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Limiter le comportement abusif de certains actionnaires

Dans le document La radiation de la cote (Page 48-53)

Chapitre Premier : L’amendement du squeeze out à la française

Section 2 : La place des minoritaires dans le retrait obligatoire

A. Limiter le comportement abusif de certains actionnaires

À titre liminaire, il convient bien entendu de rappeler que l’objectif n’est pas de trouver une solution s’appliquant de manière systématique, mais il s’agit bien de trouver une solution réprimant les comportements d’une opportunité jugée excessive. Il faut bien garder à l’esprit que la frontière est assez fine entre l’actionnaire engagé et l’activiste au comportement condamnable1 ; le droit de critique se transformant alors en droit de nuire2. De surcroit, il est nécessaire de souligner l’importance d’un dispositif empreint de sécurité juridique, qui s’accommode alors de l’efficience du marché. L’objectif sera alors de trouver un dispositif

dissuasif, pour sanctionner les abus les plus manifestes, à l’image de dispositifs existants dans

d’autres domaines — l’abus de droit en droit fiscal par exemple, à propos duquel les praticiens disent qu’il est, par essence, plus dissuasif qu’autre chose3. Pour autant, il semblerait qu’une solution, qu’un cadre de régulation, se fasse de plus en plus attendre par les professionnels dont Monsieur Gérard Rameix, mettant en lumière un cadre de régulation parcellaire et un nécessaire débat à l’international4.

Le droit des biens au service du marché financier. À l’image des comportements d’Orfim

ou d’Elliott, la tentation serait, de manière assez primaire, d’utiliser le droit de propriété pour si ce n’est mettre fin, à tout le moins limiter les comportements opportunistes. En effet, de manière assez simpliste, pourrait être utilisée l’image du voisin assez désagréable au comportement abusif et dérangeant, nuisant à l’exercice normal des prérogatives de ses semblables. Et là, à la fois seront étudiés l’exercice même des prérogatives d’actionnaires, mais aussi les motifs conduisant à l’acquisition des titres. Au détour d’une conversation, Monsieur le Professeur William Dross nous faisait remarquer que ce dernier cas ne connaissait d’application concrète, et qu’il nous revenait alors d’y réfléchir.

Monsieur le Professeur Dross, présente trois théories concernant le critère de l’abus du droit de propriété, qui selon lui « dépend des considérations libérales ou sociales » de chacun5. La première se rattache au critère de l’intention ; il faut alors une véritable intention de nuire à autrui pour caractériser l’abus. Ce critère, qui a connu quelques applications

1 Pour une comparaison entre les fonds Elliott et Berkshire Hathaway. Le dirigeant de ce dernier « n’aime rien tant que les transactions

simples et rapides, et privilégie constamment les investissements de long terme. (…) » et « a toujours méprisé les investisseurs activistes qui bouleversent les entreprises et “foutent la trouille à tout un tas de PDG” selon ses propres termes » ; Robequain L., « La bataille des milliardaires qui passionne Wall Street », Les Echos, le 12/07/2017 ; Allaire Y., Dauphin F., « Les fonds activistes sont-ils utiles aux entreprises ? », Le Monde, le 30/10/2015

2 Karila de Van J., « Le droit de nuire », RTD civ. 1993, p. 533 et s. ; Couret A., « Le harcèlement des majoritaires », Bull. Joly Sociétés,

01/02/1996, n°2, p. 112 ; De La Bastide B., « Les risques nés de la présence de minoritaires dans les opérations de restructuration », Les Petites affiches, 20/11/1996, n°140, p. 6

3 Sivieude O., Gauthier M., Brun M.-C., Marcus A., Olléon L., « Table ronde sur la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales », Droit fiscal,

n°49, 8 déc. 2016, 633

4 Rameix G., « Les défis de la régulation des hedge funds », Revue d’économie financière, n°93, 2008 5 Dross W., Droit des biens, LGDJ, 2ème éd., 2014, p. 74-75

43 jurisprudentielles, paraît toutefois un peu trop restrictif, et Monsieur le Professeur Dross, se référant au Doyen Ripert1, souligne que ce critère sera d’autant plus étroit « que l’on considérera que sitôt qu’en voulant nuire à autrui, le propriétaire a néanmoins aussi poursuivi un intérêt propre, l’abus disparaît ». Le second critère est celui de l’intérêt ; l’abus sera caractérisé dès lors que l’exercice du droit ne présente aucun intérêt légitime pour son titulaire, tout en causant un dommage aux tiers. Nous imaginons dans ces deux premiers cas que les fonds trouveront facilement un intérêt à invoquer, empêchant donc de caractériser un abus. Enfin, et c’est ce dernier critère que nous préférons sûrement, il faut avoir égard à la finalité sociale du droit. Monsieur le Professeur Dross se réfère alors au Doyen Josserand : « En réalité, et dans une société organisée, les prétendus droits subjectifs sont des droits fonction ; ils doivent demeurer dans le plan de la fonction à laquelle ils correspondent, sinon leur titulaire commet un détournement, un abus de droit ; l’acte abusif est contraire au but de l’institution, à son esprit et à sa finalité »2. La notion à l’aune de laquelle l’acte abusif devra être étudié est, bien entendu, celle de l’intérêt social.

Mais se présente à nous le débat insoluble, relativement théorique, de la définition de ce dernier. Dans une première conception, il comprendrait alors le seul intérêt de l’entreprise, une entité autonome répondant alors d’un intérêt propre. Cette conception institutionnelle défendue par quelques auteurs3, avait donné lieu à une application jurisprudentielle4, mais

reste néanmoins assez en marge d’un point de vue pratique. Pour autant, s’il venait à comprendre des intérêts supérieurs, en ce compris, l’intérêt des actionnaires, notre théorie pourrait partiellement être mise à mal, tant ces genres de fonds peuvent trouver des parades justifiant leur comportement. Cette thèse contractuelle semble recevoir les faveurs d’une partie de la doctrine5.

De surcroît, il ne faudrait oublier la nature si particulière du contrat d’investissement par lequel est lié l’actionnaire, qui semble alors difficilement s’accommoder de la théorie relativement classique évoquée. Toutefois, Maître Dominique Bompoint souligne que : « Dans la conception traditionnelle de la société anonyme, l’actionnaire a le pouvoir de prendre en assemblée les décisions les plus importantes pour l’entreprise. Ce pouvoir est la contrepartie du risque économique que l’actionnaire a accepté de prendre en investissant dans

1 Ripert G., La règle morale dans les obligations civiles, Dalloz, 1949, n°98-99

2 Josserand L., De l’esprit des droits et de leur relativité. Théorie dite de l’abus des droits. Dalloz, 1939, n°292

3 « L’intérêt social ne se confond pas avec l’intérêt égoïste des associés, encore moins avec l’intérêt personnel des dirigeants ; la société a un

intérêt propre qui transcende celui des associés ; en fin de compte, il s’agit de l’intérêt propre de la société en tant que personne morale, en tant que communauté dans laquelle associés et dirigeants ne sauraient agir en négligeant l’intérêt commun et supérieur qui les domine », Cozian M., Viandier A., Deboissy F., Droit des sociétés, Lexisnexis, 30ème éd., 2017, p. 248

4 CA Paris, 22 mai 1965, Fruehauf, JCP 1965, II, 14274 bis, concl. Nepveu ; D. 1968. 147, R. Contin 5 Schmidt D., « De l’intérêt social », La Semaine Juridique Entreprise et Affaires, 1995, n°38, p. 488

44 le capital social. Participant du droit de propriété, sa seule limite est celle de l’abus de droit — abus de majorité, abus de minorité — quand l’actionnaire nuit à l’intérêt social dans l’exercice de son pouvoir d’imposer ou de s’opposer »1. Dès lors, il nous semble possible d’utiliser le droit de propriété pour tenter de limiter les comportements opportunistes, que ce soit dans l’exercice des prérogatives d’actionnaires — au-delà de la seule assemblée —, ou même dans l’acquisition des titres. L’avantage d’une telle solution serait de permettre la condamnation uniforme de ce type de comportement, plutôt que de trouver des solutions disparates selon les problématiques soulevées, dont la réglementation est parfois lacunaire.

Un abus de minorité renouvelé. Pourrait également être envisagé l’abus de minorité, en

proposant cette fois-ci une conception renouvelée, modernisée. En effet, il faut tout de même partir du constat que cet instrument ne reçoit pas toutes les faveurs de la doctrine, qui s’accompagne d’une utilisation assez rare du dispositif.

Classiquement, l’abus de minorité intervient au titre du contrôle des abus commis par les associés dans l’exercice de leur droit de vote. Certains auteurs proposaient alors de distinguer l’abus de minorité positif, c’est-à-dire le cas où les associés minoritaires parviennent à provoquer l’adoption d’une décision non conforme aux associés majoritaires par des manœuvres ou par surprise, de l’abus de minorité négatif, c’est-à-dire le cas où les associés minoritaires parviennent à bloquer l’adoption d’une décision par les associés majoritaires2. En réalité, cette distinction n’a pas tellement lieu d’être, et cette notion a vocation à rester centrée sur l’abus de minorité négatif. La jurisprudence est par la suite venue apporter des précisions, et l’abus de minorité a été qualifié comme une attitude contraire à la société, en ce qu’elle interdit la réalisation d’un acte nécessaire à la survie de celle-ci dans l’unique dessein de satisfaire les intérêts des minoritaires au détriment de l’ensemble des associés3. De sorte que trois conditions doivent être réunies : il faut que l’attitude des associés minoritaires soit contraire à l’intérêt de la société, que l’adoption de la délibération empêchée ait permis la réalisation d’une opération essentielle à la société, et enfin que l’attitude des minoritaires ait été déterminée dans l’unique dessein de favoriser leur propre intérêt au détriment de l’intérêt de la société4. Un tel abus entraînera la désignation d’un mandataire de justice aux fins de représenter les minoritaires à une nouvelle assemblée et de voter en leur nom dans le sens de l’intérêt social5. Cette sanction reçoit alors les critiques de la doctrine, tant elle est

1 Bompoint D., « Actionnaire. – Peu à peu, le citoyen évince l’actionnaire », La Semaine Juridique Edition Générale, n°48, 23 Nov. 2015,

doctr. 1305, nous soulignons.

2 Pour cette distinction, Le Cannu P., « L’abus de minorité », Bull. Joly Sociétés, 1986, p. 429

3 Pour un arrêt parmi d’autres, Cass. com., 4 déc. 2012, n°11-25.408, Revue des sociétés 2013, p. 150, note Viandier A. 4 Le Cannu P., Dondero B., Droit des sociétés, LGDJ, 6ème éd., 2015, p. 116

45 compliquée1 et hypocrite dans la mesure où le mandataire votera toujours dans le sens de l’intérêt social, c’est-à-dire dans le sens des majoritaires.

Nous pourrions alors imaginer revenir sur ce concept pour l’appliquer au cas d’espèce. Pour cela, il faudrait que l’abus de minorité puisse être caractérisé en l’absence de délibération des actionnaires dans la mesure où le processus de radiation n’est pas, par essence, un processus sociétaire. Par ailleurs, l’opération en cause pourrait être envisagée dans une conception moins rigide, ne se contentant pas uniquement d’une opération nécessaire à la « survie » de la société. Même si elle est plus souple, l’opération « essentielle » au bon fonctionnement la société devra pour autant être caractérisée avec beaucoup de vigueur. D’une part, parce qu’en terme quantitatif, il ne serait pas opportun de retenir cet abus trop largement dans la mesure où cela n’encouragerait pas les actionnaires minoritaires à exercer leur droit de vote comme ils l’entendent, craignant alors cette menace, alors même qu’ils peuvent avoir intérêt à défendre des positions opposées à celles des majoritaires. D’autre part, parce qu’en terme qualitatif, il est assez aisé pour des fonds d’invoquer l’intérêt social comme justification à leur comportement, alors même que ces justifications ne sont pas toujours empreintes de bonne foi. L’appréciation de cette notion devra alors être assez fine, se cantonnant aux abus « évidents ». Enfin, le seul intérêt des minoritaires devra être conservé dans la mesure où au cas d’espèce, les minoritaires aux comportements opportunistes ont souvent pour objectif de revendre leur participation à un prix d’or. Tel est le cas par exemple d’Elliott qui se trouve aujourd’hui « coincé » par la réglementation française, si protectrice des minoritaires, dans la mesure où une situation de blocage se constate chez XPO, ledit fonds n’ayant toujours pas revendu sa participation. Nous imaginons alors prouver cela à l’aide d’un faisceau d’indices ; notamment en ayant égard au respect ou non de la réglementation des franchissements de seuils, au timing des acquisitions d’actions, aux instruments utilisés.

S’il nous paraît peut-être difficile d’envisager l’expropriation des minoritaires, ou bien de les forcer à revendre leurs actions, nous pourrions au moins envisager la réparation de l’éventuel dommage commis par ceux-ci, ouvrant ainsi droit à l’allocation de dommages et intérêts2 ; octroyés à la société ou bien aux actionnaires majoritaires. Dommage, nous l’aurons compris, qui pourra notamment être caractérisé par les différents frais liés à la cotation, au conflit opposant les actionnaires.

La fraude. Enfin, nous pourrions également envisager la fraude pour nous prémunir de ce

type de comportement. Là surgit la question de savoir si elle peut ou non être envisagée de

1 En ce sens Cass. com., 9 mars 1993, Flandin ; Merle Ph., Revue des sociétés 1993, p. 403 2 Cass. com., 18 juin 2002, n°98-21.967, F-D, Forges Thermal c/ Gaillard : RJDA 3/2003, n°262

46 manière autonome. Madame le Professeur Caroline Coupet prend à ce titre deux positions1 ; soit, la fraude peut être un élément d’un faisceau d’indices — et si tel était le cas, cet élément pourrait être envisagé avec les mesures précitées — soit, elle peut être envisagée de manière autonome. De manière générale, la fraude consiste à contourner une règle de droit impérative par des moyens qui sont, en eux-mêmes, légaux ; il faut donc une règle obligatoire éludée, une intention frauduleuse, et un moyen efficace pour éluder l’application de la loi.2

La sanction d’une telle fraude, outre les sanctions déjà étudiées, pourrait peut-être être l’annulation de la cession desdites actions, composant ainsi une minorité de blocage. Un arrêt isolé3 avait admis une telle sanction pour défaut d’affectio societatis — et un raisonnement

par analogie paraît ici envisageable — après qu’une société actionnaire soit montée au

capital d’une société civile immobilière à hauteur de 40 %, pour ensuite céder des actifs de la société. D’autres actionnaires avaient alors réagi en demandant l’annulation desdites cessions d’actions, pour défaut d’affectio societatis du nouvel actionnaire. La chambre commerciale relève ainsi que : « l’acquisition des titres de la SIIPH s’est faite par l’intermédiaire de la société LMO, “coquille vide” entre les mains de la société CMV, qui n’était animée d’aucun affectio societatis puisque l’opération était faite, non pas dans le but d’assurer le logement locatif des employés des sociétés hôtelières actionnaires, mais seulement dans celui d’obtenir une plus-value importante par un démantèlement du patrimoine de la société immobilière allant bien au-delà d’une simple prise de bénéfice ; qu’en l’état de ces appréciations et constatations, la cour d’appel (…) a pu déduire que les cessions d’actions étaient entachées de fraude (…) ».

Madame le Professeur Caroline Coupet souligne deux faiblesses de ce raisonnement. D’une part, cet arrêt est un arrêt isolé. D’autre part, la plupart du temps, les torts commis à la société ne sauraient être réparés4. Dans notre cas de figure, cette dernière remarque peut être nuancée. En effet, il semblerait que dans la majorité des cas, des fonds activistes auront plus pour objectif de faire augmenter la valeur de la société, sans lui causer de préjudice trop important donc, plutôt que l’inverse, dans la mesure où ils envisagent de céder leur participation à un prix d’or. Et par ailleurs, cette sanction permettra tout de même la radiation de la société qui viendra stopper les coûts liés à la cotation.

Afin de mener notre raisonnement à son terme, doit être envisagée la question de la preuve de ces comportements abusifs, et celle-ci doit être étudiée en amont du procès.

1 Coupet C., L’attribution du droit de vote dans les sociétés, Th. Paris II, LGDJ, éd., 2015, p. 410

2 Vidal, J., Essai d’une théorie générale de la fraude en droit français – Le principe « Fraus omnia corrumpit », Th. Toulouse, Dalloz, 1957 3 Cass. com., 25 avril 2006, n°01-15.754, note Viandier A., Revue des sociétés, 2006, p. 793

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