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L’ancrage de l’état de droit répressif dans la pratique de portée générale

Chapitre III – Construction de l’état de droit répressif

Section 1. L’institutionnalisation de l’état de droit répressif dans les situations conflictuelles et post-conflictuelles

I. L’ancrage normatif de l’état de droit répressif aux Nations Unies

1. L’ancrage de l’état de droit répressif dans la pratique de portée générale

L’ancrage de la conception répressive de l’état de droit s’observe dans la production normative onusienne, dépendamment de la nature et de la formulation des documents en

752 P. FLORY, « L’imposition d’un modèle culturel par l’ONU dans les missions de reconstruction de l’État », art.

cit., pp.124‑125. 753 Ibid., p.126.

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question. Il convient donc de présenter ici les résolutions ou déclarations du Conseil de sécurité dans lesquelles apparaît l’état de droit comme chaîne pénale (i), de même que certains rapports « jalons » du Secrétaire général qui constituent en quelque sorte le fondement théorique de cette conception, et/ou ont contribué à l’institutionnaliser dans le cadre onusien (ii).

i) L’état de droit répressif dans les résolutions du Conseil de sécurité

Les résolutions du Conseil de sécurité sont un des principaux leviers contribuant à ancrer la conception de l’état de droit comme chaîne pénale, et indiquant son institutionnalisation. Comme l’ont relevé de précédents travaux constatant la systématisation du soutien à la chaîne pénale dans les missions de paix onusiennes, « [t]his path is reinforced by the practice of the Security Council when resolutions highlight or specifically identify institutions in the justice chain as priorities for rule of law assistance »754. En effet, au cours des dernières années, le Conseil de sécurité a intégré l’édification d’un état de droit répressif dans la plupart des mandats des missions de paix. Ce faisant, le Conseil de sécurité « déplac[e] le discours (…) du terrain des valeurs vers celui de la légalité »755, a fortiori lorsque les résolutions en question sont adoptées « en vertu du Chapitre VII » de la Charte des Nations Unies756. Parmi les cas d’étude, les missions en Côte d’Ivoire, en République centrafricaine et au Mali ont précisément été adoptées « en vertu du Chapitre VII »757. C’est également le cas des missions en Haïti, bien qu’en ce qui concerne la Minustah, seule la partie de son mandat consacrée à l’établissement d’un « climat sûr et stable », qui inclut d’ailleurs l’aide « au rétablissement et au maintien de l’état de droit, de la sécurité publique et de l’ordre public »758

est « couverte » par le Chapitre VII.

754 R.Z. SANNERHOLM et al., « Looking Back, Moving Forward », art. cit., p.368. Le même auteur parle

d’« institutionalisation of the rule of law in UN Security Council mandates », R.Z. SANNERHOLM, Rule of law

after war and crisis, op. cit., p.61.

755

P. FLORY, « L’imposition d’un modèle culturel par l’ONU dans les missions de reconstruction de l’État », art.

cit., p.126.

756 Sans pour autant affirmer que de ce fait l’édification de l’état de droit devient une obligation, au sens fort du terme. En effet, « [s]’il est admis que le recours au chapitre VII de la Charte par le Conseil constitue un indice du caractère obligatoire d’une résolution, il ne suffit pas en lui-même. Dans le cadre du chapitre VII, le Conseil peut en effet, outre des décisions, adopter des recommandations qui n’ont pas d’effet contraignant », C. DENIS, Le

pouvoir normatif du Conseil de sécurité des Nations Unies : portée et limites, Bruxelles, Bruylant, 2004, p.27

(Collection de droit international 58). 757

Voir l’ensemble des résolutions portant sur ces cas énumérées dans la bibliographie. 758 S/RES/1542 par. 7 I d).

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Le Conseil de sécurité a également mentionné l’état de droit dans des résolutions de portée générale portant non plus sur une mission particulière, mais sur l’ensemble des opérations de maintien de la paix, et qui établissent une « véritable doctrine »759 en la matière. Dans une déclaration de son Président portant sur l’état de droit, le Conseil de sécurité avait en 2012 commencé d’attribuer à l’état de droit un contenu institutionnel reflétant les nombreux mandats confiés aux missions de paix en matière d’édification de l’état de droit, estimant qu’en la matière « davantage d’efforts s’imposent pour renforcer les capacités des institutions judiciaires et des organes de sécurité, notamment la police, la magistrature et l’administration pénitentiaire »760.

Le Conseil de sécurité a ensuite adopté, en 2013, une résolution portant cette fois non pas sur l’état de droit mais sur les opérations de maintien de la paix, en particulier les opérations multidimensionnelles, dans laquelle il précise qu’il peut notamment leur confier un mandat de « renforcement des institutions chargées de faire régner l’état de droit dans le pays hôte », soit « la police, [les] institutions judiciaires et [le] système pénitentiaire »761. Plus récemment, fin 2018, et de façon encore plus édifiante pour ce qui est de l’ancrage de la conception répressive de l’état de droit aux Nations Unies, le Conseil de sécurité a adopté une résolution dont le préambule rappelle « le rôle important que peut jouer l’aide fournie par les Nations Unies aux institutions policières, judiciaires et pénitentiaires, selon les mandats accordés, dans le renforcement de l’état de droit »762. Cette résolution porte précisément sur l’« import[ance] d’intégrer dès le départ l’appui fourni par les Nations Unies dans les domaines de la police, de la justice et de l’administration pénitentiaire aux mandats des opérations de maintien de la paix et des missions politiques spéciales » en vue du renforcement de l’état de droit763. Il s’agit donc ici pour le Conseil de sécurité de reconnaître, de façon générale, l’incarnation de l’état de droit dans les institutions de la police, de la justice et des prisons, dans le cadre de

759 « Dans l’après-guerre froide, (…) le Conseil de sécurité se transforme en effet en organe de réflexion à long terme, de débat d’idées et de prospective. Il prend l’habitude de traiter de questions générales déconnectées de tout différend ou situation particulière. Il ne se contente pas de débattre ; il adopte des déclarations et résolutions de fond, thématiques, qui nourriront ensuite ses résolutions « sécuritaires » (…). Bref, il forge progressivement une véritable doctrine par secteurs du maintien de la paix », J. TERCINET, « Les opérations de paix », art. cit. 760 S/PRST/2012/1 p.2.

761 Le Conseil de sécurité appelle ainsi les missions à « [c]ontribuer au renforcement des institutions chargées de faire régner l’état de droit dans le pays hôte (…) en aidant les autorités nationales à définir, en matière d’état de droit, les grandes priorités et les stratégies qui permettront de répondre aux besoins de la police, des institutions judiciaires et du système pénitentiaire, compte tenu des liens qui existent entre ces éléments, pour que l’État soit mieux à même d’assumer les fonctions critiques dans ces domaines », S/RES/2086, par. 8.

762

S/RES/2447, préambule. 763 Ibid. par. 1.

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l’instauration de la paix.La forme descriptive du langage employé ne fait que renforcer cette conception spécifique qui prend la forme de l’évidence764

.

Les résolutions thématiques du Conseil de sécurité sur l’état de droit dans la pratique onusienne de paix révèlent donc un ancrage progressif – quoique relativement récent – de l’état de droit comme chaîne pénale et concourent à la « positivisation »765

de la notion sous cette forme spécifique. Ces résolutions, thématiques ou opérationnelles, ne sont au demeurant pas isolées dans la pratique onusienne. Au contraire, elles consacrent une conception que l’on retrouve, en amont, dans de nombreux autres documents onusiens de portée générale et, dans une certaine mesure, abstraite puisqu’il s’agit d’y conceptualiser la notion d’état de droit.

ii) Les jalons de l’institutionnalisation de l’état de droit répressif au sein des Nations Unies

Certains rapports ou documents du Secrétaire général, qui ont développé une conception répressive de l’état de droit et dans une certaine mesure orienté la pratique ultérieure, tant normative qu’institutionnelle766, constituent des jalons de l’institutionnalisation de l’état de droit répressif dans le cadre onusien. Au-delà des rapports faisant état des activités de l’ONU en matière d’édification de l’état de droit (tels l’inventaire de 2008767

ou les rapports annuels du Secrétaire général sur le sujet768), certains documents du Secrétaire général ont non seulement avancé une conception répressive de l’état de droit, mais ont également contribué à son ancrage normatif, institutionnel et/ou opérationnel769. Il convient ici de citer quatre de ces documents, non par ordre chronologique mais plutôt du plus théorique au plus pratique : le rapport de 2004 proposant une définition de l’état de droit, le rapport dit Brahimi sur la pratique onusienne de paix, le rapport « Dans une liberté plus grande » et la « doctrine Capstone » relative aux opérations de maintien de la paix.

764 Le Conseil de sécurité « souligne qu’il importe d’intégrer l’appui fourni par les Nations Unies dans les domaines de la police, de la justice et de l’administration pénitentiaire aux mandats des opérations de maintien de la paix et des missions politiques spéciales, selon que de besoin », ibid.

765 P. FLORY, « L’imposition d’un modèle culturel par l’ONU dans les missions de reconstruction de l’État », art.

cit., p.126.

766 Infra, II, 2.

767 A/63/64, voir supra, Chapitre I., Section 1, § 1, II, 1. 768

Sur le « [r]enforcement et [la] coordination de l’action des Nations Unies dans le domaine de l’état de droit », A/72/268 et précédents.

769 « [L]e Secrétariat et le Département des OMP (DOMP) développent cette réflexion, adoptent des documents sur les bonnes pratiques, font des études débouchant sur des rapports dont certains font avancer la doctrine du maintien de la paix », J. TERCINET, « Les opérations de paix », art. cit.

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Le rapport du Secrétaire général de 2004 sur l’état de droit et l’administration de la justice en période de transition, en associant les deux thématiques entre elles, et ces deux notions avec l’enjeu de la lutte contre l’impunité, y compris sous une forme répressive770

, a indéniablement contribué à orienter la conception de l’état de droit dans les situations de conflit et sortie de conflit vers une compréhension répressive du concept. Le rapport note par exemple « une tendance croissante au sein de la communauté internationale à ne plus tolérer l’impunité et l’amnistie et à s’employer à instaurer une légalité [« rule of law »] internationale » en particulier à travers la mise en place de tribunaux pénaux internationaux771. S’il est fait référence dans cet extrait à l’état de droit au plan international, il n’en reste pas moins que l’association entre l’état de droit et la justice transitionnelle sous sa forme pénale sera ensuite largement reprise dans la pratique onusienne à tous niveaux772, de même que par des acteurs non-onusiens773. Rétrospectivement, le Secrétaire général affirme dans son rapport de 2011 qui fait « le point sur la suite donnée aux recommandations formulées » dans le rapport de 2004, que « [d]epuis 2004, il est de plus en plus évident que nos activités de renforcement des capacités doivent être axées sur la police, les procureurs, les secteurs judiciaire et pénitentiaire dans le cadre d’une approche sectorielle de renforcement de l’état de droit »774

. Cette remarque confirme que le rapport de 2004 constitue un jalon dans le développement de la conception onusienne de l’état de droit, et plus précisément une conception répressive de celui-ci.

Le rapport du « Groupe d’étude sur les opérations de paix des Nations Unies », dit « rapport Brahimi », soumis en 2000, avait pour but de proposer des recommandations en vue de réformer l’activité de l’ONU en matière de paix : il constitue donc à la fois un bilan et une analyse de la pratique onusienne dans ce domaine, et pose les bases de certaines évolutions à venir. C’est à ce titre qu’il constitue une étape dans le processus d’institutionnalisation d’une certaine conception de l’état de droit dans les situations de conflit et sortie de conflit. Or, le rapport insiste sur le rôle de la police775 pour l’édification de l’état de droit dans ces situations,

770 Sur la forme répressive de la lutte contre l’impunité dans la pratique onusienne, voir infra, Chapitre VII, Section 2, § 2, II, 1.

771 S/2004/616 par. 40.

772 Y compris par la résolution de l’Assemblée générale adoptée suite à la réunion de haut-niveau de 2012, A/RES/67/1, au par. 22 par exemple. Voir de nouveau infra, Chapitre VII, Section 2, § 2, II, 1.

773 Comme l’International Centre for Transitional Justice, voir infra, § 2, II, 1. 774 S/2011/634, résumé et par. 35 respectivement.

775

A/55/305, p.ix. Voir aussi, dans le même sens, les paragraphes 47 et 225 sur la contribution de la police civile à l’édification de l’état de droit.

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et estime en outre que le renforcement de l’état de droit passe « par le biais de la formation et de la restructuration de la police locale et de la réforme du système judiciaire et pénal »776. Plus loin, le rapport, associant de nouveau le système pénitentiaire, la police et la justice aux institutions de l’état de droit777

, recommande la mise à disposition de « spécialistes des questions judiciaires, des questions pénales, des droits de l’homme et autres disciplines pertinentes qui, avec les experts de la police civile, constitueront des équipes collégiales au service de l’état de droit »778

. Ces mécanismes ont ultérieurement été mis en place779, ce qui a ainsi contribué à cristalliser l’édification de l’état de droit par les opérations de paix autour des secteurs policier, judiciaire et pénitentiaire.

Le rapport « Dans une liberté plus grande »780 reprend sur ce point la vision du rapport Brahimi et constitue au demeurant un des rapports les plus significatifs de la « doctrine » onusienne en matière de paix, mais aussi de droits humains et de développement. Consacrant tout un passage à la « primauté du droit », il affirme qu’« [i]l est indispensable de disposer d’institutions juridiques et judiciaires nationales efficaces pour assurer le succès de tous nos efforts visant à aider les sociétés à se relever d’un passé marqué par la violence »781, insistant encore sur le fait que, toujours relativement aux situations de conflit, « [l]a justice est une composante indispensable de l’état de droit »782

.

En 2008, les « Principes et Orientations des opérations de maintien de la paix », dits « doctrine Capstone », prenant « acte de la nécessité de clarifier les bases doctrinales du maintien de la paix des Nations Unies face aux nouveaux défis (…), vise[nt] à définir la nature, la portée et les fonctions essentielles des opérations de maintien de la paix contemporaines des Nations Unies »783. L’état de droit y figure en bonne place, étant mentionné dans le document à plusieurs reprises, dans le cadre des fonctions essentielles

776 Ibid., par. 13.

777 Ibid., par. 39, voir aussi « [p]romouvoir l’état de droit et le respect des droits de l’homme exige un travail

d’équipe et une approche coordonnée et collégiale, s’appuyant sur une riche palette de compétences : pénalistes, criminologues et spécialistes des droits de l’homme et de l’exercice de la police », par. 40. Voir encore le paragraphe 83.

778 Ibid., par. 126.

779 Voir infra, II. L’architecture onusienne pour l’édification de l’état de droit, reflet de la conception répressive du concept

780 A/59/2005.

781 A/59/2005, par. 137. 782

Ibid. par. 138.

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desdites opérations et comme l’un des « domaines cruciaux » de la consolidation de la paix784. En ce qui concerne la « réforme du secteur de sécurité et autres activités dans le domaine de l’État de droit », le document cite plus particulièrement « la réforme et la formation de la police nationale et/ou des forces armées » et « le renforcement des systèmes judiciaires et correctionnels nationaux »785. Ce simple document interne, qui se présente lui-même comme se situant « au plus haut niveau dans le cadre doctrinal du maintien de la paix des Nations Unies », a pour ambition d’orienter l’ensemble de la pratique onusienne de paix ultérieure puisqu’il précise que « [l]es politiques internes, les directives, les procédures opérationnelles permanentes, les manuels, et les matériaux de formation élaborés par le Département de maintien de la paix et le Département de l’appui aux missions doivent se conformer aux principes énoncés dans ce document »786. Dès lors, le fait que la doctrine Capstone reprenne une conception de l’état de droit comme chaîne pénale contribue là encore à ancrer une conception répressive de l’état de droit dans la pratique onusienne, à tout le moins dans la pratique de paix.

Sur la base ou en parallèle de la « doctrine » du Secrétariat véhiculant une conception répressive de l’état de droit, des outils à vocation opérationnelle ont également été développés, contribuant à orienter eux aussi la pratique d’édification de l’état de droit vers la mise en place d’institutions de la chaîne pénale.

2. L’institutionnalisation de l’état de droit répressif à travers les outils

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