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L’objectif d’efficacité dans la pratique onusienne

Chapitre II – La fonction répressive de l’état de droit

Section 2. La prééminence de la fonction répressive dans le cadre de l’édification de l’état de droit

I. L’objectif d’efficacité dans la pratique onusienne

Une rapide revue des discours émanant des cas d’étude révèle l’intérêt des Nations Unies pour l’« efficacité » des institutions de l’état de droit, qui s’inscrit dans le cadre d’une vive préoccupation, y compris de la part du Conseil de sécurité, pour « l’instauration d’une culture de la performance dans les opérations de maintien de la paix des Nations Unies »662 (1). L’Organisation cherche dès lors à faire en sorte que les institutions qu’elle met en place ou soutient répondent à un objectif d’efficacité, ce qui se manifeste aussi bien dans certaines activités réalisées dans le cadre du soutien des Nations Unies aux systèmes de justice pénale, que dans l’approche qu’elles-mêmes adoptent pour apporter ce soutien (2).

sécurité, n° 32, 2015, p.57.

658 A. GARAPON, « Un nouveau modèle de justice », art. cit., p.101.

659 A. VAUCHEZ, « Le chiffre dans le « gouvernement » de la justice », Revue française d’administration

publique, n° 125, mai 2008, pp. 111‑120. J.-P. Jean parle de « culture du résultat », J.-P. JEAN, « De l’efficacité en droit pénal », dans Le droit pénal à l’aube du troisième millénaire : mélanges offerts à Jean Pradel, Paris, Cujas, 2006, p.140.

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« La question n’est plus tant de savoir si la justice a bien jugé mais si elle a efficacement évacué les flux d’affaires qui lui sont soumis. (...) Dans cette nouvelle approche, l’action de la justice doit intervenir « en temps réel » et s’emboîter dans le travail de la police, en instaurant une continuité entre le délit et son traitement par la justice, quitte à ce que cette chasse aux temps morts emporte avec elle la nécessaire distance qui doit caractériser l’intervention de la justice. La justice doit s’inscrire dans « une chaîne de compréhension » », A. GARAPON, « Un nouveau modèle de justice », art. cit., p.100.

661 J.-P. Jean emploie d’ailleurs l’expression de « régulation de la chaîne pénale », J.-P. JEAN, « De l’efficacité en droit pénal », art. cit., p.142.

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C’est une indication qui figure entre autres dans les résolutions récentes sur la Minusca, voir S/RES/2448 préambule p.5.

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1. L’importance du caractère « efficace » des institutions de l’état de droit

La pratique onusienne pose que les systèmes de justice pénale mis en place dans les pays concernés doivent être efficaces et performants. Ce sont des termes qui reviennent dans les résolutions du Conseil de sécurité autant que dans les accords-cadres, et dans le reste de la documentation onusienne. Le Conseil de sécurité demande ainsi à la Minusca de renforcer « les capacités de l’appareil judiciaire et pénitentiaire du pays, ainsi que l’efficacité et les responsabilités de celui-ci »663, alors que les Nations Unies en République centrafricaine s’étaient dotées de l’objectif d’établir des institutions « en charge de la promotion de l’Etat de droit (…) efficaces »664

, y inclus un « système judiciaire » fonctionnant « de façon efficace et indépendante »665, qui doit aussi être « plus performant »666, et une « [a]dministration pénitentiaire efficace »667. De même, le Conseil de sécurité pose que la Minustah doit contribuer à assurer « l’efficacité des institutions judiciaires »668, et les accords-cadres entre le système des Nations Unies et Haïti prévoient que « [l]a chaîne pénale et le système judiciaire [sont] consolidés, fonctionnels, accessibles, efficaces et crédibles »669 et évoquent pour certaines de ces institutions des « normes minimales de performance »670. En Sierra Leone, les Nations Unies visent à établir « an effective and efficient justice system »671.En Côte d’Ivoire, un des objectifs des Nations Unies consiste à ce que « [l]es services judiciaires fonctionnent plus efficacement sur toute l’étendue du territoire »672

, tandis que le programme du PNUD en soutien à la police afghane a pour première composante essentielle « Improved Performance of the Afghan National Police »673.

Le Secrétaire général utilise la même terminologie dans ses rapports, appelant, parmi de nombreux autres exemples674, à « l’établissement d’institutions judiciaires efficaces » en

663 S/RES/2301 par. 35.

664 Plan cadre des Nations Unies pour l’aide au développement en République centrafricaine 2012-2016 p.8. 665

Ibid.

666 Cadre stratégique intérimaire des Nations Unies en République centrafricaine 2016-2017 p.29.

667 Document de projet du PNUD « Stratégie de développement des capacités pour le renforcement de l’état de droit » du PNUD en République centrafricaine p.4.

668

S/RES/2180 par. 16, S/RES/2243 par. 20. Voir aussi le Plan cadre des Nations Unies pour l’aide au développement en Haïti 2009-2011, Annexe p.ii.

669 Plan cadre des Nations Unies pour l’aide au développement en Haïti 2009-2011 p.14. 670 Cadre stratégique intégré des Nations Unies en Haïti 2013-2016 p.24.

671 Plan cadre des Nations Unies pour l’aide au développement en Sierra Leone 2004-2007 p.16. 672

Plan cadre des Nations Unies pour l’aide au développement en Côte d’Ivoire 2009-2013 p.51, voir aussi l’objectif 3.3 dans le même document.

673 Document « Project in Spotlight » du projet « Law and Order Trust Fund » du PNUD en Afghanistan p.1. 674

En République centrafricaine, la Minusca prévoit d’organiser des formations pour les magistrats « afin de leur permettre de mener des enquêtes impartiales et efficaces », A/70/712 p.42, et le Secrétaire général évoque des

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Afghanistan675, ou au « renforcement de l’efficience et de l’efficacité des mesures à l’appui du système judicaire »676 et à la prise de « mesures pour renforcer (…) l’efficacité du pouvoir judiciaire »677, « assurer l’efficacité du système pénitentiaire »678 et à mettre en place un « service de police efficace, performant et responsable »679 en Haïti. A propos de la Côte d’Ivoire, on peut encore lire que « [les] institutions judiciaires nationales devraient assurer une justice efficace »680 et que l’Onuci va aider la police ivoirienne à « gagner en efficacité »681.

Comme indiqué, appliquée à un système de justice, l’efficacité renvoie à un ensemble d’exigences parmi lesquelles la « célérité ». Précisément, les Nations Unies, constatant « la lenteur et la mauvaise organisation des procédures judiciaires »682, veulent que le système de justice pénale ivoirien « permett[e] plus de célérité dans le traitement des dossiers »683. Le PNUD s’inquiète de même du manque de « célérité de la justice » en Haïti684

. En Sierra Leone, le Secrétaire général constate qu’« un certain nombre de problèmes importants continuent à se poser, en particulier au stade de l’instruction et du jugement où la procédure est trop lente »685, de sorte que les Nations Unies adoptent pour objectif en matière de « [r]ule of law and capacity of the justice sector » de fournir des « prompt justice delivery services »686.

Ces mêmes objectifs reviennent comme lignes directrices dans les discours de certains

« perspectives d’une action plus efficace dans le domaine du respect de la légalité [« rule of law »] » en Haïti, S/2006/1003 par. 35.

675 S/2007/152 par. 47. Le Secrétaire général déplore dans le même sens « l’inefficacité du système [judiciaire] », S/2010/127 par. 10.

676 A/68/737 par. 15.

677 S/2013/139 p.22. Voir aussi : « [d]es conseils et un appui technique ont été fournis quotidiennement aux membres du personnel judiciaire de 6 départements, au Doyen des tribunaux civils, aux juges, aux procureurs et à d’autres membres du personnel judiciaire dans divers domaines, notamment l’amélioration du fonctionnement et de l’efficacité du système judiciaire », A/62/631 pp.23-24.

678 A/65/776 pp.73-74. 679

Dans le cadre du Plan de réforme de la Police nationale d’Haïti, élaboré « conjointement » par le gouvernement haïtien et la Minustah (c’est-à-dire essentiellement par la Minustah : c’est ce qui ressort d’un entretien avec un membre du personnel onusien, 7 juillet 2016, Port-au-Prince, Haïti), S/2006/726 par. 6. 680 Continuant ainsi : « elles devraient fonctionner d’une manière efficace », S/2013/377 par. 75.

681

A/64/584 par. 26. 682 S/2012/186 par. 53.

683 Rapport du PNUD en Côte d’Ivoire 2013 p.10.

684 Voir l’article « L’Etat de droit en Haïti ? Pas sans l’engagement citoyen » sur le site du PNUD en Haïti, disponible en ligne à l’adresse suivante :

http://www.ht.undp.org/content/haiti/fr/home/ourperspective/ourperspectivearticles/2015/05/13/l-etat-de-droit-en-haiti-pas-sans-l-engagement-citoyen/, consultée le 12 février 2017.

685 S/2006/296 par. 42. 686

Plan cadre des Nations Unies pour l’aide au développement en Sierra Leone 2008-2010 p.5 (version « draft »).

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membres du personnel onusien, comme le révèle l’extrait suivant :

« [Question : peux-tu résumer les objectifs de la section ?] L’amélioration de l'efficience du système judiciaire, des juridictions. (…) On appuie au quotidien les tribunaux, [on met] en place des outils pour pouvoir augmenter le nombre d'audiences, avoir des délais plus raisonnables »687.

Ainsi, « increased efficiency of legal mechanisms remains at the foreground of Rule of Law initiatives »688.

2. La mise en œuvre de l’objectif d’efficacité dans l’édification de l’état de droit

Les Nations Unies s’emploient alors à traduire de façon concrète l’objectif d’efficacité selon la grille managériale décrite plus haut, non seulement dans leur propre action qu’elles organisent selon une « approche axée sur les résultats »689 et qu’elles auto-évaluent avec des « indicateurs de performance »690, mais aussi dans la façon dont les systèmes de justice pénale qu’elles travaillent à mettre en place doivent eux-mêmes fonctionner et sont évalués. La nature et le contenu des activités mises en œuvre par les Nations Unies révèlent cette recherche d’efficacité pour les institutions de l’état de droit, objectif pour lequel certaines activités sont alors expressément réalisées691.

Cet intérêt pour l’« efficacité » des institutions de la chaîne pénale est manifeste, dans la pratique générale, à travers le système même d’« indicateurs de l’état de droit » que le Haut-Commissariat aux droits de l’homme et le Département des opérations de maintien de la paix ont développé pour les institutions de la police, de la justice et des prisons dans les situations de sortie de conflit692. Ces indicateurs, au nombre de 135, sont précisément décrits comme

687 Entretien avec un membre du personnel onusien, 2 juin 2016, Port-au-Prince, Haïti. Consultable à l’annexe 3. 688 J.H. PETERSON, « ‘Rule of Law’ initiatives and the liberal peace », art. cit., p. 28. Dans le même sens, mais plus spécifiquement à propos des institutions de la sécurité, dont la police, un autre auteur note que les bailleurs internationaux « have tended to concentrate on the efficiency », D.M. LAW, « Conclusion », art. cit., p.121. 689 Les « rapports de performance » établis par le Secrétaire général pour rendre compte des activités menées par les missions de paix sont élaborés sur la base d’une « budgétisation axée sur les résultats (« results-based

budgeting », ou RBB).

690 Voir par exemple le Plan cadre des Nations Unies pour l’assistance au développement en Côte d’Ivoire 2017-2020 p.35, le rapport annuel du PNUD en Côte d’Ivoire 2013 p.15, le rapport des Nations Unies en Haïti 2017 p.146, etc.

691 « The training provided lawyers with knowledge about the Criminal Procedure Code (CPC), the Code of

Conduct, ethics, the Civil Procedure Code and defense lawyer skills, allowing them to function more effectively in their work », rapport annuel du projet « Justice and Human Rights in Afghanistan » du PNUD en Afghanistan

2014 p.12. 692

« Indicateurs de l’état de droit des Nations Unies », Guide d’application et outils de gestion du projet, Département des opérations de maintien de la paix et Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de

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permettant de mesurer la « performance »693 et se concentrent particulièrement sur l’« efficacité et l’efficience » des institutions en question694

. Le PNUD consacre de même une partie de ses activités en Afghanistan à développer des indicateurs de l’état de droit, et plus généralement à mesurer des résultats695. Le fait pour les Nations Unies, et en particulier pour le Conseil de sécurité, de poser des objectifs chiffrés quant au personnel des institutions concernées relève de la même dynamique696.

En réponse aux exigences de célérité et de fluidité, les réformes mises en œuvre par les Nations Unies au sein des systèmes de justice pénale des cas étudiés697, de même que les formations proposées698, cherchent à améliorer les procédures et méthodes de travail du système judiciaire, entre autres par l’informatisation et l’archivage des dossiers ou la standardisation des actes judiciaires699.

Mais la mise en œuvre concrète de l’objectif d’efficacité n’est pas « neutre » pour le fonctionnement des institutions en question, et entraîne la priorisation de la fonction répressive des systèmes de justice pénale ainsi mis en place.

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