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L’architecture onusienne pour l’édification de l’état de droit, reflet de la conception répressive du concept

Chapitre III – Construction de l’état de droit répressif

Section 1. L’institutionnalisation de l’état de droit répressif dans les situations conflictuelles et post-conflictuelles

II. L’architecture onusienne pour l’édification de l’état de droit, reflet de la conception répressive du concept

Les mécanismes institutionnels relatifs à l’édification de l’état de droit dans les situations de conflit et sortie de conflit sont particulièrement intéressants relativement au processus d’institutionnalisation de la conception répressive de l’état de droit en ce que leur mise en place progressive constitue une des manifestations de ce processus (1), et engendre en même temps des effets institutionnels au sein des Nations Unies, contribuant donc à ancrer encore davantage cette conception spécifique dans le cadre onusien (2).

1. La mise en place de l’architecture onusienne relative à l’édification de l’état de droit dans les situations conflictuelles et post-conflictuelles

En 2000, le rapport Brahimi sur la pratique onusienne de paix constatait qu’« il n’existe ni au Département des opérations de maintien de la paix ni nulle part ailleurs dans le système des Nations Unies une unité administrative qui soit chargée d’assurer l’organisation et l’appui des composantes de maintien de l’ordre [« rule of law elements »] »802

et estimait que « la doctrine d’emploi de la police et des autres membres du personnel des opérations de paix chargés de restaurer l’état de droit devrait être modifiée de façon à favoriser le travail d’équipe chaque fois qu’il s’agit de promouvoir l’état de droit »803

. Suite à cela, diverses initiatives institutionnelles ont été lancées, avec plus ou moins de succès, en vue de développer et coordonner les capacités de l’ONU en matière d’édification de l’état de droit en général, et dans les situations de conflit et de sortie de conflit en particulier. Ces mécanismes institutionnels ont pour l’essentiel consisté à créer ou rapprocher les unités et programmes responsables des questions de police, de justice et pénitentiaires, reflétant donc la conception de l’état de droit comme chaîne pénale.

Le Secrétaire général a ainsi mis en place une équipe de travail afin de développer des « Comprehensive Rule of Law Strategies for Peace Operations ». Le rapport final de cette équipe portait sur les « Priority Rule of Law Areas », à savoir « Judiciary », « Criminal Law and General Legislative Assistance/Reform », « Police », et « Prisons/Corrections »804, et a

802 S/2000/809 par. 179. 803

Ibid., p.ix.

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recommandé la création d’un « Groupe consultatif en matière pénale et judiciaire », plus connu sous l’intitulé « Criminal Law and Judicial Advisory Unit » (CLJAU), qui a été créé en 2003 au sein de la Division de la police civile du Département des opérations de maintien de la paix. Composé de spécialistes « des questions pénitentiaires, judiciaires et de droit pénal », il a pour mandat d’œuvrer « sur toute la chaîne de justice pénale »805

.

En 2006, un rapport du Secrétaire général intitulé « Unissons nos forces : renforcement de l’action de l’ONU en faveur de l’état de droit » reprend et développe certaines recommandations qui annoncent les fondements de l’architecture onusienne actuelle pour l’édification de l’état de droit dans les situations de conflit et de sortie de conflit, en particulier la désignation de « chefs de file » et la création d’un « Groupe de coordination et de conseil sur l’état de droit »806

. Un « Corps permanent de spécialistes des questions judiciaires et pénitentiaires » était constitué en 2010 afin de renforcer les capacités onusiennes en la matière807, à la suite de la création du même corps pour les questions de police en 2007808. Au fur et à mesure, ces arrangements institutionnels ad hoc ou relativement légers – ainsi du « Groupe consultatif en matière pénale et judiciaire » composé initialement de deux personnes809 – ont évolué vers des mécanismes plus conséquents.

2. Les mécanismes institutionnels actuels pour l’édification de l’état de droit dans les situations conflictuelles et post-conflictuelles

Deux mécanismes principaux sont actuellement consacrés à la coordination de l’édification de l’état de droit par les Nations Unies dans les situations de conflit et de sortie de conflit, et tous deux reflètent une conception répressive de l’état de droit. Il s’agit, pour ce qui est de l’ensemble du système onusien, de la « Cellule mondiale de coordination des activités policières, judiciaires et pénitentiaires de promotion de l’état de droit au lendemain de conflits et d’autres crises » (i) et, au sein du Département des opérations de maintien de la paix, du Bureau de l’état de droit et des institutions chargées de la sécurité (ii). En sus de ces deux

Strategies for Peace Operations », 2002, annexe B, p.i-ii.

805 S/PV.4835 p.5 (intervention du Secrétaire général).

806 S/2006/980, résumé et par. 48. Voir aussi la décision n° 2012/13 du comité de politique du Secrétaire général, 11 septembre 2012.

807 A/64/820 p.15. 808 A/RES/60/268. 809

Secrétariat général, « Final Report of the ECPS Taks Force for Development of Comprehensive Rule of Law

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mécanismes, il existe, comme mentionné ci-dessus, un Groupe de coordination et de conseil sur l’état de droit portant sur l’état de droit dans la pratique onusienne de façon générale et transversale. Celui-ci regroupe 20 entités onusiennes810 et est soutenu par « l’Unité de l’état de droit du Cabinet du Secrétaire général »811. La différence de composition entre ce Groupe, large et inclusif, et les mécanismes présentés ci-après, beaucoup plus restreints et spécifiques, est révélatrice de la différence entre la conception de l’état de droit dans les situations conflictuelles, ou hors de celles-ci812.

i) La « Cellule mondiale de coordination des activités policières, judiciaires et pénitentiaires de promotion de l’état de droit au lendemain de conflits et d’autres crises »

Reprenant le principe de « chefs de file » pour l’édification de l’état de droit proposé dans le rapport « Unissons nos forces : renforcement de l’action de l’ONU en faveur de l’état de droit »813 de 2006, le Secrétaire général a créé un mécanisme de coordination pour « l’état de droit en situation de crise et dans les zones touchées par les conflits » intitulé la « Cellule mondiale de coordination des activités policières, judiciaires et pénitentiaires de promotion de l’état de droit au lendemain de conflits et d’autres crises »814

, ou en anglais « Global Focal Point for Police, Justice and Corrections Areas in the Rule of Law in Post-Conflict and other Crisis Situations »815. Ce mécanisme désigne le Département des opérations de maintien de la paix et le PNUD comme « chefs de file » des secteurs mentionnés. Ces derniers ont pour responsabilité de coordonner, à travers le système onusien dans son ensemble (Secrétariat et autres entités et organes), la pratique des Nations Unies en matière d'état de droit dans lesdites situations816. L’intitulé et le mandat de la « Cellule mondiale », plus souvent dénommée « Global Focal Point » (GFP) ou « Point focal global », indiquent clairement que l’édification

810 D’après la section du site internet de l’ONU consacrée à l’état de droit, disponible en ligne à l’adresse suivante : https://www.un.org/ruleoflaw/fr/un-and-the-rule-of-law/, consultée le 13 novembre 2016.

811

Architecture validée par l’Assemblée générale par la résolution A/RES/62/70, voir aussi A/63/154 sur le fonctionnement et la composition du groupe et de l’unité.

812 Infra, Section 2, § 2, I.

813

S/2006/980, résumé et par. 48. Voir aussi la décision n° 2012/13 du comité de politique du Secrétaire général, 11 septembre 2012.

814 Décision n° 2012/13 du comité de politique du Secrétaire général, 11 septembre 2012.

815

Voir la page du site du PNUD intitulée « Etat de droit, justice et sécurité », disponible en ligne à l’adresse suivante : http://www.undp.org/content/undp/fr/home/ourwork/democratic-governance-and-peacebuilding/rule-of-law--justice-and-security.html, consultée le 15 novembre 2016.

816

Voir la fact sheet « Global Focal Point for Police, Justice and Corrections » du PNUD disponible en ligne à l’adresse suivante : https://www.un.org/ruleoflaw/files/~6839122.pdf, consultée le 15 novembre 2016.

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de l’état de droit dans les périodes de crise et conflit passe par les institutions de la chaîne pénale.

La mise en place de ce mécanisme a eu de réels effets sur l’organisation de la pratique onusienne. En premier lieu, le Conseil de sécurité y fait référence dans plusieurs résolutions817. Les résolutions relatives à la Minusca indiquent ainsi systématiquement que cette dernière est appelée à « [a]ppuyer et coordonner l’assistance internationale fournie à la justice et aux institutions pénitentiaires pour remettre sur pied le système de justice pénale, dans le cadre du rôle dévolu au Coordonnateur des Nations Unies pour l’état de droit » (c’est-à-dire la Cellule mondiale)818. En outre, certains récents rapports du Secrétaire général font désormais, en matière d’édification de l’état de droit dans un contexte de paix, presque exclusivement référence aux activités de la Cellule mondiale819, qui occupe donc une situation de quasi « monopole » pour l’édification de l’état de droit dans ces contextes.

Un rapport externe sur la Cellule mondiale a estimé que sa mise en place a eu pour effet « a positive change of mentality and culture in which silos have been replaced with a team construct and sense of whole »820. Ce mécanisme a donc bien contribué à l’institutionnalisation, non seulement de l’état de droit comme regroupant les trois secteurs de la police, de la justice et des prisons, mais aussi et surtout de l’état de droit formant un ensemble institutionnel et conceptuel cohérent. Ainsi, la « Cellule mondiale de coordination des activités policières, judiciaires et pénitentiaires de promotion de l’état de droit au lendemain de conflits et d’autres crises » tout à la fois incarne et contribue à ancrer la conception de l’état de droit comme chaîne pénale.

ii) Le Bureau de l’état de droit et des institutions chargées de la sécurité

Une autre mesure de coordination des activités d’édification de l’état de droit consista en 2007 en la création, au sein du Département pour les opérations de maintien de la paix, d’un

817 Voir par exemple S/RES/2158 par. 1 b) ii) relative au mandat de la Mission d’assistance des Nations Unies en Somalie.

818 Voir les résolutions S/RES/2149, par. 30 f) iii) et suivantes. 819

Voir par exemple le rapport « Consolidation et pérennisation de la paix », S/2018/43 par. 16, ou S/2014/694 par. 22.

820 W. DURCH et al., « Independent Progress Review on the UN Global Focal Point for Police, Justice and

Corrections », Folke Bernadotte Academy, Clingendael, Stimson Center, juin 2014, p. 9, disponible en ligne à l’adresse suivante : https://www.files.ethz.ch/isn/181298/GFP_web_060514.pdf, consultée le 15 novembre 2016.

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« Bureau de l’état de droit et des institutions chargées de la sécurité » (Office of Rule of Law and Security Institutions, OROLSI). Ce Bureau consiste en la fusion de l’ancienne « Criminal Law and Judicial Advisory Unit » avec l’unité de Police et les équipes de déminage et « coordonne les activités du DOMP dans les domaines de la police, de la justice, du système pénitentiaire, du déminage, du DDR et de la réforme du secteur de la sécurité »821. L’intégration des unités responsables des questions de justice (en l’occurrence pénale) et pénitentiaires avec celles chargées des questions sécuritaires indique là encore l’institutionnalisation d’une conception sécuritaire et répressive de l’état de droit.

Dans son travail sur la responsabilité de protéger, et afin de déterminer l’institutionnalisation de cette notion, N. Hajjami a cherché à voir si « [l]’émergence du concept [s’est,] dans le cadre des Nations unies, traduite par la mise en place d’institutions ou d’organes chargés de faciliter sa mise en œuvre »822. Appliquée à la conception répressive de l’état de droit, la réponse est donc positive. Les mécanismes de coordination des acteurs onusiens en matière d’édification de l’état de droit dans les situations de conflit et post-conflit, et qui portent précisément sur les institutions de la chaîne pénale, représentent en effet une indication claire de ce que la conception de l’état de droit comme chaîne pénale s’institutionnalise au sein des Nations Unies. Associé à une production normative allant dans le même sens, ce développement de mécanismes institutionnels reflétant une conception répressive de l’état de droit a été accueilli positivement par certains commentateurs pour qui « [t]he resulting system-wide process of capacity and guidance development promises to significantly enhance the UN’s ability to address rule of law challenges in peace operations in the future »823

. Que ces évolutions résultent ou non en une « meilleure » édification de l’état de droit dans les situations conflictuelles et post-conflictuelles, elles ont en tout cas pour effet d’ancrer davantage la conception répressive de l’état de droit au sein des Nations Unies, mais aussi au-delà.

§ 2. La diffusion de l’état de droit répressif hors du cadre onusien

821 Voir le site du DOMP disponible en ligne à l’adresse suivante :

http://www.un.org/fr/peacekeeping/about/dpko/, consultée le 27 juillet 2018. En outre, la page internet du DOMP consacrée à l’état de droit énumère plus précisément la police, la justice et les systèmes pénitentiaires, elle est disponible en ligne à l’adresse suivante :

http://www.un.org/fr/peacekeeping/issues/ruleoflaw/ruleoflaw.shtml, consultée le 27 juillet 2018. 822

N. HAJJAMI, La responsabilité de protéger, op. cit., p.415.

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Le phénomène d’institutionnalisation de l’état de droit répressif ne s’arrête pas à la pratique onusienne elle-même : les Nations Unies sont loin d’être les seules à prendre part, sous une forme opérationnelle ou plus théorique, au développement d’une conception répressive de l’état de droit dans des situations de conflit et de sortie de conflit. L’institutionnalisation de l’état de droit répressif devient alors tout à la fois manifeste dans et alimentée par la pratique d’autres acteurs, au premier rang desquels les sujets de droit international que sont les organisations internationales et les Etats qui participent activement à la démarche d’édification de l’état de droit et, ce faisant, développent une conception spécifique de la notion (I). Mais aussi d’autres acteurs de la sphère internationale s’intéressant à – voire reprenant à leur compte – la conception répressive de l’état de droit. Ainsi, la présence d’une conception répressive de l’état de droit dans les opinions d’acteurs de la « société civile » ou dans le milieu académique révèle là aussi l’ancrage de cette conception tout en contribuant à sa diffusion et son acceptation (II). Si le propos est ici davantage de montrer la diffusion d’une conception répressive de l’état de droit hors du cadre onusien en tant que marqueur de l’institutionnalisation du concept onusien lui-même, la prise en compte de la pratique d’autres acteurs internationaux (Etats et organisations internationales) révèle aussi l’ancrage de l’état de droit, dans son acception répressive, comme concept de droit international.

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