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La proportionnalité d’une telle atteinte

Dans le document La radiation de la cote (Page 83-87)

Chapitre Second : La mise en place d’un mécanisme sociétaire

Section 2 : L’atteinte au pouvoir de gestion du dirigeant

B. La proportionnalité d’une telle atteinte

Au vu du bouleversement du contrat d’investissement précédemment énoncé, il est alors légitime de se demander si une telle atteinte au pouvoir de gestion du dirigeant, laissant donc la décision de radiation aux actionnaires, serait réellement proportionnée et ainsi opportune. D’un point de vue sociétaire, peut être constatée une participation des actionnaires de plus en plus fréquente, notamment avec l’accroissement des règles du say on pay et évoluant du droit mou pour aller vers le droit dur, à l’image des récentes modifications issues de la loi Sapin 2 concernant la rémunération des dirigeants. Cela semble traduire une volonté de mieux associer la collectivité des actionnaires aux décisions prises normalement par la direction de la société. Deux cas de figure seront étudiés afin de juger de l’opportunité ou non de faire participer les actionnaires au processus de décision.

La cession du principal actif. La cession du principal actif d’une société cotée a ravivé le

débat de l’implication des actionnaires dans la prise de décision, avec la cession de SFR par

Vivendi, ainsi qu’avec la cession des activités d’énergie de la société Alstom. À l’origine, une

telle décision revenait aux dirigeants qui pouvaient librement décider de la cession du principal actif, excepté la présence d’une clause contraire des statuts ou bien lorsque ladite cession avait pour effet de modifier l’objet social ou d’en empêcher la réalisation. L’insuffisance des textes, soient-ils de droit mou — l’article 5.2 du Code Afep-Medef — ou de droit dur — l’article 236-6 du règlement général de l’AMF pris en application de l’article

L.433-4 du Code monétaire et financier — a posé la question de la participation des

1 Art. L.226-11, al.1 Code com. : « La modification des statuts exige, sauf clause contraire, l'accord de tous les commandités ». 2 Le Réour Y.-M., « Spie projette une introduction en Bourse à l’automne prochain », L’Agefi, le 09/04/2014

78 actionnaires à la prise d’une telle décision ; par le biais d’une OPA, ou par la consultation de ceux-ci lors d’une assemblée a priori à caractère délibératif, et donc contraignante. Si la première proposition de Monsieur le Sénateur Marini n’emportait pas l’adhésion de la doctrine1, la seconde en revanche devait être étudiée. D’une part, était fait référence au droit anglais, en ce que l’assemblée générale des actionnaires doit se prononcer préalablement à la cession d’un actif dont la valeur dépasse 25 % de l’actif total de ladite société2. D’autre part, les conditions d’une assemblée générale ordinaire intervenant a priori, autrement dit la majorité simple était envisagée par certains, dans la mesure où cet acte s’inscrivant dans un acte de gestion courante, il serait préjudiciable qu’une minorité d’actionnaires puisse s’y opposer3.

L’Autorité des marchés financiers prenait une position-recommandation4 et indiquait que dès lors que la cession d’actifs significatifs modifiait substantiellement la physionomie de l’activité et la stratégie affichée par la société et intégrée par le marché, il était légitime et souhaitable de consulter l’assemblée des actionnaires préalablement ; et ce, quand bien même le droit des sociétés attribue normalement la « compétence à la direction de la société ou à son conseil d’administration ou de surveillance ». Il semblerait ici que l’AMF fasse un amalgame entre trois organes de direction qui ont pourtant des fonctions distinctes, associant les actionnaires à ladite prise de décision. En effet, Monsieur le Professeur Stéphane Torck5 souligne que l’Autorité de marché feint d’ignorer les différences entre les trois organes et occulte ainsi le rôle du conseil qui apparaît alors comme incapable de défendre correctement l’intérêt des actionnaires ; soit-il incompétent, ou bien parce qu’il s’apparente à la direction générale.

Toutefois, il n’est pas très intuitif que de considérer que la cession du principal actif soit une décision courante au même titre que la rémunération. De sorte qu’il est légitime de se demander ; dès lors que les décisions courantes, telle la rémunération des dirigeants, et ensuite les décisions plus stratégiques, telles la cession du principal actif ou la décision de

radiation, sont laissées à l’appréciation des actionnaires, que reste-t-il du pouvoir du dirigeant

et de la délégation qui lui est faite ? Associer les actionnaires au processus de décision en dépouillant le dirigeant de son pouvoir de gestion semble donc assez contestable.

1 Gaudemet A., « La cession du principal actif d’une société cotée », Mélanges en l’honneur de Michel Germain, Lexisnexis, 2015, p. 349 2 LR 10.2.2 « Classifying transactions », et LR 10.5 « Class 1 requirements », mentionnées par note précit.

3 Gaudemet A., « La cession du principal actif d’une société cotée », Mélanges en l’honneur de Michel Germain, Lexisnexis, 2015, p. 350 4 AMF, position-recommandation, DOC n° 2015-05, Les cessions et les acquisitions d’actifs significatifs, nous soulignons.

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Les mesures de défense anti-OPA. À l’inverse, peut-être est-il permis de faire un parallèle

avec les mécanismes de défense anti-OPA à propos desquels la loi Florange1 est venue inverser le principe de neutralité, à défaut de disposition statutaire contraire conformément à l’article 12 de la directive OPA2. Ce principe de neutralité était celui qui prévalait jusqu’alors depuis la loi Breton de 2006,3 et impliquait que toute mesure susceptible de faire échouer une offre devait être approuvée ou confirmée par les actionnaires. L’objectif était de faire respecter le jeu du marché et la liberté des actionnaires, considérant que les dirigeants peuvent préférer défendre leurs intérêts propres en cas d’OPA4. La directive OPA rappelle néanmoins que l’organe d’administration ou de gestion de la société visée ne peut pas refuser aux actionnaires le droit de juger des mérites de l’offre5.

Désormais est permise l’intervention du conseil d’administration ou du directoire qui pourra donc prendre toute mesure de défense anti-OPA, sauf à empiéter sur la compétence de l’assemblée des actionnaires6. À ce titre dans son avis présenté au Sénat, Monsieur le Sénateur Todeschini avance que « La non-neutralité présente malgré tout le net avantage d’offrir aux organes dirigeants la possibilité de réagir immédiatement à l’annonce d’une OPA hostile. Cette réactivité permet notamment de mieux informer les actionnaires et de préparer toute assemblée générale qui se révèlerait nécessaire pour ratifier les pistes tracées par les organes dirigeants7 ». À la lecture de ces termes, il est possible de comprendre que la compétence des organes dirigeants trouve pour partie son fondement dans la rapidité nécessaire à la mise en œuvre des moyens de défense qui s’accommode mal de la saisine d’une assemblée. De sorte qu’il paraît légitime de se demander si une telle rapidité pourrait justifier que la compétence des organes de direction soit maintenue en la matière. Prima facie, il semblerait qu’une décision de radiation ne nécessite pas une rapidité telle qui empêche le recours aux actionnaires. Mais d’une part, cela est oublier que le retrait obligatoire fait nécessairement suite à une offre, de sorte que le dispositif s’inscrit dans une logique de marché. D’autre part, il faut encore évoquer les coûts non négligeables entraînés par la cotation, qu’ils soient directement liés ou qu’ils constituent un manque à gagner, par exemple en raison de l’intégration fiscale rendue impossible.

1 Loi de reconquête de l’économie réelle dite « Florange », n°2014-384 du 29/03/2014

2 Directive 2004/25/CE du Parlement européen et du Conseil concernant les offres publiques d’acquisition : JOUE 30 avr. 2004, n° L 142/12 3 Loi pour la confiance et la modernisation de l’économie dite « Loi Breton », n°2006-387 du 31/03/2006

4 Sénat, Desplan F., avis présenté au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et

de l’administration générale sur la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à reconquérir l’économie réelle, session ordinaire de 2013-2014, n°316, 28 janv. 2014

5 Directive 2004/25/CE du Parlement européen et du Conseil concernant les offres publiques d’acquisition : JOUE 30 avr. 2004, n° L 142/12,

art. 3,1°, c)

6 Cass. civ., 4 juin 1946, Motte

7 Sénat, Todeschini J.-M., Avis présenté au nom de la commission des finances sur la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale

après engagement de la procédure accélérée, visant à reconquérir l’économie réelle, session ordinaire de 2013-2014, n°315, 28 janv. 2014, nous soulignons.

80 Aussi, une décision de radiation au même titre que le recours à un mécanisme de défense, seront forcément fondés, de sorte qu’il ne semble pas que l’intérêt social soit mis en péril par la non-participation des actionnaires. Au surplus, peuvent être mentionnés deux exemples étrangers s’agissant de la défense de l’intérêt social en cause1. Dans l’affaire ABN Amro2, la Cour suprême des Pays-Bas a jugé que, confronté à une offre publique, le conseil de la cible devait être guidé par les intérêts de la cible et de l’ensemble des parties prenantes, et non uniquement par l’intérêt des actionnaires3. Les juridictions de l’État du Delaware aux États- Unis estiment que les intérêts des actionnaires n’ont vocation à primer uniquement dans l’hypothèse où les administrateurs de la cible ont agi en vue d’une mise en vente de la société4, et non lors de la mise en œuvre d’un moyen de défense dont la validité sera étudiée à l’aune de sa juste mesure, autrement dit du caractère raisonnable de celle-ci, au regard de la menace que constitue l’offre5. Au cas d’espèce, les membres du Board justifieront forcément de la décision de radiation de la société dans la note en réponse, de sorte qu’il ne semble pas que l’intérêt de la société soit mis en cause.

Il semblerait alors que l’atteinte portée au pouvoir du dirigeant soit trop importante pour ainsi laisser la décision de radiation aux actionnaires. Toutefois, deux auteurs soulignent que de prime abord l’assemblée des actionnaires au sens collectif du terme, n’a pas vocation à prendre une décision relative à une mesure de défense dans la mesure où la logique de marché doit primer sur la logique sociétaire6. Mais selon ces mêmes auteurs, ce serait oublier que les droits des actionnaires sont issus du contrat de société. Cette dernière affirmation permet donc de s’interroger sur l’opportunité de la mise en place d’un mécanisme sociétaire — alors même qu’en France le mécanisme semble uniquement boursier — et donc de la transposition du

Scheme of Arrangement en droit français.

1 Pietrancosta A., Prat J.-F., « Offres publiques et droit des sociétés », in Les offres publiques d’achat, G. Canivet, D. Martin, N. Molfessis

(dir.), Lexisnexis Litec, 2009, p. 140

2 Décision de la Cour suprême néerlandaise, 13 juill. 2007 ; Pietrancosta A., Prat J.-F., « Offres publiques et droit des sociétés », in Les offres

publiques d’achat, G. Canivet, D. Martin, N. Molfessis (dir.), Lexisnexis Litec, 2009, p. 140

3 “The ABN AMRO decision confirms that, despite the rise in Dutch shareholder primacy advocates, the traditional stakeholder model still

prevails in Dutch corporate law. Pursuant to the Dutch stakeholder model both the managing and the supervisory board must pursue the interests of the company and all its stakeholders, and not solely those of the shareholders. When performing their tasks, boards have to weigh the interests of the shareholders, employees, customers and creditors, both in the short and the long term. It is sometimes even argued that boards should consider national, regional and other public interests (…). It rejected the shareholder model oriented view of the Enterprise Chamber, which was apparently inspired by the famous “Revlon duties” that apply to the board of a Delaware company when the company is put up for sale”, Martin D., Kanovitch K., Haas F., Epelbaum M., Chronique/Public M&A, RTDF N°4 – 2007, p. 111, nous soulignons.

4 Revlon v. Mac Andrews and Forbes Holdings Inc., 506 A.2d 173 (Del. 1985) ; Pietrancosta A., Prat J.-F., « Offres publiques et droit des

sociétés », in Les offres publiques d’achat, G. Canivet, D. Martin, N. Molfessis (dir.), Lexisnexis Litec, 2009, p. 140

5 Uncoal Corp. v. Mesa Petroleum Co., 493 A. 2d 946 (Del. 1985) ; Pietrancosta A., Prat J.-F., « Offres publiques et droit des sociétés », in

Les offres publiques d’achat, G. Canivet, D. Martin, N. Molfessis (dir.), Lexisnexis Litec, 2009, p. 140

6 Martin D., Molfessis N., « Les mesures de défense anti-OPA », in Les offres publiques d’achat, G. Canivet, D. Martin, N. Molfessis (dir.),

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