains relevaient une « faille » dans le système, dans la mesure où l’expert reste le « seul juge de son indépendance », puisqu’il lui suffira de mentionner et justifier dans sa déclaration, une situation créant un risque de conflit d’intérêts, mais qu’il considère comme n’étant pas susceptible d’affecter son indépendance et l’objectivité de son jugement6.

Améliorations. Peut-être qu’à l’image de l’expertise de gestion, un groupe d’actionnaires pourrait demander à l’AMF la désignation d’un autre expert. Il a d’ailleurs été prouvé que certains actionnaires souvent emmenés par Colette Neuville, au terme d’une opposition assez

1 Nussenbaum M., Vassogne T., « Les attestations d’équité et expertise indépendante », in Les offres publiques d’achat, G. Canivet, D.

Martin, N. Molfessis (dir.), Lexisnexis Litec, 2009, p. 445

2 Art. 261-4, I RG AMF 3 Art. 261-4, II RG AMF

4 Naulot J.-M., « Pour un renforcement de l’évaluation financière indépendante dans le cadre des offres publiques et des rapprochements

d’entreprises cotées », Revue mensuelle de l’Autorité des Marchés Financiers, n°13, avril 2005

5 AMF, Instruction n°2006-08 relative à l’expertise indépendante

6 Art. 261-4 RG AMF ; Rérolle J.-F., Schmidt D., « L’an I de la nouvelle expertise indépendante : réflexion critique », Revue de Droit

36 marquée, obtenaient in fine une indemnisation plus élevée que celle initialement proposée par l’expert ; Buffalo Grill1, Jet Multimédia2, Orchestra3, en sont trois exemples illustratifs. Cette dernière affaire Orchestra conduisait les auteurs du Vernimmen à faire quelques propositions parmi lesquelles ; une rémunération de l’expert d’au minimum cinquante mille euros par expertise indépendante pour une meilleure qualité de l’expertise, un droit d’agrément de l’AMF, qu’elle exercerait directement ou via un comité ad hoc4.

Mission. L’expert aura vocation à apprécier l’évaluation faite par l’initiateur éventuellement assisté de son banquier. Il établira alors un rapport sur les conditions financières de l’offre ou de l’opération concernée5 qui sera ensuite diffusé6, et dont la conclusion prendra la forme d’une attestation d’équité7. Si antérieurement il se limitait à une revue des travaux effectués par les banques présentatrices8, il doit désormais effectuer un réel travail complet d’évaluation. Pour cela, il devra disposer d’un délai suffisant qui ne peut être inférieur à quinze jours9. Le rapport Naulot, dans sa recommandation numéro huit, préconisait un délai minimum de vingt jours. Toutefois, certains auteurs s’élevaient contre ce type de standard, mettant en lumière le fait qu’il serait difficile pour un expert de procéder à une analyse détaillée de la société en si peu de temps10. Un auteur fait d’ailleurs remarquer que ce type de

pièces contribue également, dans d’autres matières, à la justification du caractère normal des opérations réalisées par les sociétés cotées11 ; d’où le rôle crucial de l’expert.

Indemnité. S’agissant de l’indemnité, la matière a évolué au gré des réformes, et

principalement de la réforme du 31 mars 2006 prévoyant la possibilité de mettre en œuvre le retrait obligatoire à l’issue de toute offre publique. De manière générale, cette indemnité correspond à l’évaluation des titres transférés, et à ce titre, la cour d’appel de Paris a pu décider qu’il n’est « nullement une composante particulière qui rendrait l’indemnité nécessairement supérieure à l’évaluation équitable des titres visés par l’offre de retrait »12. À l’issue d’une offre de retrait. À propos de l’indemnité versée lors du retrait obligatoire, la directive OPA dans son article 15,2), désigne le « juste prix ». Toutefois, le Code monétaire et

1 Honoré B., « Buffalo Grill : les actionnaires minoritaires contestent l’OPR », Les Echos, le 21/02/2006 2 Pinaud O., « Le rachat de SFR par Jet Multimédia contesté », La Tribune, le 09/04/2009

3 De Roulhac B., « Le dossier Orchestra révèle les limites de l’expertise indépendante », L’Agefi, le 07/01/2015

4 Quiry P., Le Fur Y., « Comment redonner à l’expertise indépendante ses lettres de noblesse ? », Lettre Vernimmen n°127, nov. 2014 5 Art. 262-1, I RG AMF

6 Art. 262-2, I RG AMF 7 Art. 262-1, I RG AMF

8 Nussenbaum M., Vassogne T., « Les attestations d’équité et expertise indépendante », in Les offres publiques d’achat, G. Canivet, D.

Martin, N. Molfessis (dir.), Lexisnexis Litec, 2009, p. 441

9 Art. 262-1, II RG AMF

10 De Vauplane H., « L’évaluation financière indépendante, nouvelle protection des actionnaires ? », Revue Banque et Droit, n°671, juillet-

août 2005, p. 100

11 Entraygues G., « Avant-propos sur l’interaction entre droit boursier et droit fiscal », in Les offres publiques d’achat, G. Canivet, D. Martin,

N. Molfessis (dir.), Lexisnexis Litec, 2009, p. 258

12 CA Paris, 5 mai 1998, Tissot et Poli c/ Genefim : Caussain J.-J, Viandier A., La Semaine Juridique Entreprise et Affaires, n°32, 1998, p.

37 financier1 quant à lui, fait indirectement référence à « l’évaluation multicritères »2. Cette évaluation multicritères conduira à ce qu’une fourchette soit proposée, et qui pourra naturellement différer d’un expert à l’autre, au vu des critères pris en considération par chacun.

À l’issue de toute offre. Pour ce cas de figure, l’article L.433-4, III du Code monétaire et financier prévoit cette fois-ci que : « (…) l’indemnisation est égale, par titre, au prix proposé lors de la dernière offre ou, le cas échéant, au résultat de l’évaluation mentionnée au II ». Si la règle est similaire à la précédente, elle n’est pour autant pas identique, puisqu’est fait référence au prix proposé lors de la dernière offre. Certains auteurs mettent en lumière le fait que cette alternative est finalement source de confusion dans la mesure où ne sont indiquées les circonstances dans lesquelles l’une ou l’autre méthode doit être employée3. Par ailleurs, dans ce cas de figure, une indemnité en titres est envisageable, à condition qu’un règlement numéraire soit proposé à titre d’option4.

Méthode d’évaluation. La lecture combinée des articles 237-2, al.2 et 237-16, II du règlement général de l’AMF, et de l’article L.433-3, II du Code monétaire et financier, conduisent à appliquer une méthode d’évaluation multicritères, qui implique alors à une pondération de plusieurs critères et qui peut conduire à en écarter certains5. Les critères retenus doivent pour autant satisfaire tant l’intérêt général du bon fonctionnement du marché, que l’exigence de loyauté des transactions6, ce qui a par exemple pu conduire la cour d’appel de Paris à prendre en compte l’incidence éventuelle de procédures judiciaires en cours7. L’évaluation des titres de la société visée tiendra compte selon une pondération appropriée à chaque cas, de la valeur des actifs, des bénéfices réalisés, de la valeur boursière, de l’existence de filiales et des perspectives d’activité8. Selon certains auteurs, cette analyse multicritères conduit à des contestations plus nombreuses et par voie de conséquence à allonger le contentieux, lui

1 Art. L.433-4, II Code mon. fin.

2 Cette appellation n’apparaît pourtant ni dans la loi, ni dans le règlement général de l’AMF, et trouve surement son fondement dans la

diversité des paramètres à prendre en compte cités dans la loi, pourtant différents de ceux utilisés par la pratique ; Drummond F., Schmidt Y., Husson B., « Le prix dans les offres publiques », in Les offres publiques d’achat, G. Canivet, D. Martin, N. Molfessis (dir.), Lexisnexis Litec, 2009, p. 426

3 Drummond F., Schmidt Y., Husson B., « Le prix dans les offres publiques », in Les offres publiques d’achat, G. Canivet, D. Martin, N.

Molfessis (dir.), Lexisnexis Litec, 2009, p. 427

4 Art. L.433-4, III Code mon. fin.

5 CA Paris, 5 mai 1998, Tissot et a. c/ SA Société Générale : Bull. Joly Bourse 1er sept. 1998, n°5, p. 631 ; CA Paris, 3 juill. 1998, Géniteau

c/ CMF et Sté Elyo : Bull. Joly Bourse 1er sept. 1998, n°5, p 636

6 CA Paris, 1re ch., sect. H, 19 déc. 2000, cons. Armand et s. c/ SA Neptune, Soc. commerciale des eaux minérales du Bassin de Vichy ;

Frison-Roche M.-A., Germain M., Marin J.-C, Pénichon Ch., « Contrôle des critères d’évaluation dans le retrait obligatoire », Revue de Droit bancaire et financier, n°2, Mars 2001, 88. En particulier, il lui est apparu juste et réaliste que, dans l'appréciation qui a été faite, n'aient pas été pris en considération les résultats d'une année exceptionnelle à tous égards dans la vie de l'entreprise.

7 CA Paris, 3 juill. 1998, Géniteau c/ CMF et Sté Elyo : Bull. Joly Bourse 1er sept. 1998, n°5, p 636 ; Darrois J.-M., Dompé M.-N., « Le

contentieux en matière d’offres publiques », in Les offres publiques d’achat, G. Canivet, D. Martin, N. Molfessis (dir.), Lexisnexis Litec, 2009, p. 85

38 préférant le principe du prix le plus élevé payé par l’offrant, ayant le mérite de la simplicité et de l’absence de contestation1.

Rôle de l’organe de décision. Le rapport de l’expert sera ensuite présenté au conseil

d’administration ou de surveillance, dans la plupart des cas, qui appréciera alors les conditions financières de l’offre afin de rendre son avis motivé2. À la lecture des notes d’information adressées en réponse aux offres initiées par Nokia sur Alcatel-Lucent3, ou à l’offre initiée par XPO Logistics sur Norbert Dentressangle4, il est possible de constater que ces avis sont particulièrement fournis et se réfèrent principalement au rapport établi par l’expert indépendant qui peut être reproduit en tout ou partie dans ladite note. Ces notes en réponse paraissent alors inciter les dirigeants à être particulièrement diligents dans leurs choix de gestion, cette note pouvant servir de support à une éventuelle contestation. Hormis les quelques modifications mentionnées, il semblerait que la protection des minoritaires soit, de ce point de vue, assurée et satisfaisante.

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