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Le droit processuel au service du marché financier

Dans le document La radiation de la cote (Page 53-56)

Chapitre Premier : L’amendement du squeeze out à la française

Section 2 : La place des minoritaires dans le retrait obligatoire

B. Le droit processuel au service du marché financier

Pour prouver un éventuel comportement abusif, il conviendra alors de se ménager la preuve de la conformité de ladite attitude à l’intérêt social. À ce titre, nous allons comparer d’une part l’article 145 du Code de procédure civile, avec les instruments américains et anglais de discovery et de disclosure. Préalablement, nous identifierons deux éléments dont l’existence devra être prouvée ; un élément matériel, et un élément intentionnel. L’élément matériel ne sera pas le plus difficile à démontrer, il s’agira alors de l’acquisition d’une participation supérieure à un certain seuil, le respect ou non de la réglementation applicable aux franchissements de seuils, l’utilisation d’instruments permettant une prise de contrôle rampante, et la temporalité. Par exemple, dans l’affaire XPO, Elliott n’a pas fait de déclaration d’intention et la presse mentionne « une certaine opacité sur le coût réel et les conditions d’acquisition des titres »1. L’élément intentionnel quant à lui, rejoindra pour partie les développements précédents à propos de l’intérêt social. Nous aurons principalement égard à la motivation dans l’acquisition. Dans certains cas, l’abus sera aisément caractérisé, mais d’autres cas mériteront une analyse beaucoup plus fine, analyse qui reviendra au juge.

L’article 145 du Code de procédure civile. Cet article relève du droit commun, et énonce

que : « S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de

faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. ». L’utilisation de cet instrument probatoire se fait sous le contrôle du juge,

contrairement aux instruments anglo-saxons. Par ailleurs, la partie n’est pas tenue d’apporter des éléments de preuve qui lui seraient défavorables2 ; les parties sont libres d’apporter les

éléments qu’elles souhaitent. Concernant le domaine de cet instrument, les mesures doivent être ciblées et les informations demandées précises ; il ne s’agit pas d’une « mesure générale d’investigation »3. Le juge occupe ici un rôle prépondérant puisqu’il vérifiera l’existence d’un motif légitime, la proportionnalité de la mesure, une éventuelle atteinte au secret professionnel et au secret des affaires4, au secret bancaire ou encore à la vie privée par exemple. Un équilibre devra être trouvé entre tous ces intérêts5. La chambre commerciale est venue très tôt préciser qu’en cas de refus de transmission de documents à la suite d’une ordonnance, il ne peut être exigé de saisie ou de confiscation par un huissier quand une

1 Rolland S., « XPO Logistics s’attaque au fonds Elliott », L’Agefi Hebdo, le 16/07/2015

2 Kirry A., Chapron R., « Un outil probatoire méconnu : l’utilisation de la procédure de discovery devant les tribunaux français », Gaz.

Palais, 10 déc. 2012, n°344

3 Cass. civ 2ème, 7 janv. 1999, n°97-10.831 4 Cass. civ 1ère, 3 nov. 2016, n°15-20495

48 astreinte aurait pu simplement être demandée1. Il ne pourrait non plus être admis une perquisition civile, alors même que la remise spontanée des documents concernés n’ait été demandée2. Seules des sanctions civiles peuvent être prononcées, non négligeables certes, mais incomparables avec les sanctions anglo-saxonnes.

Le discovery de droit américain. Le discovery, régi par la Rule 26 de la Federal Rule of Civil Procedure, impose aux parties de produire toutes les informations en lien avec le litige,

qu’elles soient ou non favorables. À titre informatif, les américains ne se limitent pas aux justiciables issus d’un pays de Common Law, mais cette procédure a vocation à s’étendre quel que soit le système juridique concerné ; d’où une récente directive européenne contenant une procédure de blocage3 afin de limiter cette intrusion dans certains domaines. Le domaine de cet instrument procédural est nettement plus étendu que celui de l’article 145 du Code de procédure civile, dans la mesure où il appartiendra au requérant d’apporter tous les éléments de preuve dont il dispose, même s’ils ne sont pas nommément désignés et qu’ils lui soient favorables ou non. Cette mesure s’apparente alors à une mesure d’investigation, permettant de connaître d’une situation dans son ensemble4. Enfin, contrairement à la procédure française,

un motif légitime n’aura pas à être démontré, même si l’instrument ne saurait être utilisé à titre de manœuvre, pour contourner les lois de la preuve5.

Les sanctions6 sont également beaucoup plus lourdes aux États-Unis en cas de non-respect de cette obligation. Le justiciable pourrait ainsi être condamné pour contempt of court, c’est-à- dire pour outrage à la justice, son recours pourrait être rejeté en tout ou partie, il pourrait être jugé sans pouvoir faire valoir ses droits de la défense, ou bien, les faits allégués par le plaignant considérés comme établis, suivant ainsi la formule « qui ne dit mot consent »7. Des sanctions qui sont donc particulièrement dissuasives pour les justiciables. Il faut pour autant garder à l’esprit ce moyen de preuve, dans la mesure où il pourra être utilisé si l’une des parties se trouve aux États-Unis, sous certaines conditions8.

1 Cass. com., 16 juin 1998, n°96-20.182, Société SRIM contre Société Coffima 2 Cass. civ 2ème, 16 mai 2012, n°11-17.229

3 Directive (UE) 2016/943 du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2016, sur la protection des savoir-faire et des informations

commerciales non divulguées (secrets d’affaires) contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites, JOUE 15/06/2016, n°L157/1

4 Thieffry P., « Quelques aspects comparés de la procédure civile en France et aux Etats-Unis », Revue internationale de droit comparé, Vol.

36 n°4, octobre-décembre 1984, pp. 783-825

5 En ce sens, la décision américaine : Aventis c/ Wyeth, 2009 US Dist., Lexis 105422 (SDNY, 9 nov. 2009)

6 Section 442 (1) (b) Restatement (Third) of Foreign Relations Law : « Failure to comply with an order to produce information may subject

the person to whom the order is directed to sanctions, including finding of contempt, dismissal of a claim or defense, or default judgment, or may lead to a determination that the facts to which the order was addressed are as asserted by the opposing party ».

7 Lenoir N., « La collecte des preuves dans le cadre des procédures judiciaires : l’amorce d’un dialogue entre la France et les Etats-Unis ? »,

Les Petites affiches, 4 juin 2014, n°111 – p. 6

8 Kirry A., Chapron R., « Un outil probatoire méconnu : l’utilisation de la procédure de discovery devant les tribunaux français », Gaz.

Palais, 10 déc. 2012, n°344. Pour que celle-ci trouve à s’appliquer, trois conditions doivent être réunies que sont : (i) la personne auprès de laquelle les preuves sont recherchées doit résider ou se trouver dans le ressort du tribunal devant lequel la demande est présentée, (ii) les preuves recherchées doivent être destinées à être utilisées dans le cadre d’une procédure devant un tribunal étranger ou international – les tribunaux américains se contentent d’une possibilité raisonnable d’une action en justice, (iii) le demande doit émaner d’un tribunal étranger ou international.

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Pratique. À ce titre, nous comprenons que l’instrument américain pourrait s’avérer

relativement efficace pour lutter contre les comportements d’une opportunité excessive de certains fonds.

Nous observerons d’ailleurs que se tient une procédure de discovery entre Elliott et XPO, et tant les tribunaux français1 qu’américains2 connaissent de cette procédure. Avant tout, il faut revenir rapidement sur les argumentations de chacune des parties. XPO avance que la Bank of

America ramassait toutes les actions possibles sur le marché, pour ensuite les livrer plus tard à

Elliott au moyen de produits dérivés ; notamment des CFD (Contracts For Difference)3. De

sorte que les avocats de XPO demandent que ledit fonds soit privé de ces titres « puisqu’ils ont été acquis par des moyens illégaux dans le but de bloquer de façon déloyale une opération financière »4 et qu’ils soient ainsi rétrocédés à la banque. À l’inverse, Elliott « accuse XPO de vouloir spolier les actionnaires minoritaires du groupe français », et demande la désignation d’un expert indépendant « pour s’assurer que les intérêts des minoritaires soient préservés ».

Elliott revendique ne pas être un spéculateur, et croit au potentiel du rapprochement entre XPO et Norbert Dentressangle, tout en contestant le prix de l’offre. Le fonds affirme alors

agir en toute transparence et respecter la réglementation applicable.

Dès l’année 2015, la procédure de discovery a été mise en œuvre, et a permis de mettre en lumière les véritables intentions d’Elliott, notamment via un courriel adressé à Monsieur Singer, gérant dudit fonds, par l’un de ses salariés expliquant que « Notre objectif est d’atteindre un niveau de participation de 5 % pour empêcher le retrait obligatoire et essayer d’obtenir une augmentation de la valeur de l’offre pour nos actions ». Un autre message énonçait qu’« Il est crucial pour la constitution de notre position que personne ne connaisse nos intentions et quel travail nous faisons ». La procédure a aussi mis en évidence un courriel « qui fait état d’une enquête bouclée sur la personnalité du patron de Norbert Dentressangle » et de la commande d’une autre enquête sur Monsieur Jacobs, patron et fondateur de XPO, « sa fortune et son comportement, particulièrement en situation de conflit »5. Ces derniers éléments étant corroborés par le départ inattendu, le 3 septembre 2015, soit moins de deux mois après la clôture de l’OPA, du président du Directoire de Dentressangle, alors même que le groupe américain, dans sa note d’information du 23 juin visée par l’AMF, affirmait avoir « l’intention d’assurer la continuité du management de ND à la suite de la réalisation de l’offre et de le fidéliser pour l’avenir » et de « maintenir le centre de décision des activités

1 Notamment T. com., Paris, 29 juillet 2015, Elliott c/ XPO Logistics

2 United States District Court Southern District of New-York, In re Application of XPO Logistics, inc. 15-MC-205 (LGS)(SN), 22/05/2017 3 Rolland S., « XPO Logistics s’attaque au fonds Elliott », L’Agefi Hebdo, le 16/07/2015

4 Jacquin J.-B., « Dentressangle : un duel américain devant la justice française », Le Monde, le 11/09/2015 5 Jacquin J.-B., « Dentressangle : un duel américain devant la justice française », Le Monde, le 11/09/2015

50 logistiques européennes de la Société à Paris » comme le « garant de la continuité managériale et du maintien des centres de décision en France »1. Dentressangle répondait par un avis favorable à l’offre dans sa note en réponse2. Le 10 septembre 2015, Colette Neuville, présidente de l’Association de défense des actionnaires minoritaires (ADAM), demandait à l’AMF d’ouvrir une enquête pour « information trompeuse »3 donnée par XPO Logistics. XPO assignait Elliott en justice en l’enjoignant de ne pas céder ses titres Norbert Dentressangle à d’autres investisseurs que lui-même, tandis que le fonds demandait un gel de l’intégration de la cible dans la maison mère. Une bataille judiciaire s’en suit, mais c’est bien l’instrument procédural qui nous intéresse ici.

Le disclosure britannique. Au vu des inconvénients que présente la procédure de discovery

notamment en termes de délais ou en termes de coûts, les anglais ont alors décidé de faire évoluer leur procédure de discovery, et ainsi la nommer disclosure. Celle-ci est régie par les

Civil Procedure Rules et laisse une plus grande place au juge, qui pourra notamment limiter la

divulgation d’informations. Par certains aspects, cette procédure tend donc à se rapprocher de la procédure française.

Opportunité. En utilisant ces instruments anglo-saxons, la preuve sera forcément rapportée

d’un comportement possiblement abusif d’un fonds, tant les sanctions d’une non-coopération sont importantes. In fine, c’est bien au juge qu’il reviendra de statuer et d’apprécier les éléments en présence. Si l’efficacité du dispositif semble incontestable, il n’en demeure pas moins qu’une réserve peut tout de même être émise. En effet, dans l’affaire XPO, nous voyons bien que le juge aura alors accès à des courriels internes, et plus généralement à des données très confidentielles. Cependant, il ne faudrait que le juge vienne alors à s’immiscer dans la gestion de l’entreprise en critiquant les choix opérés par la direction, ou par les investisseurs ; c’est la raison pour laquelle nous entendons uniquement limiter les comportements d’une opportunité manifeste ou excessive.

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