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Chapitre I – La dimension institutionnelle de l’état de droit

Section 2. Les institutions de l’état de droit comme « chaîne pénale »

I. Un ensemble institutionnel cohérent

Il arrive que les Nations Unies explicitent dans leurs discours le fait que l’édification de l’état de droit consiste dans les cas étudiés en la mise en place d’un « système de justice pénale » ou « chaîne pénale » (1). Cette idée d’un ensemble institutionnel cohérent est confirmée par les liens d’interdépendance évoqués dans les discours onusiens entre les trois institutions concernées (2).

1. La « chaîne pénale »

Les Nations Unies affirment parfois explicitement que le soutien qu’elles apportent aux secteurs de la justice, de la police et des prisons a pour objectif la mise en place et le fonctionnement d’un système de justice pénale. Le Conseil de sécurité indique ainsi expressément que la Minusca doit « [a]ppuyer et coordonner l’assistance internationale

334 Le Secrétaire général établit deux types de rapports : des rapports « narratifs » présentant la situation dans le pays concerné aussi bien que les activités réalisées ou à réaliser, dans une perspective plutôt analytique, et des budgets et rapports d’activités (dits « rapports de performance »), qui présentent les activités prévues ou réalisées selon les lignes de financement autorisées, de façon relativement détaillée. La cote des premiers commence par la lettre S car ils sont soumis au Conseil de sécurité, la cote des seconds commence par la lettre A car ils sont soumis à l’Assemblée générale.

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fournie à la police, à la justice et aux institutions pénitentiaires pour remettre sur pied le système de justice pénale » en République centrafricaine335. On peut lire dans un des documents du PNUD en Afghanistan la définition suivante : « [t]he criminal justice system starts with the police and ends with the prison system »336. Le Secrétaire général renvoie lui aussi dans l’ensemble des cas étudiés à la mise en place d’un « système de justice » en y rattachant les institutions du triptyque337 et en l’associant explicitement à l’édification de l’état de droit338, ainsi que le font également d’autres entités onusiennes339

.

La notion de « chaîne pénale » illustre bien cette conception de l’état de droit qui émane de la pratique onusienne. L’expression elle-même apparaît ponctuellement dans la documentation officielle340, y compris, récemment, dans la documentation de portée générale341. A titre d’exemple, il s’agit en République centrafricaine de faire en sorte que « [l]es institutions étatiques compétentes [aie]nt acquis les capacités nécessaires pour réactiver la chaîne pénale »342. On trouve parfois cette expression encadrée par des guillemets, suggérant une

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S/RES/2149 par. 30 f), et S/RES/2217. La formulation varie quelque peu dans la dernière résolution en date de la rédaction, dans la mesure où le « système de justice pénale » y est associé, mais distingué, de la police et du système pénitentiaire. D’après cette dernière résolution en effet, en matière d’état de droit, il s’agit d’« [a]ppuyer et coordonner l’assistance internationale fournie pour renforcer les capacités et l’efficacité du système de justice pénale, ainsi que l’efficacité et les responsabilités de la police et du système pénitentiaire », S/RES/2387 par. 43 e).

336 Le même document mentionne par ailleurs les « cross-linkages with other justice and rule of law institutions

in the criminal justice chain », « Ba Hum », lettre d’information du projet « Law and Order Trust Fund » du

PNUD en Afghanistan, juin 2014 p.6.

337 Voir par exemple pour l’Afghanistan S/2011/590 par. 31. En République centrafricaine, il s’agit de « rendre le système de justice pénale plus efficace en améliorant la coopération entre la police et l’appareil judiciaire », S/2012/374 par. 46 (rapport portant sur le Binuca).

338 Le Secrétaire général déclare ainsi, sur la situation en Haïti, que « dans le domaine du renforcement de l’état de droit, je souligne une fois de plus que le renforcement du système de justice pénale dans son intégralité appelle une certaine prudence », évoquant ensuite plus particulièrement les « lacunes des systèmes judiciaire et pénitentiaire », S/2016/753 par. 62. On retrouve la même association des systèmes judiciaire et pénitentiaire désignés comme les « acteurs du système de justice pénale » dans les budgets de la Minusma, voir en particulier A/70/735/Rev.1 p.48.

339 L’ONUDC rapporte des « [i]mprovements in other parts of the criminal justice system such as Afghan

National Police (ANP) and the judiciary », citant également les prison, Programme pays de l’ONUDC en

Afghanistan 2012-2014, pp.21-22.

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Le « produit » 2.3 du Plan cadre des Nations Unies pour l’aide au développement en Haïti 2009-2011 évoque la « chaîne pénale » et la « chaîne de la justice » p.14, de même que le rapport des Nations Unies en Haïti 2010 qui parle de « penal chain reform—police, justice and the penitentiary system » p.5. L’expression est reprise dans la documentation la plus récente sur Haïti, en particulier dans le Plan cadre des Nations Unies pour l’aide au développement en Haïti 2017-2020 d’après lequel l’« équipe des Nations unies continuera à appuyer le renforcement de la chaîne pénale » p.53. A propos de l’Afghanistan, voir le Programme pays du PNUD en Afghanistan 2015-2019 pp.3 et 8. Voir aussi A/71/690 p.58 pour le Mali.

341 Le Secrétaire général mentionne, dans son rapport « Renforcement et coordination de l’action des Nations Unies dans le domaine de l’état de droit » de 2017, le rétablissement d’un « chaînon manquant dans la chaîne du système de justice pénale », A/72/268 par. 9.

342 Cadre stratégique intégré des Nations Unies en République centrafricaine 2016-2017 p.2 ; voir aussi la mention des « acteurs et institutions de la chaîne pénale », document de projet « Stratégie de développement des capacités pour le renforcement de l’état de droit » du PNUD en République centrafricaine p.3.

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certaine gêne à recourir à cette terminologie sans doute trop pragmatique343. L’expression est plus souvent utilisée à l’oral par les praticiens344

, en général comme un raccourci pour désigner l’état de droit. Le concept d’état de droit apparaît en effet, aux yeux du personnel onusien, moins maniable et tout simplement plus flou345, comparativement à celui de « chaîne pénale », plus concret et plus opérationnel. Ainsi, un représentant du PNUD, après avoir mentionné spontanément et à maintes reprises la « chaîne pénale » au cours d’un entretien, a répondu à la question de savoir si « l’état de droit signifie la chaîne pénale » un « absolument » catégorique346. Le Secrétaire général a également établi de façon explicite ce lien presque définitionnel entre état de droit et chaîne pénale en évoquant un « comité de suivi de la chaîne pénale, qui rassemble tous les acteurs de l’état de droit » en Haïti347

.

On retrouve en outre la même expression dans la littérature sur la pratique onusienne d’édification de l’état de droit dans les situations de conflit et sortie de conflit348

. Un auteur en particulier fait ce constat selon lequel, en matière d’édification de l’état de droit dans les situations conflictuelles et post-conflictuelles par les Nations Unies

« justice chain institutions (e.g. judiciary, law enforcement and detentions and corrections) stand for a significant portion of rule of law assistance in peacekeeping and peace-building. The justice chain includes rule of law actors such as judges, prosecutors, defence lawyers, law clerks, court bailiffs, police and law enforcement personnel, together with detention and correction personnel. (...) The justice chain pattern is possible to identify over time and between different missions »349.

Pour un autre auteur, la prévalence de la conception de l’état de droit comme système de justice pénale est particulièrement avérée en Haïti, où les Nations Unies ont adopté « a very narrow theory of the rule of law that revolves around state institutions and the criminal justice system »350, ce qui au demeurant apparaît valable pour l’ensemble des cas étudiés.

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Le Secrétaire général rapporte qu’en Haïti « des efforts sont déployés pour faciliter le renforcement de la « chaîne pénale » », S/2008/586 par. 36.

344 Sur la base des entretiens réalisés avec le personnel onusien en mai-juillet 2016 en Haïti, en particulier les entretiens des 2 et 6 juin 2016, Port-au-Prince, Haïti. Consultables à l’annexe 3. Il s’agit par exemple de « fluidifier la chaîne pénale », entretien avec un membre du personnel onusien, 2 juin 2016, Port-au-Prince, Haïti.

345 Entretien avec un membre du personnel onusien, 10 juin 2016, Port-au-Prince, Haïti.

346 Entretien avec un membre du personnel onusien, 14 juin 2016, Port-au-Prince, Haïti. Consultable à l’annexe 3.

347 S/2018/241 par. 26.

348 Les « justice chain institutions », R.Z. SANNERHOLM et al., « Looking Back, Moving Forward », art. cit.,

p.365. 349

R. SANNERHOLM, « Securitisation, sectorisation and goal displacement: rule of law assistance in UN peace operations », op. cit., p.12.Voirégalement p.10-11, et R.Z. SANNERHOLM et al., « Looking Back, Moving

Forward », art. cit., pp.363‑368.

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Enfin, le fait que les Nations Unies utilisent parfois le terme de « justice » comme métonymie pour désigner l’ensemble du système de justice pénale confirme cette idée de cohérence d’un système compris comme un tout. Par exemple, le Conseil de sécurité charge l’Onuci de contribuer à « élaborer et mettre en œuvre un programme pluriannuel d’appui conjoint des Nations Unies à la justice permettant d’améliorer l’état de la police, de la magistrature et des prisons, ainsi que l’accès à la justice en Côte d’Ivoire »351

: il est manifeste ici que la « justice » englobe en fait l’ensemble des trois secteurs qui ont donc pour vocation d’y contribuer352. Dans le même sens, le Secrétaire général rapporte une initiative en Afghanistan selon laquelle

« le secteur judiciaire met actuellement au point dans la province de Paktia un modèle d’intervention intégré alliant la reconstruction, la remise en état et la modernisation des tribunaux et des établissements pénitentiaires, la formation des magistrats, du personnel administratif des tribunaux, de la police, du personnel pénitentiaire et des avocats »353.

Les secteurs du triptyque « police-justice-prisons » forment donc pour les Nations Unies une « chaîne pénale », c’est-à-dire un système de justice pénale cohérent. Cette idée est en outre confirmée par l’interdépendance existant d’après les Nations Unies entre les trois secteurs institutionnels.

2. L’interdépendance entre les secteurs de la justice, de la police et des prisons

L’interdépendance des trois secteurs institutionnels composant le triptyque « police-justice-prisons » est explicitement affirmée par les Nations Unies. En Haïti, les Nations Unies insistent sur le fait que « reform of these three institutions [police, justice and the penitentiary system] has to be simultaneous and harmonised »354, tandis que le PNUD insiste sur l’importance de « liens plus étroits entre l’appareil judiciaire et la police »355

. Dans le même

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S/RES/2000 par. 7. Voir encore, au même paragraphe de la même résolution, la mention de « programmes d’assistance (…) destinés aux agents de police, aux gendarmes et au personnel judiciaire et pénitentiaire [et] contribuer au rétablissement de leur présence sur tout le territoire de la Côte d’Ivoire ».

352 Dans le même sens, pour le Secrétaire général, « [i]l est en outre recommandé à l’Onuci ainsi qu’à l’équipe de pays des Nations Unies d’appuyer la mise au point et en œuvre d’un programme commun pluriannuel d’aide au secteur de la justice afin de renforcer les services de police, l’appareil judiciaire et le système pénitentiaire », S/2011/387 par. 57.

353 S/2003/1212 par. 23. 354

Rapport des Nations Unies en Haïti 2010 p.5.

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contexte, le Secrétaire général note que le soutien à la Police nationale doit se faire « en conjonction avec l’amélioration parallèle d’autres secteurs de la justice criminelle »356

, puis déplore qu’« en ce qui concerne la justice (…), les progrès sont restés en deçà de ceux qui ont été réalisés dans le domaine de la Police nationale, ce qui crée un déséquilibre dans l’instauration de l’état de droit »357

. En Afghanistan également, le Secrétaire général affirme que « la réforme du secteur judiciaire ne peut être dissociée de la sécurité – et donc d’une réforme concomitante touchant l’armée, la police et le système pénitentiaire »358

. En République centrafricaine, « l’absence de la police, de la gendarmerie » est perçue comme ayant « gravement nui à l’administration de la justice »359, de même qu’en Côte d’Ivoire, « le déploiement de la police judiciaire » doit venir « à l’appui de la réouverture des tribunaux »360. La réunion des trois secteurs institutionnels identifiés comme incarnant l’état de droit dans les cas étudiés n’est donc pas fortuite, mais constitue, fort logiquement, un système de justice pénale interdépendant. En outre, les exemples d’activités intégrant les trois secteurs institutionnels sont nombreux et confortent l’idée que ce triptyque constitue un tout cohérent équivalant à un système de justice pénale dans les Etats concernés.

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