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Les institutions de l’état de droit dans les résolutions du Conseil de sécurité

Chapitre I – La dimension institutionnelle de l’état de droit

I. Les institutions de l’état de droit dans les résolutions des Nations Unies relatives aux situations conflictuelles et post-conflictuelles

1. Les institutions de l’état de droit dans les résolutions du Conseil de sécurité

Deux types de résolutions peuvent être distingués ici : les résolutions thématiques de portée générale, et les résolutions relatives à une situation précise. Les premières seront analysées dans la section consacrée à l’institutionnalisation de l’état de droit répressif étant donné qu’elles manifestent l’ancrage d’une conception spécifique de l’état de droit dans le cadre onusien238. Ce sont donc aux secondes, relatives à une situation concrète, que les lignes qui suivent sont consacrées.

Lorsque le Conseil de sécurité associe — ce qui n’est pas toujours le cas — l’édification de l’état de droit à un contenu précis dans les situations de conflit et de sortie de conflit, ce contenu désigne, de façon relativement uniforme, les institutions de la police, de la justice et du système pénitentiaire. Du fait du volume que représentent les résolutions relatives à l’ensemble des situations de conflit et post-conflit depuis 2000, l’étude se concentrera sur les résolutions créant ou, le cas échéant, modifiant de façon significative les mandats des

236 Charte des Nations Unies, art. 24. 237

La première résolution sur ce point est la résolution A/RES/48/132. 238 Infra, Chapitre III, Section 1, § 1, I, 1, i).

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missions (et non sur la totalité des résolutions relatives à chaque mission), tandis que l’étude des résolutions concernant les cas retenus sera elle exhaustive.

Le Conseil de sécurité a créé trente-sept missions239 depuis 2000240, parmi lesquelles quatre étaient des missions transitoires ou temporaires (de moins d’un an), qui pour cette raison ne sont pas retenues dans l’étude qui va suivre241

. Le mandat de vingt-quatre de ces missions comporte ou a comporté le renforcement, le maintien, le rétablissement ou une autre forme de soutien à l’« état de droit » sous une forme nominale242

, à un moment au moins de leur existence – certains mandats ayant évolué entre la création et la fin de la mission. Plus spécifiquement, c’est le cas de treize missions « politiques »243, c’est-à-dire chapeautées par le Département des affaires politiques (DAP) et de onze missions de « maintien de la paix », sous la responsabilité du Département des opérations de maintien de la paix (DOMP)244.

239 Bien que créés par le Conseil de sécurité et ayant un lien avec la pratique de paix, seront exclus de cette analyse les bureaux régionaux, dont le mandat porte sur un ensemble de pays et principalement à des fins de coordination, et les conseillers, coordonateurs ou envoyés spéciaux, dont le mandat relève davantage de la médiation et n’implique pas, ou de façon très marginale, la réalisation d’activités concrètes.

240 Entre autres sources ayant permis ce décompte, voir les sites du Département des opérations de maintien de la paix et du Département des affaires politiques, disponibles en lignes aux adresses respectives suivantes : http://www.un.org/fr/peacekeeping/operations/index.shtml ethttps://dppa.un.org/fr/dppa-around-world, consultées le 24 juillet 2017. Voir aussi le tableau proposé par J.M. FARRALL, « United Nations peacekeeping and the rule of law », op. cit.

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C’est le cas de la Mission préparatoire des Nations Unies au Soudan (Mipnus) dont le mandat de quelques mois visait à préparer l’arrivée de la future Minus, de la Mission de supervision des Nations Unies en République arabe syrienne (Misnus) dont les activités ont pris fin quelques mois après l’adoption de la résolution du fait du contexte national, de la Mission des Nations Unies en Angola (Minua) qui a succédé pour quelques mois au Bureau des Nations Unies en Angolga (Bunua) afin de clôturer ses activités, et de la Mission des Nations Unies en Côte d’Ivoire (Minuci) qui a brièvement précédé l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire.

242 En conséquence de cette approche nominale, les missions dont le mandat couvre des secteurs d’activités similaires à ceux que le Conseil de sécurité associe en général à l’état de droit, mais où l’expression même ne figure pas, ne sont pas énumérées ici. C’est par exemple le cas de l’Organisation des Nations Unies au Burundi, qui est entre autre chargée d’« [a]chever la mise en œuvre de la réforme du système judiciaire et pénitentiaire », S/RES/1545 par. 6, et de la Force intérimaire de sécurité des Nations Unies pour Abyei qui doit « contribuer à la gestion des processus de maintien de l’ordre dans la zone d’Abyei », S/RES/2205 par. 15.

243 Soit leBureau des Nations Unies pour la consolidation de la paix en République centrafricaine (Bonuca) puis le Bureau intégré des Nations Unies pour la consolidation de la paix en République centrafricaine (Binuca), le Bureau des Nations Unies d’aide à la consolidation de la paix au Tadjikistan (Untop), la Mission d’Assistance des Nations Unies en Afghanistan (Manua), la Mission d’assistance des Nations Unies pour l’Irak (Manui), le Bureau intégré des Nations Unies en Sierra Leone (Binusil) puis le Bureau intégré des Nations Unies pour la consolidation de la paix en Sierra Leone (Binucsil), le Bureau Intégré des Nations Unies au Burundi (Binub) puis le Bureau des Nations Unies au Burundi (BNUB), le Bureau intégré des Nations Unies en Guinée-Bissau (Binugbis), la Mission d’appui des Nations Unies en Lybie (Manul), la Mission d’assistance des Nations Unies en Somalie (Manusom), la Mission des Nations Unies en Angola (Minua). Voir annexe 1.

244 Soit l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (Onuci), la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (Minustah) puis la Mission des Nations Unies pour l'appui à la justice en Haïti (Minujusth), la Mission des Nations Unies au Libéria (Minul), la Mission des Nations Unies au Soudan (Minus) puis la Mission des Nations Unies en République du Soudan du sud (Minuss), la Mission des Nations Unies au Darfour (Minuad), la Mission des Nations Unies en République centrafricaine et au Tchad (Minurcat), la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (Monusco), la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) et la Mission

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Dans quelques cas relativement rares, l’inclusion du soutien à l’état de droit dans le mandat des missions ne s’accompagne d’aucune précision quant au contenu ou à la signification que le Conseil attribue à cette notion245, de sorte que ces résolutions ne contribuent pas significativement à l’étude menée ici. En majorité cependant, le Conseil de sécurité, lorsqu’il confie aux missions le mandat d’apporter un soutien à l’état de droit, indique, de façon plus ou moins précise (il arrive que l’état de droit soit mentionné conjointement avec d’autres objectifs, rendant moins explicite le contenu qui lui est attribué spécifiquement), ce que l’état de droit est censé couvrir ou signifier. Le tableau à la fin de ce passage reprend l’ensemble du contenu institutionnel attribué directement ou indirectement à l’état de droit dans les résolutions du Conseil de sécurité depuis 2000.

Sur cette base, les institutions incarnant l’état de droit sont de façon très largement prédominante, les institutions judiciaire, pénitentiaire et policière246. Certains des mandats mentionnent d’ailleurs ces trois secteurs relativement à l’édification de l’état de droit, tandis que d’autres renvoient à l’un ou l’autre de ces secteurs. Les mandats de la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan247

, du Bureau intégré des Nations Unies en Sierra Leone248, de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti249, de la

intégrée multidimensionnelle de stabilisation des Nations Unies en République centrafricaine (Minusca). Voir annexe 1.

245 C’est le cas par exemple de la résolution créant le Bureau intégré des Nations Unies en Guinée-Bissau, chargé de « [r]enforcer les capacités des institutions nationales pour qu’elles puissent assurer le maintien de l’ordre constitutionnel et la sécurité publique et faire pleinement respecter la légalité », S/RES/1876, par. 2, ainsi que de la résolution créant la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo, qui mentionne sans plus de précision la « mise en place (…) d’organes garants de l’état de droit », S/RES/1925, par. 6, ou encore de la résolution créant la Mission d’assistance des Nations Unies en Somalie, chargée, entre autres, de la « réforme du secteur de la sécurité, l’état de droit », S/RES/2102, par. 2, ou de la Mission des Nations Unies en Angola chargée d’« [a]ider le Gouvernement angolais à entreprendre les tâches suivantes : 1) Défendre et promouvoir les droits de l’homme et renforcer les institutions nécessaires à la consolidation de la paix et à l’état de droit », S/RES/1433 par. 3.

246 Suivant la terminologie onusienne en la matière, on tient ici pour équivalents les termes « système de justice », « système judiciaire », « administration de la justice » et autres formulations similaires, les termes « police » et « appareil policier », et les termes « prisons », « système pénitentiaire », « appareil pénitentiaire » et « système carcéral » (ces derniers équivalent en outre à l’expression anglophone « corrections »).

247 Le Conseil de sécurité « [p]rie la MANUA d’appuyer la campagne actuelle qui a pour but la mise en place d’un système de justice équitable et transparent, et notamment la reconstruction des prisons et la réforme de l’administrateur pénitentiaire, afin d’asseoir l’état de droit sur l’ensemble du territoire », et « [s]alue la formation de l’armée et de la police nationales afghanes et les efforts actuels tendant à renforcer leurs moyens comme autant d’étapes importantes sur la voie de la création de forces de sécurité afghanes qui veillent à la sécurité et assurent l’état de droit dans tout le pays » S/RES/1589 par. 9 et 11 respectivement. Voir pour des formulations approchantes S/RES/1746 et suivantes. (Les italiques originaux ont été supprimés, et le sont pour le reste des extraits de résolution cités).

248 Le mandat comprend la tâche de « [c]onsolider l’état de droit, notamment en renforçant l’indépendance et la capacité du système d’administration de la justice, ainsi que la capacité de l’appareil policier et pénitentiaire », S/RES/1620 par. 1.

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Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique250, et, dernièrement, de la Mission des Nations Unies pour l'appui à la justice en Haïti251 (remplaçant la Minustah), relèvent du premier cas de figure dans lequel l’état de droit renvoie aux trois secteurs institutionnels de la police, de la justice et des prisons.

D’autres résolutions associent l’édification de l’état de droit aux systèmes judiciaire et pénitentiaire, telles que celles portant sur l’opération conjointe des Nations Unies et de l’Union Africaine au Darfour252

et les résolutions sur la Mission d’assistance des Nations Unies en Libye253. En matière d’état de droit, le mandat de la Mission des Nations Unies au Soudan du Sud mentionne la police et la « justice militaire »254. D’autres mandats ciblent enfin uniquement le secteur de la justice en matière d’état de droit : c’est le cas du mandat de la Mission d’assistance des Nations Unies en Irak qui fait référence à « la réforme judiciaire et juridique »255 et de celui de la Mission des Nations Unies au Soudan256. On compte donc, sur dix missions mandatées pour le renforcement de l’état de droit et qui attribuent explicitement un contenu à cette notion, neuf mentions du secteur de la justice, sept mentions de la police et six mentions du système pénitentiaire.

Dans plusieurs autres mandats, sans que l’état de droit désigne explicitement les institutions susmentionnées, il y est toutefois associé. Il en va ainsi du mandat initial de l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire qui doit « [a]ider le Gouvernement (…) à rétablir l’autorité du système judiciaire et l’état de droit »257

, similaire à celui de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali qui évoque « les secteurs de l’état de droit et de la justice »258. De même, le mandat de la Mission des Nations Unies en République centrafricaine et au Tchad en matière d’état de droit prévoit d’« [appuyer] un système

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Voir l’ensemble des résolutions, soit S/RES/1542, S/RES/1702, S/RES/1780, S/RES/1840, S/RES/2070, S/RES/2013, S/RES/2180, S/RES/2243.

250 Le mandat de la Minusca renvoie aux « capacités de l’appareil judiciaire du pays », ainsi qu’« à la police, à la justice et aux institutions pénitentiaires », S/RES/2149 par. 30 et résolutions suivantes.

251 S/RES/2350, par. 4-10.

252 Qui est chargée d’« [a]ider à promouvoir l’état de droit au Darfour, notamment en apportant un appui au renforcement d’un système judicaire et d’un système pénitentiaire indépendants », S/RES/1769 approuvant le mandat proposé dans le rapport du Secrétaire général S/2007/307/Rev.1 par. 54.

253 Il s’agit de « [p]romouvoir l’état de droit (…) y compris en aidant les autorités libyennes à réformer les institutions judiciaires et pénitentiaires », S/RES/2040 par. 6.

254 S/RES/1996 par. 3 c).

255 « Promouvoir (…) la réforme judiciaire et juridique en vue de renforcer l’état de droit », S/RES/1546 par. 7. 256

Il s’agit d’« [a]ider les parties à l’Accord de paix global à promouvoir l’état de droit, y compris une justice indépendante », S/RES/1590 par. 4.

257 Résolution S/RES/1528 par. 6. Voir également les résolutions S/RES/1933 par. 16, S/RES/1739 par. 2, et S/RES/1880 par. 27.

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judiciaire indépendant et un système juridique renforcé »259. Le mandat de la Mission des Nations Unies au Libéria associe quant à lui l’état de droit à la police et au secteur de la justice260. Les institutions de la justice occupent donc une place légèrement prépondérante dans les dispositions des mandats relatives à l’édification de l’état de droit, puisqu’elles sont presque systématiquement mentionnées, et que ce sont parfois les seules à l’être.

Pour autant, il arrive que des institutions autres que judiciaires, policières et pénitentiaires soient associées à l’état de droit, bien que de façon beaucoup plus marginale. On trouve ainsi un appui à « la Direction indépendante de la gouvernance locale, pour améliorer la gouvernance et l’état de droit et lutter contre la corruption » dans la modification du mandat de la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan en 2008261, de même qu’une référence au rôle de l’armée afghane en la matière262

, la mention des « administrations intérimaires »263 en ce qui concerne le renforcement de l’état de droit au Mali, expression renvoyant essentiellement aux collectivités territoriales maliennes264, et le renvoi au « système judiciaire, dont des capacités et institutions dans le domaine des droits de l’homme » dans le mandat de la Mission des Nations Unies au Soudan du Sud265. Ce sont là, semble-t-il, les trois seules exceptions explicites à l’incarnation de l’état de droit dans les institutions de la police, de la justice et des prisons dans les résolutions du Conseil de sécurité, confirmant in fine que, pour le Conseil, l’état de droit est avant tout incarné dans ce triptyque.

259 S/RES/1778 par. 2.

260 Respectivement pour « combler les éventuelles lacunes qui compromettraient le renforcement des moyens dont dispose le Gouvernement libérien, en particulier la Police nationale libérienne, pour mettre en œuvre des programmes durables en ce qui concerne l’état de droit » et que « le Gouvernement libérien, agissant en coordination avec la MINUL, l’équipe de pays des Nations Unies et les partenaires internationaux, continue de se doter d’institutions pleinement opérationnelles et indépendantes dans les domaines de la sécurité et de l’état de droit et, à cette fin, préconise une nouvelle fois les plans de développement des secteurs de la sécurité et de la justice », S/RES/2066 par. 7 et par. 18 respectivement.

261 S/RES/1806 par. 4. Voir également la résolution S/RES/1868 par. 4 et les résolutions suivantes.

262 S/RES/1589, par. 11, S/RES/1662 par. 11, S/RES/1806 par. 21, S/RES/1868 par. 23, S/RES/1917 par. 23, S/RES/1974 par. 23, S/RES/2041 par. 24, S/RES/2096 par. 24, S/RES/2145 par. 24.

263

S/RES/2295 par. 19.

264 Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger, signé les 15 mai et 20 juin 2015, titre II.

265

La mission devant « [a]ider le Gouvernement (…) à se donner les moyens d’assurer la sécurité, d’instaurer l’état de droit et de renforcer les secteurs de la sécurité et de la justice », S/RES/1996 par. 3.

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Tableau du contenu institutionnel de l’état de droit dans les résolutions du Conseil de sécurité par ordre chronologique (incluant les attributions explicites et indirectes)

Missions Police Justice Prisons Autre

Manua (Afghanistan) X X X X

Onuci (Côte d’Ivoire) X (i) X (i) X (i)

Minustah (Haïti) X X X

Manui (Irak) X

Minul (Libéria) X (i) X (i)

Minus (Soudan) X

Binusil (Sierra Leone) X X X

Minuad (Darfour, Soudan) X X

Minurcat (République centrafricaine et Tchad) X (i)

Minuss (Soudan du Sud) X X* X

Manul (Lybie) X X

Minusma (Mali) X (i) X

Minusca (République centrafricaine) X X X

Minujusth (Haïti) X X X

Légende :

(i) association indirecte

* y inclus la « justice militaire »

L’étude presque statistique du contenu des résolutions attribuant aux missions de paix un mandat de soutien à l’état de droit adoptées depuis 2000 permet donc d’établir sans ambiguïté que, pour le Conseil de sécurité, le renforcement de l’état de droit passe par la mise en place ou le renforcement d’un triptyque institutionnel constitué de la police, de la justice et des prisons, au sein duquel la justice occupe une place centrale. Cette conception n’est pas démentie par la pratique, plus modeste, de l’Assemblée générale des Nations Unies en la matière.

2. Les institutions de l’état de droit dans les résolutions de l’Assemblée

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