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Les liens entre les institutions pénitentiaires et les institutions de la justice

Chapitre I – La dimension institutionnelle de l’état de droit

Section 2. Les institutions de l’état de droit comme « chaîne pénale »

II. Les liens fonctionnels entre les institutions du système de justice pénale

2. Les liens entre les institutions pénitentiaires et les institutions de la justice

S’il est évident pour les Nations Unies que « [l]a réforme du système pénitentiaire est également un aspect essentiel de l’avènement de la légalité [rule of law] »388

, reste à préciser comment le soutien au système pénitentiaire participe de l’édification de l’état de droit, relativement à la place que l’institution carcérale occupe au sein du triptyque institutionnel, et aux liens qu’elle entretient avec les deux autres secteurs. Précisément, le système pénitentiaire est, de ce qui ressort de la pratique onusienne, entièrement subordonné, en quelque sorte, au secteur de la justice, au point d’ailleurs qu’il semble parfois ne pas exister en tant que secteur institutionnel propre. La démonstration de cette affirmation justifiera par la suite de se

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« Le PNUD, la MINUSCA et ONU-Femmes ont donné sa forme définitive à un projet commun destiné à faciliter le rétablissement de la justice et de la sécurité en République centrafricaine dans le cadre de la Cellule mondiale de coordination des activités policières, judiciaires et pénitentiaires. Ce projet prévoit la fourniture d’un appui au secteur de la justice pour lutter contre l’impunité (…) Ce projet prévoit également un appui aux organes chargés d’assurer la sécurité interne, tels que le Ministère de la sécurité, la police, la gendarmerie », S/2014/562 par. 51.

385 Programme pays du PNUD en Afghanistan 2015-2019 pp.7-8 et p.15. 386

A/71/842 par. 95 et 96. Voir aussi les « 3 stages de formation spécialisée destinés aux magistrats du siège et du parquet et aux agents de la police judiciaire, mettant la lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale organisée en perspective avec la question de l’état de droit dans les situations d’après conflit et d’autres situations de crise », A/71/842 p.41.

387 « La MINUSCA, en coordination avec l’équipe de pays des Nations Unies, a poursuivi ses efforts pour renforcer les capacités et appuyer le redéploiement de la justice, de la police et de la gendarmerie dans tout le pays », S/2016/305 par. 44. Le redéploiement conjoint de la police et du système judiciaire est également soutenu par l’Onuci en Côte d’Ivoire dans le cadre de la mise en œuvre de l’Accord politique de Ouagadougou, voir A/63/610 p.39 et A/64/584 p.40.

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préoccuper davantage des deux autres secteurs institutionnels incarnant l’état de droit dans les situations étudiées.

L’intégration des prisons au système de justice pénale dans son ensemble est manifeste en premier lieu dans les résolutions du Conseil de sécurité. De façon très explicite, ce dernier « [p]rie la Manua d’appuyer (…) la mise en place d’un système de justice équitable et transparent, et notamment la reconstruction des prisons et la réforme de l’administrateur pénitentiaire, afin d’asseoir l’état de droit sur l’ensemble du territoire »389

. On voit ainsi que le renforcement du système pénitentiaire en Afghanistan ne prend son sens qu’en relation avec la « mise en place d’un système de justice », elle-même nécessaire à l’instauration de l’état de droit. Dans le même sens, aucun des mandats de l’Onuci390 et de la Minusca391 ne mentionne le système pénitentiaire pour lui-même, mais seulement en association avec les appareils policier et/ou judiciaire. Les résolutions relatives à la Minustah associent également, bien que non systématiquement, le système pénitentiaire, soit au système judiciaire392, soit à la Police nationale d’Haïti393

.

Reflétant l’approche du Conseil de sécurité, les rapports du Secrétaire général présentent aussi le renforcement du système pénitentiaire comme relevant de la démarche plus générale de mise en place de la justice pénale394. Le Secrétaire général estime, à propos de la Côte d’Ivoire, que le redéploiement « du personnel pénitentiaire et la réouverture des prisons [sont] des préalables indispensables au rétablissement du fonctionnement normal des tribunaux et à la restauration de l’autorité du pouvoir judiciaire »395

. En Afghanistan, le Secrétaire général s’inquiète de ce qu’« [u]ne bonne partie des efforts du système de justice pénale risque d’être gravement compromise si le système pénitentiaire ne fonctionne pas de manière efficace »396. Un membre du personnel onusien travaillant au soutien de l’administration pénitentiaire confirmait cette intégration des questions pénitentiaires au sein de la thématique plus large de

389 S/RES/1589 par. 9. Voir pour une formulation approchante, S/RES/1662 par. 11.

390 Ce secteur est en outre cité seulement dans deux des mandats, S/RES/2000 par.7 et S/RES/2112 par. 6. 391 S/RES/2149 par. 30, S/RES/2217 par. 32 et S/RES/2301 par. 10, 34 et 35.

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S/RES/1745 par. 14. 393 S/RES/1542 par. 7.

394 Ainsi, il s’agit de « mettre en œuvre les réformes nécessaires pour établir un système de justice pénale et un système pénitentiaire efficaces et responsables ainsi qu’un appareil judiciaire indépendant, en vue d’assurer progressivement les services indispensables à l’instauration de l’état de droit dans les zones prioritaires » en République centrafricaine, S/2016/565 par. 63. En Sierra Leone, il s’agit de former le « personnel pénitentiaire (…) en particulier sur l’administration de la justice et l’état de droit », S/2012/679 par. 55. Pour le Mali, voir A/70/735/Rev.1 p.48.

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A/64/584 par. 27. Voir également A/64/584 p.39. 396 S/2003/1212 par. 24.

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la justice pénale, sur le terrain comme au siège de l’ONU397

.

Similairement à ce qui a été présenté concernant les activités associant police et justice, les Nations Unies mettent en œuvre des activités réunissant le personnel ou les structures des secteurs pénitentiaire et judiciaire, telles que des formations398 ou une « assistance » commune sur des questions de procédure pénale ou autres399. Là encore, l’idée est de renforcer les liens et la coordination entre ces deux secteurs400. Très fréquemment, la construction ou la réhabilitation de tribunaux et prisons ou centres de détention est simultanée401, de même que le (re)déploiement du personnel judiciaire et pénitentiaire402.

L’organisation de la pratique, c’est-à-dire la façon dont les Nations Unies agencent leurs activités au regard d’un secteur ou d’un objectif donné, illustre également l’association forte entre le secteur de la justice et des prisons. Les unités de la Minusca et de la Minusma chargées de ces questions sont précisément intitulées « affaires judiciaires et pénitentiaires »403. D’une manière générale, les rapports du Secrétaire général, que ce soit sur l’Afghanistan404, la Côte d’Ivoire405

, la République centrafricaine406, Haïti407 ou le

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Pour ce représentant, cette situation était à déplorer en ce que les problématiques spécifiques du système pénitentiaire, distinctes de celles du secteur de la justice, étaient de ce fait « à la remorque » de la dynamique générale de l’édification de l’état de droit, entretien avec un membre du personnel onusien, 10 juin 2016, Port-au-Prince, Haïti.

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En Haïti, voir par exemple A/64/554 p.34, pour la République centrafricaine voir A/70/604 p.38.

399 Voir pour Haïti A/66/658 par. 27, et en République centrafricaine le projet commun PNUD-Minusca-ONU-Femmes susmentionné, note384 et S/2014/562 par. 51-52. En ce qui concerne la Côte d’Ivoire, voir A/68/632 p.50.

400 Voir de nouveau, pour la Côte d’Ivoire, le fait que l’Onuci a travaillé à « l’élaboration de consignes permanentes et de mécanismes de coordination entre la justice, la police et l’Administration pénitentiaire », A/64/584 p.44.

401 Voir en République centrafricaine, A/70/712 par. 61, A/71/819 p.55 et S/2016/305 par. 44 ; pour l’Afghanistan voir S/2006/727 par. 51.

402

De nouveau en République centrafricaine, voir S/2015/227 par. 48, A/70/712 par. 61 ;et pour la Côte d’Ivoire S/2012/186 par. 53 et A/64/584 par. 27.

403 Voir les pages consacrées à ces sections sur le site de la Minusca et de la Minusma respectivement, disponibles en ligne à l’adresse suivante : https://minusca.unmissions.org/affaires-judiciaires-et-p%C3%A9nitentiaires et https://minusma.unmissions.org/affaires-judiciares-et-penitenciaires, consultées le 13 octobre 2017.

404 Les activités relatives au système pénitentiaire et au système judiciaire sont réunies dans la même section « Etat de droit » dans les rapports S/2009/135 par.38-39, S/2008/617 par. 29-32, S/2007/152 par. 47-50, S/2006/727 par. 51.

405 S/2013/377 par. 32 à 34, S/2013/761 par. 32-33, S/2012/186 par. 53, S/2008/1 pp.12-13, S/2007/593 p.12. 406 Les rapports du Secrétaire général sur la République centrafricaine contiennent eux aussi, sous la section « Etat de droit », une sous-section consacrée à l’« [a]ppareil judiciaire et pénitentiaire », voir S/2014/142 par. 27, et S/2015/918 par. 47-48.

407 Pour Haïti, voir parmi d’autres S/2006/60 p.9, S/2006/592 p.5. De même, la Minustah doit contribuer au « progrès en matière de réforme et de renforcement institutionnel des systèmes judiciaire et pénitentiaire en Haïti », voir les rapports A/60/646, A/61/741, A/62/631 p.22, A/63/549 p.28, A/64/554 p.28, A/65/703 p.29, A/66/658 p.24, A/67/605 p.33, A/68/626 p.37.

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Mali408regroupent très fréquemment les activités relatives à ces deux secteurs institutionnels dans une même section. A titre d’illustration, parmi les objectifs de l’Onuci figure le « rétablissement de l’autorité du pouvoir judiciaire et de l’état de droit (y compris les établissements pénitentiaires) dans toute la Côte d’Ivoire »409. On observe la même association dans le Plan cadre des Nations Unies au Mali410et dans les programmes du PNUD en République centrafricaine411 et en Haïti412. L’ONUDC en Afghanistan fait des prisons un des domaines spécifiques du « criminal justice sector »413.

L’association, voire l’assimilation, du système pénitentiaire au système judiciaire qui émane des activités et discours des Nations Unies dans les cas étudiés est d’autant plus significative que dans certains des Etats concernés, en l’occurrence Haïti414

et l’Afghanistan415, le système pénitentiaire est placé sous l’autorité hiérarchique de la police ou du ministère de l’Intérieur, et non du ministère de la Justice ou équivalent. Ce déplacement institutionnel dans la pratique onusienne confirme que les Nations Unies conçoivent le rôle du système pénitentiaire principalement en tant qu’il participe du système de justice pénale.

Ainsi, dans la pratique onusienne de terrain, l’institution policière et le système pénitentiaire sont largement associés au secteur de la justice et, partant, au système de justice pénale que les Nations Unies s’attachent à mettre en place et soutenir à travers leur démarche d’édification de l’état de droit. Les liens observés entre ces trois secteurs institutionnels ne

408 Ainsi, « [l]a MINUSMA a lancé différents projets qui concernent la restauration de l’état de droit (système judiciaire et pénitentiaire) » S/2016/819 par. 13, voir encore le renforcement des « capacités des agents des systèmes pénitentiaire et judiciaire nationaux », S/2016/498 par 52, et A/70/735/Rev.1 p.59, A/71/690 par. 18, A/71/842 par. 96 et 97.

409 Voir A/61/673 p.25, A/62/642 p.26, A/64/584 p.39, A/65/615 p.36, A/66/616 p.39, A/67/642 p.43, A/68/632 p.45, et pour une formulation presque identique A/63/610 p.39, A/60/630 p.20, A/69/621 p.50.

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Ainsi de la « nouvelle stratégie de réforme des secteurs judiciaire et pénitentiaire », Plan cadre des Nations Unies pour l’aide au développement au Mali 2015-2019 p.20, voir aussi p.68.

411 Voir par exemple le Programme pays du PNUD en République centrafricaine 2012-2016, qui prévoit notamment « la formation initiale et continue du personnel des services judiciaires, pénitentiaires et de police judiciaire », par. 13. Voir aussi le projet « Stratégie de développement des capacités pour le renforcement de l’état de droit » du PNUD en République centrafricaine, p.1 et suivantes.

412 La mention du système pénitentiaire relève de l’objectif d’après lequel « [l]’accès à la justice est amélioré; les délais de détention sont réduits; le système judiciaire inspire davantage confiance », Programme pays du PNUD en Haïti 2009-2011 p.10.

413« The rule of law in Afghanistan still requires significant investment and support (…). Although in the last ten

years much has been accomplished and the justice system has been reanimated, specific areas such as prisons, juvenile justice, anti-corruption, and the overall capacity of criminal justice sector need further improvement and sustainability », Programme pays de l’ONUDC en Afghanistan 2012-2014 p.21.

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Constitution de la République d’Haïti amendée, 1987, art. 272.

415 Le gouvernement afghan souhaite mettre en œuvre une réforme consistant à déplacer la direction centrale des établissements pénitentiaires sous l’autorité du ministère de l’Intérieur alors qu’elle relevait jusqu’en 2011 du ministère de la Justice, S/2011/590 par. 51. Voir aussi le site du ministère de l’Intérieur afghan disponible en ligne à l’adresse suivante : http://moi.gov.af/en/page/6342/6343, consultée le 19 juillet 2018.

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sont pas seulement le fait de proximités institutionnelles ou organiques locales (ils les contredisent même parfois puisque la répartition des secteurs institutionnels dans l’organisation de la pratique onusienne ne reflète pas toujours celle de l’Etat concerné). Au contraire, les activités et discours des Nations Unies dans les cas étudiés révèlent le rôle que jouent le système pénitentiaire et la police dans l’édification de l’état de droit, et qui consiste à assurer le fonctionnement de la justice pénale comprise comme un tout. Comme le constate une auteure,

« while the reform of criminal justice institutions once tended to be fragmented, there

is now a realization that the various institutions that make up a criminal justice system (judiciary, prosecutor’s office, police forces, correctional institutions, and bar associations) should be viewed as components of a whole system »416.

C’est cette idée qu’on retrouve par ailleurs dans la terminologie onusienne de « chaîne pénale » désignant la façon dont les Nations Unies conçoivent l’état de droit dans les situations de conflit et de sortie de conflit. L’étude de la pratique d’édification de l’état de droit par les Nations Unies va ainsi passer d’un prisme organique à un prisme fonctionnel, qui sera développé plus bas417, une fois que la place prépondérante de la matière pénale dans les activités de soutien aux institutions judiciaires aura été démontrée.

§ 2. L’intérêt des Nations Unies pour la justice pénale

Si, à travers le soutien qu’elles apportent aux institutions de la justice, de la police et des prisons, et en particulier à cette première, les Nations Unies cherchent à mettre en place une « chaîne pénale », il semblerait logique qu’en ce qui concerne le secteur de la justice, elles s’intéressent prioritairement au domaine pénal. C’est effectivement le cas, au point que le terme de « justice » fasse parfois figure de synonyme de « justice pénale » dans la pratique onusienne. Si le droit pénal est en général conçu comme un « droit d’exception »418, on observe que dans la pratique onusienne, il monopolise au contraire l’essentiel des activités relatives au secteur de la justice419. Il convient toutefois de préciser que cette démonstration repose, non pas sur la nature des situations effectivement traitées par les systèmes de justice mis en place par les Nations Unies et qui relèveraient de la matière pénale (crimes,

416 A.G. HURWITZ et R. HUANG (éds.), Civil war and the rule of law, op. cit., p. 288. 417

Voir infra, Chapitre II, pour la fonction répressive de l’état de droit, et Titre III pour la fonction protectrice de l’état de droit.

418 E. DREYER, Droit pénal général, op. cit., p.62. 419

Les rares situations où les Nations Unies mentionnent d’autres domaines seront traitées infra, Chapitre VII, Section 2, § 1, II, 2.

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infractions), mais plus simplement sur le fait que les Nations Unies désignent elles-mêmes leur pratique comme ciblant la justice pénale (I), ce qui est confirmé par les activités réalisées (II).

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