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L’institutionnalisation de l’état de droit répressif à travers les outils appuyant son opérationnalisation

Chapitre III – Construction de l’état de droit répressif

Section 1. L’institutionnalisation de l’état de droit répressif dans les situations conflictuelles et post-conflictuelles

I. L’ancrage normatif de l’état de droit répressif aux Nations Unies

2. L’institutionnalisation de l’état de droit répressif à travers les outils appuyant son opérationnalisation

En vue de faciliter l’édification de l’état de droit dans les pays où elles agissent, les Nations Unies ont élaboré un ensemble d’« outils » tels que des manuels, des guides et des indicateurs787. Certains d’entre eux, comme « Les instruments de l’état de droit dans les

784 Ibid., pp.24, 25 et 27.

785 Ibid., p.29.

786

Ibid. p.9 et p.19.

787 De nombreux manuels et guides ont été conçus pour orienter la pratique onusienne dans les situations conflictuelles et post-conflictuelles, mais ne portent pas directement sur l’état de droit ; ils portent en revanche parfois sur ses institutions. Il existe ainsi des manuels et guides sur les questions de police, ou sur les questions de justice dans les situations de conflit et sortie de conflit ; voir pour une analyse de certains de ces documents, T. BENNER, S. MERGENTHALER et P. ROTMANN, The new world of UN peace operations : learning to build

peace ?, Oxford, Oxford University Press, 2011. Par ailleurs, l’ONUDC a également développé de nombreux

outils sur la justice pénale, tels que le « Guide à destination des praticiens sur la réforme pénale dans les Etats sortant d’un conflit », le « Recueil des règles et normes de l’Organisation des Nations Unies en matière de prévention du crime et de justice pénale », 2016, et une « Compilation d’outils d’évaluation de la justice pénale »

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sociétés sortant d’un conflit » du Haut-Commissariat aux droits de l’homme et les indicateurs de l’état de droit présentés ici portent spécifiquement sur les situations de conflit et post-conflit. Dans le cadre d’une étude sur l’institutionnalisation d’une conception spécifique de l’état de droit au sein de l’ONU, ces outils sont intéressants à un double titre : d’une part, le fait même qu’ils ait été élaborés sur la base d’une conception répressive de l’état de droit indique que cette conception s’est institutionnalisée, d’autre part, ils contribuent eux-mêmes à l’ancrage d’une telle conception puisqu’ils ont pour rôle d’orienter la pratique d’édification de l’état de droit précisément en vue de l’établissement d’un système de justice pénale788

. Certains auteurs soulignent non seulement l’effet « homogénéisant » de ces outils, mais aussi l’encouragement implicite, voire la quasi-obligation qu’il y a à les suivre et les appliquer789

, contribuant ainsi à l’institutionnalisation d’une telle conception. A cet égard, dans son étude susmentionnée de l’« imposition » par les Nations Unies de valeurs et principes, P. Flory estime que ces « guides de bonnes pratiques et recommandations onusiens sont alors présentés comme incarnant des règles de droit international »790. Si cette affirmation semble dans certains cas exagérée, elle souligne à tout le moins l’effet institutionnalisant de ces outils, dont la production a été qualifiée d’activité « « paranormativ[e], parce que situé[e] à mi-chemin entre l’action normative et l’action opérationnelle »791

.

Le Haut-Commissariat aux droits de l’homme a, en 2006, développé une série de manuels intitulés « Les instruments de l’état de droit dans les sociétés sortant d’un conflit ». Ces manuels sont au nombre de dix, traitant de sujets tels que la « supervision des systèmes judiciaires », l’« assainissement », c’est-à-dire le processus de vérification des antécédents du

portant sur des thématiques relatives à la police, à l’accès à la justice, aux mesures carcérales, etc. Voir le catalogue en date de janvier 2018 pour une liste complète de ces outils, disponible à l’adresse suivante : https://www.unodc.org/documents/justice-and-prison-reform/CPCJ_tools_Catalogue_french_-_Jan.18.pdf, consultée le 12 mars 2019. Ces outils ne sont pas intégrés à la présente étude du fait que d’une part ils ne sont pas propres aux situations de conflit et sortie de conflit, et d’autre part ils ne sont pas explicitement décrits comme s’inscrivant dans l’édification de l’état de droit. Il existe enfin un « Planning toolkit » développé par le Bureau de l’état de droit et des institutions chargées de la sécurité (OROLSI) censé aider à la plannification dans ces domaines. Il porte cependant avant tout sur des procédures et méthodes et ne fournit donc que peu de renseignement sur la conception substantielle de l’état de droit.

788

« Practical guidelines and manuals represent further concretisations of UN rule of law policy and

frameworks », R. SANNERHOLM, « Securitisation, sectorisation and goal displacement: rule of law assistance in UN peace operations », op. cit., p.11.

789 D. EADE et A. CORNWALL (éds.), Deconstructing development discourse buzzwords and fuzzwords, op. cit., p.9.

790

P. FLORY, « L’imposition d’un modèle culturel par l’ONU dans les missions de reconstruction de l’État », art.

cit., p.126.

791 « (…) et qui consistent notamment à harmoniser, par le biais de directives, le comportement des agents de l’organisation appelés à intervenir sur le terrain », P.-F. LAVAL, « Chapitre 24 - Les activités opérationnelles, du conseil à l’administration internationale de territoire », art. cit., p.771.

158 personnel des institutions de l’état de droit792

, ou les « poursuites du parquet »793. Si les thématiques abordées indiquent déjà une certaine vision de l’état de droit axée sur la chaîne pénale, le manuel portant sur la « cartographie du secteur de la justice » oriente de façon plus explicite l’édification de l’état de droit vers cette conception. Les « principales institutions du secteur judiciaire » que le personnel onusien est en effet appelé à « cartographier » en vue d’une collaboration sont les tribunaux, les « services de police et les différentes autorités de police », et l’administration pénitentiaire794. Ce même manuel traite de plus de « questions importantes et prioritaires pour la justice pénale et les institutions connexes », telles que les liens entre ces différentes institutions795. Ainsi, non seulement ce document révèle l’institutionnalisation de l’état de droit comme chaîne pénale dans les contextes de sortie de conflit, puisqu’un manuel a été développé sur la base de cette conception, mais il contribue aussi à ancrer cette conception dans la pratique étant donné que le personnel onusien va être encouragé à travailler prioritairement ou exclusivement avec les institutions de la chaîne pénale dans le cadre de l’édification de l’état de droit.

Les « indicateurs de l’état de droit » développés par le Haut-Commissariat aux droits de l’homme et le Département des opérations de maintien de la paix quelques années plus tard, en 2012, confirment et renforcent encore cette approche. Ces indicateurs concernent spécifiquement « les situations de conflit et suite à un conflit » et portent exclusivement sur les « institutions chargées de l’application des lois, (…) l’appareil judiciaire et [l]es établissements pénitentiaires », désignées plus loin comme « les institutions de la justice pénale, y compris la police et les autres institutions d’application des lois, les tribunaux, le ministère public et la défense, et les établissements pénitentiaires »796. Les indicateurs eux-mêmes sont répartis en trois secteurs institutionnels : « police », « système judiciaire » et « prisons »797. De nouveau, un tel document confirme l’ancrage de la conception onusienne d’un état de droit répressif et le renforce tout à la fois puisque l’édification de l’état de droit

792 Infra, Chapitre VI, Section 1, § 1, II, 2, ii).

793

Les autres manuels sont davantage axés sur la justice transitionnelle et portent sur les amnisties, les réparations, les « commissions vérité », les consultations nationales sur la justice en période de transition, les « tribunaux mixtes » et les archives, voir la liste des publications du HCDH p.10, disponible en ligne à l’adresse suivante : https://www.ohchr.org/Documents/Publications/publistFR.pdf, consultée le 5 mars 2019.

794 Haut-Commissariat aux droits de l’homme, « Les instruments de l’état de droit dans les sociétés sortant d’un conflit – Cartographie du secteur de la justice », 2006, table des matières, p.iii.

795 Ibid.

796 « Indicateurs de l’état de droit des Nations Unies », Guide d’application et outils de gestion de projet, juin 2012, p.v-vi.

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est amenée à être évaluée à l’aune des caractéristiques des seules institutions de la chaîne pénale.

Il est dès lors possible de faire le même constat que R. Sannerholm, selon lequel « the guidelines and manuals chiefly cover justice chain actors (e.g. police, judiciary and prisons) (…). Where such guidance has been developed, for example on access to justice or legislative reform, the topical orientation is often on criminal justice matters »798, ce qui tout à la fois indique et contribue à l’institutionnalisation de la conception répressive de l’état de droit – si tant est que ces outils soient effectivement utilisés799.

Pour que ce soit le cas, il peut être nécessaire de former le personnel à leur utilisation. Ces formations, et l’adoption de ces outils par les praticiens, combinées aux arrangements institutionnels évoqués ci-dessous, contribuent alors à l’émergence d’une « communauté de pratique »800, elle-même ressort de l’institutionnalisation de la conception répressive de l’état de droit. L’existence d’une « community of practice » renvoie au phénomène de « path dependency » selon lequel la spécialisation du personnel participant à l’édification de l’état de droit dans un domaine spécifique, en l’occurrence les systèmes de justice pénale, alimente ensuite la cristallisation de la conception de l’état de droit comme système de justice pénale, puisque les personnes qui en ont la charge ont tendance à reproduire ce qu’elles savent déjà faire801. L’ancrage normatif, à travers les outils présentés ici, est donc étroitement lié à la dimension organique de l’institutionnalisation de la conception répressive de l’état de droit dans le cadre de la pratique onusienne de paix, sur laquelle il convient de s’arrêter désormais.

798

R. SANNERHOLM, « Securitisation, sectorisation and goal displacement: rule of law assistance in UN peace operations », op. cit., p.10.

799 « One of the unanswered questions for the field is to what extent these tools are actually used by rule of law

practitioners in their daily work. We know little about how practitioners find and use reference material for their work or how they select texts to rely upon », K. SIMION et V.L. TAYLOR, « Professionalizing Rule of Law: Issues and Directions », op. cit., p.41 ; voir aussi, avançant les mêmes doutes, C. KAVANAGH et B. JONES, « Shaky Foundations: An Assessment of the UN’s Rule of Law Support Agenda », New York, New York University, 1 novembre 2011, p.61, disponible à l’adresse suivante :http://cic.nyu.edu/content/shaky-foundations-assessment-uns-rule-law-support-agenda, consultée le 31 août 2016. Voir plus largement sur les difficultés d’« apprentissage » des Nations Unies en matière de construction de la paix, et particulièrement pour ce qui est de l’édification de l’état de droit présentées par T. BENNER, S. MERGENTHALER et P. ROTMANN, The new world

of UN peace operations, op. cit., pp.109 et suivantes.

800

Si au début des années 2000, T. Carothers s’interroge sur l’existence d’une telle « communauté de pratique » en matière d’édification de l’état de droit (T. CAROTHERS, « Promoting the Rule of Law Abroad », op. cit.), celle-ci semble bel et bien avoir émergé au milieu des années 2010, d’après K. SIMION et V.L. TAYLOR, « Professionalizing Rule of Law: Issues and Directions », op. cit.

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II. L’architecture onusienne pour l’édification de l’état de droit, reflet de la

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