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Le « troisième ONU », relais de la conception répressive de l’état de droit

Chapitre III – Construction de l’état de droit répressif

Section 1. L’institutionnalisation de l’état de droit répressif dans les situations conflictuelles et post-conflictuelles

II. L’ancrage de l’état de droit répressif dans les sphères académique et privée

1. Le « troisième ONU », relais de la conception répressive de l’état de droit

Les positions des organismes constituant le « troisième ONU » peuvent être considérées comme reflétant la conception prévalant au sein des Nations Unies, lorsque ces organismes reprennent les termes onusiens dans leurs propres discours. Dans le même temps, à travers

889 Comme l’explique V. Pouliot, sur la base de la pensée bourdieusienne (voir P. BOURDIEU, Esquisse d’une

théorie de la pratique : précédé de Trois études d’ethnologie kabyle, 2015.), « [w]hen a practice is so fully part of everyday routine that it is thoughtlessly but consensually enacted, it forms the background knowledge against which all social interaction takes place. The orchestra can play without a conductor, for doxa produces a commonsensical world of meanings and practice », V. POULIOT, « The Logic of Practicality: A Theory of Practice of Security Communities », International Organization, vol. 62, n° 2, avril 2008, p.283.

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T.G. WEISS, T. CARAYANNIS et R. JOLLY, « The “third” United Nations », Global governance, vol. 15, n° 1, 2009, p.123.

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leurs activités de recherche et de plaidoyer891, les éléments du « troisième ONU » peuvent influencer la conception d’autres acteurs, y compris des Nations Unies892

. Il est dès lors pertinent, pour comprendre et évaluer le processus d’institutionnalisation de la conception répressive de l’état de droit, d’y consacrer quelques lignes. Il n’est cependant pas question ici d’étudier dans quelle mesure ces organismes influent ou non sur le contenu et la teneur de l’état de droit en tant que concept de droit international, mais simplement de constater que certains d’entre eux ont une conception de l’état de droit proche de celle des Nations Unies, et de partir du postulat que cela constitue un indicateur de l’institutionnalisation de la conception répressive de l’état de droit – quel que soit le sens dans lequel l’influence conceptuelle s’exerce. Par ailleurs, certains de ces organismes étant semi-gouvernementaux (car établis par un gouvernement), ils contribuent également à créer des liens entre la conception onusienne et la conception de l’état de droit de l’Etat en question, et donc à un rapprochement conceptuel des positions respectives de ces acteurs.

En premier lieu, illustrant la reprise d’une conception au moins en partie répressive de l’état de droit, on peut citer plusieurs think tanks ou instituts de recherches privés ou gouvernementaux spécialisés dans les questions de paix, dont le US Institute of Peace893, la International Peace Academy devenue International Peace Institute894, le Geneva Centre for the Democratic Control of Armed Forces895 ou la Folke Bernadotte Academy896. Ces

891 Le troisième ONU est décrit comme se consacrant à des activités d’«advocacy, research, policy analysis, and

ideas mongering », ibid.

892 « [T]he Third UN plays and has played a significant role, especially in relation to the development or

promotion of new ideas », R. JOLLY, L. EMMERIJ et T.G. WEISS, UN ideas that changed the world, op. cit., p.33. Sur la question de l’influence d’une « communauté de pratique » sur les normes et pratiques essentielles en matière de justice transitionnelle et d’édification de l’état de droit, voir E.A. BAYLIS, « Function and Dysfunction in Post-Conflict Justice Networks and Communities », Vanderbilt Journal of Transnational Law, vol. 47, 2014, pp.625‑698. Voir aussi, sur le rôle de ces acteurs dans l’émergence et le développement de normes internationales, A.-M. SLAUGHTER, « Introduction », dans Y. DEZALAY et B. GARTH (éds.), Lawyers and the

Rule of Law in an Era of Globalization, Abingdon, Routledge, 2011, p.4.

893 Voir entre autres P. LEROUX-MARTIN, V.M. O’CONNOR et UNITED STATES INSTITUTE OF PEACE, « Systems thinking for peacebuilding and rule of law: supporting complex reforms in conflict-affected environments », United States Institute of Peace, 2017, p. 48, disponible en ligne à l’adresse suivante: https://www.usip.org/sites/default/files/PW133-Systems-Thinking-for-Peacebuilding-and-Rule-of-Law-v3.pdf, consultée le 6 mars 2019 ; E. HOULIHAN et W. SPENCER, « Rule of law, governance, and human rights in Afghanistan, 2002 to 2016 », United States Institute of Peace, 2017, p. 59, disponible en ligne à l’adresse suivante: https://www.usip.org/sites/default/files/PW130-Rule-of-Law-Governance-and-Human-Rights-in-Afghanistan-2002-to-2016.pdf, consultée le 6 mars 2019 ; L. AUCOIN, H.J. ALBRECHT et V. O’CONNOR, « Building the Rule of Law in Haiti: New Laws for a New Era », Washington, D.C, United States Institute of Peace, 19 août 2009, disponible en ligne à l’adresse suivante : http://www.usip.org/publications/building-the-rule-of-law-in-haiti-new-laws-new-era, consultée le 27 juillet 2016.

894 Voir entre autres A. HURWITZ et K. STUDDARD, « Rule of Law Programs in Peace Operations », IPI -

International Peace Institute, disponible en ligne à l’adresse suivante

:https://www.ipinst.org/2005/08/rule-of-law-programs-in-peace-operations, consultée le 6 mars 2019.

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organismes prennent en général pour point de départ de leurs analyses la pratique d’édification de l’état de droit telle qu’elle existe dans les situations de conflit et sortie de conflit, donc une pratique visant à la mise en place d’un état de droit répressif. Parmi ces think tanks, le Carnegie Endowment for International Peace a abondamment alimenté les débats académiques mais aussi la pratique des acteurs internationaux en matière d’édification de l’état de droit897. L’approche de ces instituts est en effet surtout opérationnelle, en ce que l’analyse doit aider les « praticiens » à « mieux » mettre en place l’état de droit dans les contextes visés. Plusieurs titres de rapports ou de « working papers » sont représentatifs de cette approche, tels « Competing Definitions of the Rule of Law: Implications for Practitioners »898, « Advancing the rule of law abroad: next generation reform »899, « Systems thinking for peacebuilding and rule of law: supporting complex reforms in conflict-affected environments »900 ou encore « Professionalizing Rule of Law: Issues and Directions »901.

De ce fait, ces travaux se fondent sur la pratique existante et, tout en en critiquant certains aspects en général pratiques (temporalités de mise en œuvre, relation avec les acteurs nationaux, etc.), contribuent en même temps à conforter le concept d’état de droit qui en est le fondement, c’est-à-dire un état de droit équivalant à une chaîne pénale dotée d’une fonction répressive. Parmi de nombreux exemples, une étude du Centre pour le Dialogue Humanitaire902 sur l’édification de l’état de droit en Afghanistan, se propose de « complement efforts where they are constructive, and offer practicable alternatives where they are not », et pour ce faire reprend « a functional definition of the Rule of Law sector as comprising the activities of the police, the prosecution, the legal profession, the courts, the corrections

Relationship », op. cit. 896

L. EJELÖV et R.Z. SANNERHOLM, « The UN Global Focal Point for Police, Justice and Corrections is at the crossroads », op. cit. ; K. SIMION et V.L. TAYLOR, « Professionalizing Rule of Law: Issues and Directions », op.

cit.

897 Les membres de son personnel responsables des questions d’état de droit, dont T. Carothers et R. Kleinfeld-Belton, ont publié de nombreux articles et ouvrages tant pour le compte de l’institut que dans des sources académiques : T. CAROTHERS, « The Rule of Law Revival », art. cit. ; T. CAROTHERS, « Promoting the Rule of Law Abroad », op. cit. ; R. KLEINFELD BELTON, « Competing Definitions of the Rule of Law », op. cit. ; R. KLEINFELD, Advancing the rule of law abroad: next generation reform, Washington, D.C, Carnegie Endowment for International Peace, 2012 ; R. KLEINFELD BELTON et K. NICOLAIDIS, « Can a Post-colonial Power Export the Rule of Law? », art. cit.

898 R. KLEINFELD BELTON, « Competing Definitions of the Rule of Law », op. cit. 899 R. KLEINFELD, Advancing the rule of law abroad, op. cit.

900 P. LEROUX-MARTIN et V.M. O’CONNOR, « Systems thinking for peacebuilding and rule of law », op. cit. 901

K. SIMION et V.L. TAYLOR, « Professionalizing Rule of Law: Issues and Directions », op. cit.

902 Décrit comme « une organisation de diplomatie privée basée en Suisse et fondée sur les principes d’humanité, d’impartialité et d’indépendance. Sa mission est d’aider à prévenir, atténuer et résoudre les conflits armés par le biais du dialogue et de la médiation», voir le site du Centre à l’adresse suivante : https://www.hdcentre.org/fr/who-we-are/about/, consultée le 27 mai 2019.

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system, and human rights institutions »903 : on retrouve bien ici une conception de l’état de droit très proche de l’état de droit comme chaîne pénale.

De plus, les acteurs onusiens ont établi des partenariats avec certains centres de recherche tels la Folke Bernadotte Academy, le Clingendael ou le Stimson Center, qui produisent donc une recherche entièrement consacrée à la pratique onusienne. Ces instituts ont produit nombre de rapports à visée opérationnelle. Ce type de documents contribue indéniablement à ancrer et diffuser la conception onusienne de l’état de droit comme chaîne pénale dans la « littérature grise »904, mais également dans la littérature académique, étant donné que le personnel de ces instituts publie par ailleurs dans la littérature académique905. A titre d’illustration de l’acceptation de la conception de l’état de droit comme chaîne pénale, l’un de ces rapports a créé un acronyme spécifique, « PJC » pour « Police, Justice and Corrections », pour désigner le triptyque institutionnel incarnant l’état de droit tel que conçu par les Nations Unies906

.

Les positions et les travaux émis par les institutions gravitant autour des Nations Unies révèlent donc le caractère institutionnalisé d’une conception répressive de l’état de droit dans la pratique onusienne, et internationale, de paix, puisque cette conception constitue généralement le fondement de leur analyse. Partant, ces travaux contribuent à l’ancrer davantage dans le discours et la pratique internationaux en la matière, de même que le fait une certaine partie de la production académique.

2. L’ancrage et la diffusion de la conception répressive de l’état de droit dans

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