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L’appréciation qualitative par l’étonnant recours aux usages

Dans le document La radiation de la cote (Page 120-123)

Chapitre Second : Perfectionner la radiation pour faible liquidité

Section 1 : Une procédure initialement délicate

B. L’appréciation qualitative par l’étonnant recours aux usages

Ici est visée une appréciation qualitative de la volonté qui anime l’actionnaire, permettant ainsi de se prononcer sur sa prise en compte dans le calcul du flottant. À ce titre, le tribunal distingue les « investisseurs obéissant non pas à une logique de contrôle, mais à une logique purement financière, c’est-à-dire des investisseurs qui achètent quand le cours leur paraît sous-évalué et vendent quand les perspectives de croissance leur paraissent plus faibles ». Toutefois, la limite entre ces deux types de comportements peut être assez ténue et laisser place à quelques comportements opportunistes ; le tribunal s’en tient à la notion de « stabilité », ayant ainsi recours à quelques indices et usages, qui supposent une durée de détention des titres de trois années1.

Volonté déclarée. Le tribunal pour étudier la volonté exprimée du minoritaire, étudie si

l’investisseur se comporte comme un actionnaire à long terme, ou bien recherche plus une rentabilité à court terme. Celle-ci recèle d’éléments contradictoires. Pour cela, plusieurs pistes sont étudiées, à commencer par les déclarations de franchissement de seuils.

Déclaration de franchissement de seuil. Au cas d’espèce, Euronext et Orfim opposaient à

Radiall que la participation de cet actionnaire minoritaire devait être comprise dans le calcul

du flottant, dans la mesure où celle-ci avait déclaré que ses titres restaient disponibles à la vente ; pour preuve, elle avait tenté de vendre une partie de sa participation le 30 mai 2011.

Radiall soutenait toutefois que la participation de la société Orfim ne pouvait être comprise

dans le flottant, dans la mesure où celle-ci avait été révélée par la voie des déclarations de franchissement de seuils. Cet argument ne pouvait tenir, dans la mesure où, comme le relève un auteur, cela conduira à réduire le flottant aux investisseurs anonymes, et à l’extrême, exclure du calcul de celui-ci un investisseur ayant déclaré franchir le seuil de 0,5 %2, qui fait sortir les investisseurs de l’anonymat et qui est l’apanage des « petits porteurs »3. Ce dernier constat, à propos du seuil de 0,5 %, peut toutefois être remis en cause, dans la mesure où le tribunal pourrait se contenter de la déclaration du franchissement du seuil de 5 %, et non de toute déclaration.

Influence sur la stratégie de l’entreprise. Par ailleurs, cet investissement à court ou long terme, peut être apprécié au regard de l’influence qu’entend exercer l’actionnaire sur la stratégie de la société. À ce titre, Orfim, pourtant deuxième actionnaire, n’a jamais sollicité un poste au conseil de surveillance, ni n’a jamais cherché à faire partie du conseil majoritaire4.

1 T. Com. Paris, 14 déc. 2012, n°2011031755, SA Radiall c/ SA Euronext Paris et SAS Orfim

2 Daigre J.-J, « La radiation de la cote, une mesure autonome ; le “flottant”, une notion de fait », Bull. Joly Bourse, 01/04/2013, n°04, p. 192 3 Martin-Laprade F., « Radiation : état des lieux après 20 ans de réformes boursières », Bull. Joly Bourse, 01/12/2012, n°12, p. 571 4 Daigre J.-J, « La radiation de la cote, une mesure autonome ; le “flottant”, une notion de fait », Bull. Joly Bourse, 01/04/2013, n°04, p. 192

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Le recours aux usages. Afin de pouvoir apprécier cette volonté, le tribunal se réfère aux

« usages », qui supposent une durée de détention de trois ans. En l’espèce, si les acquisitions de la société Orfim débutaient en 2007, se poursuivaient en 2010, la société avait passé un ordre de vente le 30 mai 2011, ce qui selon le tribunal, « manifestait sa volonté de ne pas maintenir sa participation dans la durée, volonté déjà exprimée en 2010 auprès du collège de l’AMF puis réitérée en juin 2011 lors de son intervention volontaire à la présente instance ». La participation de la société Orfim ne présentait donc pas le caractère d’une participation stable, et devait donc être comprise dans le calcul du flottant. Si certains qualifient cette décision de solution « heureuse », dans la mesure où il serait assez ennuyeux qu’un émetteur décide à sa convenance, de sa sortie du marché réglementé1, il n’en demeure pas moins que la référence aux usages semble tout à fait contestable à plus d’un titre.

Appréciation. D’une part, il est difficile de trouver l’origine, ou du moins la raison d’être de ces usages mentionnés par le tribunal. Si certes, certains auteurs relèvent le caractère pertinent du recours à une certaine durée pour éviter les effets d’aubaine réduisant ainsi le risque qu’un actionnaire isolé entrave durablement une sortie de cote, il n’en demeure pas moins que l’origine de ce délai de trois ans est inconnue, et n’est d’ailleurs pas en accord avec les règles des différentes places boursières2. Peut-être même est-il fixé de manière assez opportuniste, dans la mesure où il se situe juste avant le troisième anniversaire de détention de la société

Orfim. D’autre part, il semblerait que l’appréciation faite à l’aune de ceux-ci, recèle

d’éléments contradictoires, eu égard à la volonté exprimée de la société et à la durée de détention de sa participation. En effet, l’ordre de vente passé l’était à un prix si élevé, qu’il peut être analysé comme la manifestation d’un comportement opportuniste, comme une pure « tactique »3. Une appréciation plus fine, in concreto, eut donc été largement souhaitable. Enfin, les éléments auxquels se réfère le tribunal ne sont qu’insuffisants, omettant ainsi certaines formes d’actionnariat salarié à long terme dans la catégorie des participations stables, et approximatifs dans la mesure où la référence au délai de trois ans n’est pas nécessairement révélatrice de la volonté d’un actionnaire de constituer une participation stable ; cette volonté peut par exemple être contrainte par la lenteur de la rotation du capital4.

Une définition renouvelée. Assez modestement, une définition du flottant aurait pu être

proposée. Le critère objectif, quantitatif, pourrait toujours concerner les titres disponibles au

1 Muller A.-C., « Radiation des négociations, T.- com. Paris, 14 déc. 2012, SA Radiall c/ Euronext Paris SA et SAS Orfim, comm », Revue

de Droit bancaire et financier, n°1, Janv. 2014, comm. 25

2 Cuntz N., « Affaire Radiall/Euronext Paris : une porte entre-ouverte pour les émetteurs souhaitant sortir de la Bourse », Revue de Droit

bancaire et financier, n°3, Mai 2013, étude 12, citant : « Euronext Amsterdam, Euronext Bruxelles, Euronext Lisbonne et Liffe A&M »

3 Daigre J.-J, « La radiation de la cote, une mesure autonome ; le “flottant”, une notion de fait », Bull. Joly Bourse, 01/04/2013, n°04, p. 192 4 Cuntz N., « Affaire Radiall/Euronext Paris : une porte entre-ouverte pour les émetteurs souhaitant sortir de la Bourse », Revue de Droit

116 public, participant de la liquidité — à l’identique du critère actuel donc — mais serait proposé d’exclure du flottant toute participation s’accroissant, et dépassant ainsi le seuil de 5 % à compter de l’annonce de la volonté de se retirer de la cote.

Ce critère quantitatif serait corroboré par un critère qualitatif, nécessitant une analyse beaucoup plus fine de la motivation dans l’acquisition, permettant ainsi de lutter contre les comportements opportunistes. Dans l’affaire étudiée, il ne suffirait donc pas que Orfim déclare franchir le seuil de 5 % sans pour autant envisager jouer un rôle stratégique au sein de la société, mais il faudrait que cet actionnaire, eu égard aux conséquences qu’entraine l’accroissement de sa participation, justifie des raisons de son acquisition pour mettre ainsi en lumière sa bonne ou mauvaise foi. À ce titre, quelques études permettent de constater que les activistes ont plutôt une vision court-termiste, qui n’est pas nécessairement bénéfique pour la société1. Si une durée de détention peut être conservée, à supposer qu’elle soit fermement établie et justifiée, une appréciation plus fine des mouvements sur le titre est nécessaire ; dans l’affaire Radiall, le fait que Orfim ait tenté de vendre un ordre à un prix très supérieur au cours de bourse, ordre qui n’avait donc peu de chance d’être exécuté, aurait pu être pris en compte. Néanmoins, il ne faudrait ici venir sanctionner tous les abus ; il n’y a pas nécessairement abus à bloquer un mécanisme de marché, et ce d’autant plus que les minoritaires ne sont que peu protégés en l’espèce.

La protection des minoritaires ne doit pas avoir pour effet de permettre des comportements opportunistes et ainsi de protéger des investisseurs malhonnêtes ; une définition fonctionnelle du flottant aurait été la bienvenue. Il est assez curieux qu’une telle définition soit fonctionnelle dans d’autres domaines, alors que tel n’est pas le cas concernant la radiation ; une définition téléologique aurait dû être trouvée.

§3 — La délicate articulation des dispositions législatives et des règles de marché

La suite du contentieux Radiall a laissé place à d’autres questions, et notamment celle de l’articulation de l’article L.421-15 du Code monétaire et financier et des règles de marché. La Cour de cassation vient préciser les règles applicables au cas d’espèce, résultant d’une application extensive des dispositions législatives (A), laissant tout de même place au pouvoir d’appréciation de l’entreprise de marché (B).

1 Lipton M., « Dealing with Activist Hedge Funds and Other Activist Investors », Harvard Law School Forum on Corporate Governance

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