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Le renforcement des juridictions et des systèmes judiciaires

Chapitre II – La fonction répressive de l’état de droit

Section 1. Les fonctions propres aux institutions de l’état de droit

II. Le renforcement des juridictions et des systèmes judiciaires

Le renforcement des capacités des juridictions est un axe majeur de la pratique onusienne d’édification de l’état de droit dans les cas étudiés. Ainsi, le Conseil de sécurité appelle au « renforcement des institutions judiciaires » en Haïti504, au « renforcement des capacités des institutions judiciaires » en Afghanistan505, demande de « [c]oncourir à renforcer (…) les capacités de l’appareil judiciaire » en République centrafricaine506

, tandis que certains mandats de l’Onuci mentionnent « le renforcement des capacités (…) [du] personnel judiciaire »507. De même, les accords-cadres prévoient à maintes reprises de procéder au « renforcement des capacités » des systèmes judiciaires, notamment en Côte d’Ivoire508, en République centrafricaine509 et en Afghanistan510. Plus précisément, les « systèmes judiciaires » désignés ici sont surtout les juridictions, ainsi que quelques institutions

502

S/2014/229 par. 48.

503 A/64/584 par. 27. Dans les premiers rapports d’activité de l’Onuci, de 2006 à 2009 environ, l’un des objectifs consiste au « [r]établissement de l’autorité du pouvoir judiciaire et des institutions de l’état de droit », avec pour indicateur le nombre de tribunaux ré-ouverts, voir notamment A/63/610 p.39, A/64/584 p.39, A/62/642 p.26. Avant 2006, l’Onuci appuie l’organisation de tribunaux mobiles en lieu et place de la réouverture des tribunaux, voir A/60/63 p.21. Voir aussi, suite à la crise de 2010 : « [e]n raison de la crise, le système judiciaire a quasiment cessé de fonctionner et il s’est effondré dans le sud. Sur les 26 tribunaux établis dans les régions méridionales, 17 ont été endommagés ou pillés en partie durant cette période. Dans le nord, bon nombre des juges et des procureurs redéployés ont abandonné leur poste », S/2011/387, par. 31, voir aussi S/2010/600, par. 52 et la mise en œuvre de projets dont, parmi d’autres, « 3 projets de remise en état de tribunaux, 2 projets visant à fournir du matériel aux tribunaux », A/67/642 p.47.

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S/RES/1542, par. 8. De même, il demande le « renforcement du secteur de la justice », S/RES/1702 par. 14. 505 S/RES/1890 p.3, S/RES/1943 p.3, S/RES/2069 p.3.

506 S/RES/2301 par. 35.

507 S/RES/2000 par. 7 et S/RES/2112 par. 6.

508 Le plan cadre des Nations Unies pour l’aide au développement en Côte d’Ivoire 2003-2007 se propose de « [c]onsolider l’Etat de droit [par le biais d’un a]ppui aux réformes et au renforcement des capacités du système judiciaire », p.15.

509 Plan cadre des Nations Unies pour l’aide au développement en République centrafricaine 2012-2016 qui comporte l’objectif suivant : « i) le renforcement du système judiciaire », p.9.

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juridictionnelles les encadrant. Ce sont à la fois leurs capacités matérielles (1) et leurs capacités humaines (2) qu’il s’agit de renforcer, comme le résume le Secrétaire général à propos de la Sierra Leone où les Nations Unies travaillent à « dispenser une formation aux cadres supérieurs de la justice et aux magistrats locaux, (…) recruter de nouveaux magistrats et (…) fournir des ressources – matériels divers et véhicules, notamment – pour faciliter leur travail »511.

1. Le renforcement des capacités matérielles des institutions judiciaires

Dans tous les cas d’étude en effet, les missions de paix comme les agences s’emploient à la construction512, la réhabilitation et l’équipement de tribunaux et d’autres bâtiments annexes513 permettant d’assurer la fonction juridictionnelle (logements pour le personnel judiciaire par exemple514). Le renforcement des capacités matérielles concerne les tribunaux au plus bas degré de juridiction, mais aussi les juridictions nationales515, des institutions centrales comme les ministères de tutelle516 ou les établissements de formation pour les magistrats et autres membres du corps judiciaire517. Cette démarche inclut également un soutien « logistique », comme par exemple en République centrafricaine où la Minusca a fourni « un appui logistique au Ministère de la justice pour l’organisation de 3 audiences pénales »518

. Ce renforcement va de pair avec le renforcement des capacités humaines du personnel concerné,

511 S2009/59 par. 50.

512 C’est une activité particulièrement valable pour l’Afghanistan où le Secrétaire général rapporte que « [l]a construction de tribunaux provinciaux est en cours » S/2004/230 par. 27, et qu’« on construit ou on rénove des tribunaux », S/2006/727 par. 51, voir de même S/2005/525 par. 42. En Haïti, la Minustah a procédé à la « fourniture de 26 locaux temporaires à usage de bureau et de 15 autres structures préfabriquées attendant d’être livrées, soit 41 structures, dont 11 destinées à des institutions sous la tutelle du Ministère de la justice et de la sécurité publique, les autres étant destinées à des tribunaux à travers le pays » A/67/605 p.35, voir aussi S/2009/438 par. 32.

513

En Haïti, la Minustah a apporté un « soutien logistique (…) pour mettre en place 15 postes relais d’administration de la justice et de réparation d’infrastructures nationales et locales » A/66/658 p.25. La Minusca prévoit la « [r]emise en état, construction et équipement de quatre cours ou tribunaux » A/71/819 p.56. De même, l’Onuci rapporte « la construction ou la remise en état et l’aménagement de plusieurs bâtiments à usage de tribunaux », A/64/584 par. 27, voir aussi A/63/610 p.37. Dans la liste des projets à impact rapide (QIPs pour « quick impact projects ») de la Minustah (document non public), nombre de projets référencés « état de droit » consistent en la réhabilitation et l’équipement de tribunaux de paix et tribunaux de première instance. Voir aussi, en République centrafricaine, le projet « Stratégie de développement des capacités pour le renforcement de l’état de droit » du PNUD en République centrafricaine 2012-2016 p.3.

514 En Sierra Leone, le Secrétaire général rapporte que « la construction de tribunaux et de logements pour les juges est en cours », S/2009/438 par. 32.

515 Par exemple la Cour d’appel en République centrafricaine, A/70/604 p.37. 516

C’est ainsi le PNUD en Haïti qui a fourni la plupart des infrastructures du ministère de la Justice et de la Sécurité publique suite au séisme de 2010, voir le Cadre stratégique intégré des Nations Unies en Haïti 2010-2011 p.20.

517

Voir infra, 2. 518 A/70/712 p.42

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auquel les Nations Unies consacrent un volume d’activités conséquent.

2. Le renforcement des capacités humaines des institutions judiciaires

Les Nations Unies accordent une importance non négligeable à l’augmentation du personnel judiciaire. Dans cette perspective, elles mettent en œuvre des programmes importants de recrutement519, de formation initiale, et, partant, de soutien aux organismes de formation du personnel judiciaire. En Haïti, l’ensemble des acteurs onusiens a travaillé à relancer puis à soutenir l’Ecole de la magistrature, sous une forme matérielle520

, administrative521 et pédagogique522. De même, l’Onuci a cherché à « établir un Institut national de formation juridique, école de spécialisation pour le personnel judiciaire et pénitentiaire »523. En République centrafricaine, les Nations Unies ont également commencé d’appuyer l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature524

. En Afghanistan, le Secrétaire général note que « [l]a réforme de l’enseignement du droit, également appuyée par le PNUD, est une mesure essentielle pour assurer une nouvelle génération de magistrats »525, et les Nations Unies réalisent plusieurs activités en ce sens526.

Les Nations Unies travaillent aussi à améliorer les compétences du personnel judiciaire. En

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La Minustah rapporte l’« organisation d’un concours pour le recrutement de nouveaux magistrats », A/65/703 p.31, voir aussi A/68/626 p.39.

520 « Assistance logistique et financière permettant la remise en état des dortoirs et des salles de cours de l’École de la magistrature » A/65/703 p.31, voir aussi S/2007/503 par. 35.

521 « Le règlement intérieur et l’organigramme de l’École [de la magistrature] ont été achevés, et on a trouvé des formateurs », A/63/549 p.29.

522 « Un appui quotidien [à l’Ecole de la magistrature] a été fourni pour le recrutement de nouveaux magistrats, dont une aide pour l’élaboration et l’application d’un programme de formation des nouveaux magistrats et des juges, procureurs et juges de paix établis » A/68/626 p.39, voir aussi A/65/703 p.31.

523

S/2008/451 par. 45. Elle a ensuite fourni des conseils pour « renforcer les moyens de l’Institut national de formation judiciaire, [et] améliorer la formation universitaire et les connaissances en droit », A/64/584 p.41. Voir aussi S/2014/342 par. 28 et A/68/632 p.47.

524

Voir l’article « Redynamiser l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature » sur le site de la Minusca, disponible en ligne à l’adresse suivante : https://minusca.unmissions.org/redynamiser-l%E2%80%99ecole-nationale-d%E2%80%99administration-et-de-magistrature, consultée le 23 septembre 2017, y compris par le biais de formations de formateurs d’après l’article « Formation de formateurs de l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature » sur le site du PNUD en République centrafricaine, disponible en ligne à l’adresse suivante :

http://www.cf.undp.org/content/car/fr/home/presscenter/pressreleases/2016/06/27/formation-de-formateurs-de-l-ecole-nationale-d-administration-et-de-magistrature.html, consultée le 23 septembre 2017.

525 S/2004/925 par. 28. 526

Ainsi, les Nations Unies et notamment le PNUD tendent à réorienter l’ensemble des activités de formations vers un soutien au National Legal Training Center, voir le document de projet « Access to Justice in

Afghanistan » du PNUD en Afghanistan, pp.15 et 18, et un soutien à d’autres organismes locaux à même de

réaliser des formations pour le personnel judiciaire, d’après le rapport final du projet « Justice and Human Rights

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complément au soutien aux instituts de formation, elles mettent en place des programmes de formation continue, par exemple en Afghanistan527 et en Haïti528, et organisent également des formations ad hoc pour le personnel en place, ce que la Minustah désigne comme le « recyclage » du personnel529. Dans cette perspective également, les Nations Unies, et plus particulièrement les missions de paix530, fournissent leur « assistance technique » dans le cadre de visites régulières effectuées auprès des juridictions531. Cet appui cible en général l’ensemble du personnel judiciaire, y compris les juges, les magistrats, les procureurs, les greffes532.

Les activités présentées ici indiquent qu’il s’agit bien pour les Nations Unies de garantir le fonctionnement de la composante juridictionnelle du système de justice pénale. Si cette approche va de soi dès lors que l’état de droit consiste en un système de justice pénale, il était cependant nécessaire de montrer que c’est bien ce à quoi les Nations Unies consacrent une partie de leur pratique d’édification de l’état de droit, d’autant plus que l’appui à la fonction juridictionnelle cohabite avec un appui à la fonction de maintien de l’ordre.

§ 2. La fonction de maintien de l’ordre de l’état de droit

La fonction juridictionnelle n’est pas la seule que l’état de droit assure d’après la pratique onusienne : tel que mis en œuvre dans les cas d’étude, il remplit également une fonction de maintien de l’ordre. On entend par là, en premier lieu, que la police assure une fonction

527 « 70 procureurs sont actuellement inscrits à un programme intensif de formation en cours d’emploi », S/2010/127 p.18.

528

« Un appui quotidien [à l’Ecole de la magistrature] a été fourni pour (…) pour l’élaboration et l’application d’un programme de formation des nouveaux magistrats et des juges, procureurs et juges de paix établis » A/68/626 p.39, voir aussi A/65/703 p.31.

529 Ainsi la Minustah a organisé des « stages de recyclage aux droits de l’homme à l’intention (…) de membres du personnel des autorités judiciaires (194 personnes) », A/63/549 p.31. Voir aussi « 39 sessions [de formation] à l’intention de membres du personnel judiciaire (juges de paix, procureurs, juges et greffiers), organisés sous les auspices de l’École de la magistrature », A/62/631 p.24, et de nombreux stages pour le personnel en fonction, A/63/549 p.29, A/64/554 p.30, A/65/703 p.31.

530

Du fait qu’elles disposent d’un personnel plus nombreux.

531 « Fourniture hebdomadaire de conseils et d’un appui technique [aux autorités judiciaires] » en Haïti, A/66/658 p.26, ou encore A/62/631 p.24.

532 Pour l’Afghanistan, voir notamment « des juges et des procureurs sont formés » S/2006/727 par. 51, et S/2009/135 par. 37, S/2008/617 par. 31. En ce qui concerne la Côte d’Ivoire, voir le rapport du PNUD en Côte d’Ivoire 2013 p.10. En Haïti, la Minustah « [donne] des orientations et des conseils à 250 membres du personnel judiciaire, dont le Ministre de la justice, des juges en exercice, des procureurs, des greffiers et des magistrats ; consultations quotidiennes avec un large éventail de membres du personnel judiciaire » A/63/549 p.30. En République centrafricaine, sont concernés les « juges d’instruction, présidents de tribunal, procureurs et greffiers », A/71/651 p.45, voir aussi A/71/819 p.55.

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exécutive nécessaire au fonctionnement d’un système de justice pénale. Mais l’état de droit est également doté d’une fonction plus large de maintien de l’ordre, à la fois en ce que c’est là la fonction définissant l’institution policière533, c’est-à-dire l’une des trois composantes de la chaîne pénale (I), mais aussi parce qu’au-delà du seul rôle de la police, il existe une association plus directe entre l’état de droit et l’ordre public (II).

La difficulté réside dans le fait que ces notions – état de droit et ordre public – sont dans la pratique onusienne à la fois des démarches, des objectifs opérationnels et des concepts, dont les liens sont au demeurant complexes et le contenu changeant. Ce sont ces liens et ces différents statuts qu’il s’agit ici de clarifier. Il est donc indispensable de procéder à quelques précisions terminologiques. L’état de droit, comme l’ordre public, sont des notions décrivant un état, une situation, tandis que l’édification de l’état de droit et le maintien de l’ordre correspondent aux processus visant à établir une situation caractérisée respectivement par l’état de droit et l’ordre public. Il faut encore préciser que l’édification de l’état de droit recouvre dans le contexte de la présente étude uniquement des activités mises en œuvre par les Nations Unies, tandis que le maintien de l’ordre peut être assuré, soit directement par les Nations Unies dans certains (rares) cas, soit par les autorités nationales. Aussi, c’est la contribution ou le soutien des Nations Unies au maintien de l’ordre qui constitue l’exact parallèle de l’édification (par les Nations Unies) de l’état de droit, et non le maintien de l’ordre en tant que tel. C’est donc cette démarche de soutien qui est abordée ici, non les interventions directes des Nations Unies en la matière.

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