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L’état de droit à l’épreuve de la paix L’édification de l’état de droit par les Nations Unies

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Texte intégral

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L’état de droit à l’épreuve de la paix

L’édification de l’état de droit par les Nations Unies

dans les situations de conflit et sortie de conflit

Thèse présentée par Edith VANSPRANGHE

en vue de l’obtention du grade académique de docteure en Sciences

juridiques (ULB) et en Droit public (Paris VIII),

soutenue publiquement le 29 novembre 2019

Sous la direction du Professeur Pierre BODEAU-LIVINEC, directeur

(Paris Nanterre)

Centre de droit international de Nanterre (CEDIN)

et du Professeur Pierre KLEIN, promoteur (Université libre de Bruxelles)

Centre de droit international (CDI)

Jury de thèse :

Karine BANNELIER-CHRISTAKIS (Université Grenoble-Alpes) Marie-Laure BASILIEN-GAINCHE (Université Jean Moulin Lyon 3) Olivier CORTEN (Université libre de Bruxelles)

Mathias FORTEAU (Université Paris Nanterre) Jean-Louis ITEN (Université Paris VIII)

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Remerciements

Les remerciements à exprimer au terme de ce périple sont fort nombreux.

Je remercie en tout premier lieu mes directeur et promoteur pour leur exigence, leur soutien, leur humour salvateur, et leur compréhension des affres de doute par lesquelles je suis passée. Je remercie les membres de mon comité d’accompagnement à l’Université libre de Bruxelles pour leur implication, et plus largement l’équipe bruxelloise pour être un havre de bienveillance stimulante dans un monde académique parfois rude. Je suis reconnaissante également aux personnes rencontrées au cours de mes recherches et qui ont accepté de s’entretenir avec moi ou de m’apporter leur aide d’une quelconque façon.

Je remercie ensuite et de tout mon cœur toutes celles et ceux qui m’ont nourrie, et je parle certes de nourritures intellectuelles mais surtout de nourritures terrestres (à titre d’exemples : les nombreux petits plats amicalement mitonnés, les repas roboratifs qu’on déguste en Dordogne). Je remercie de même celles et ceux, souvent les mêmes d’ailleurs, qui m’ont offert un refuge en bord de mer ou à la campagne, en Haïti, à Bruxelles et même à Paris, au cours de ces presque cinq ans.

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Sommaire

Introduction

Partie I – L’état de droit répressif

Titre I – Aspects empiriques de l’état de droit répressif

Chapitre I – La dimension institutionnelle de l’état de droit Chapitre II – La fonction répressive de l’état de droit Titre II – Aspects systémiques de l’état de droit répressif

Chapitre III – Construction de l’état de droit répressif

Chapitre IV – L’état de droit répressif au regard du contexte d’édification Partie II – L’état de droit protecteur

Titre III – Aspects empiriques de l'état de droit protecteur

Chapitre V – La protection des droits humains par les institutions de l’état de droit

Chapitre VI – La protection des droits humains au sein des institutions de l’état de droit

Titre IV – Aspects systémiques de l'état de droit protecteur

Chapitre VII – L’état de droit protecteur au regard du contexte d’édification Chapitre VIII – L’ambivalence de l’état de droit au regard de l’ordre international

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Liste des acronymes, sigles et abréviations

BAL Bureau d’Assistance Légale (Haïti)

BCPR Bureau pour la prévention des crises et le relèvement (PNUD)

Binuca Bureau intégré des Nations Unies pour la consolidation de la paix en République centrafricaine

Binucsil Bureau intégré des Nations Unies pour la consolidation de la paix en Sierra Leone

Binusil Bureau intégré des Nations Unies en Sierra Leone

Bonuca Bureau d’appui à la consolidation de la paix en République centrafricaine

CIJ Cour internationale de Justice

CLJAU Criminal Law and Judicial Advisory Unit (du Département des opérations de maintien de la paix)

CPS Cour pénale spéciale (République centrafricaine)

CSCCA Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (Haïti)

CSI Cadre stratégique intégré

CSPJ Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (Haïti) CVJR Commission Vérité Justice Réconciliation (Mali) DDR Désarmement, démobilisation et réintégration

DfID Département du Développement international (Department for International Development) (Royaume-Uni)

EUJUST LEX Mission intégrée « Etat de droit » de l’Union européenne pour l’Irak EULEX Mission « Etat de droit » menée par l’Union européenne au Kosovo EUJUST-THEMIS Mission « Etat de droit » menée par l’Union européenne en Géorgie FNUAP Fonds des Nations Unies pour la Population

GFP Global Focal Point for Police, Justice and Corrections Areas in the Rule of Law in Post-Conflict and other Crisis Situations

GIZ Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit

HCDH Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme

HCR Haut-Commissariat aux Réfugiés

Manua Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan Micivih Mission Civile Internationale en Haïti

Minujusth Mission des Nations Unies pour l’appui à la justice en Haïti

Minusca Mission multidimensionnelle intégrée de stabilisation des Nations Unies en Centrafrique

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8

Minustah Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti MPEPIL Max Planck Encyclopedia of International Law

OCDE Organisation de coopération et de développement économiques OIF Organisation internationale de la Francophonie

ONU Organisation des Nations Unies

Onuci Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire

ONUDC Bureau des Nations Unies contre la Drogue et le Crime

OROLSI Bureau de l’état de droit et des institutions chargées de la sécurité (Office for Rule of Law and Security institutions)

OSCE Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe

PNH Police nationale d’Haïti

PNUD Programme des Nations Unies pour le développement

RBB Planification basée sur les résultats (« results-based budgeting »)

RCA République centrafricaine

RSS Réforme du secteur de la sécurité

RVC Réduction de la violence communautaire

SDH Section des droits de l’homme

SFDI Société française pour le droit international SGBV Sexual and gender-based violence

UA Union africaine

UE Union européenne

UNDAF Plan cadre des Nations Unies pour l’aide au développement (« United Nations development assistance framework »)

UNESCO Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture

UNICEF Fonds des Nations Unies pour l’enfance

UNPOL Police des Nations Unies

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9

Introduction

Les tournures fleuries : « arborescence »1, « florilège disparate »2, ou moins fleuries : « fatras apparemment inextricable »3, « machinerie conceptuelle »4, « pléonasme »5, « mythe »6, « tautologie »7, « contradiction »8, ou encore, sans espoir de salut, « concept (…) qui semble se situer entre le pas-grand-chose et le moins-que-rien »9, ne manquent pas pour décrire l'objet de la présente recherche : l'état de droit10. Cette abondance de qualificatifs plus ou moins désobligeants ne semble toutefois pas avoir entamé l’immense popularité du concept dans l’ordre international11

. M. Delmas-Marty, décrivant l’état de droit au plan international comme un « monstre juridique » à la fois « repoussant » et « incohérent »12, poursuit en

1 L. H

EUSCHLING, « Le regard d’un comparatiste : l’Etat de droit dans et au-delà des cultures juridiques nationales », dans SOCIETE FRANÇAISE POUR LE DROIT INTERNATIONAL (S.F.D.I.) (éd.), L’État de droit en droit

international: colloque de Bruxelles, Paris, Pedone, 2009, p.55.

2 P. B

ODEAU-LIVINEC et S. VILLALPANDO, « La promotion de l’« état de droit » dans la pratique des Nations Unies », dans SOCIETE FRANÇAISE POUR LE DROIT INTERNATIONAL (S.F.D.I.) (éd.), L’État de droit en droit

international: colloque de Bruxelles, Paris, Pedone, 2009, p.85.

3 P. B

ODEAU-LIVINEC et S. VILLALPANDO, « La promotion de l’« état de droit » dans la pratique des Nations Unies », art. cit., p.85.

4 J. C

HEVALLIER, L’État de droit, Paris, Montchrestien, 2010, p.13. 5

H. KELSEN, Théorie pure du droit, Paris - Bruxelles, L.G.D.J, Bruylant, 1999 (La pensée juridique), p.304. 6 M. M

IAILLE, « L’Etat de droit comme paradigme », dans L’Etat de droit dans le monde arabe, Paris, CNRS, 1997, p.30 (Etudes de l’Annuaire de l’Afrique du Nord), et J. CHEVALLIER, L’État de droit, op. cit.

7 M. T

ROPER, « Le concept d’Etat de droit », Droits, vol. 15, n° 2, 1992, p.55. 8

Ibid. ; W. LEISNER, « L’Etat de droit: une contradiction ? », dans Recueil d’études en hommage à Charles

Eisenmann, Paris, France, Cujas, 1975, pp.65‑79 ; L. HAMON, « L’Etat de droit et son essence », Revue française

de droit constitutionnel, n° 4, 1990, p.705.

9 P.M. E

ISEMANN, « L’Etat de droit dans les situations de crise », dans SOCIETE FRANÇAISE POUR LE DROIT INTERNATIONAL (S.F.D.I.) (éd.), L’État de droit en droit international: colloque de Bruxelles, Paris, Pedone, 2009, p.431.

10

L'emploi de la minuscule reflète la typologie onusienne, voir à ce sujet P. BODEAU-LIVINEC et S. VILLALPANDO, « La promotion de l’« état de droit » dans la pratique des Nations Unies », art. cit., et infra, Section 1, § 2, I., sur la spécificité du concept onusien d’état de droit. Etant donné que ce travail porte sur l’état de droit « onusien », la minuscule sera systématiquement employée, à l’exception du passage ci-dessous sur le concept doctrinal d’Etat de droit. Par ailleurs, dans de rares cas, la documentation onusienne dote l’expression d’une majuscule ; celle-ci sera alors conservée dans les citations.

11 Ce constat est abondant dans la littérature académique. J. Chevallier parle à propos de l’état de droit dans l’ordre international de « domination désormais sans partage », J. CHEVALLIER, « Les aspects idéologiques de l’Etat de droit », dans SOCIETE FRANÇAISE POUR LE DROIT INTERNATIONAL (S.F.D.I.)(éd.), L’État de droit en

droit international: colloque de Bruxelles, Paris, Pedone, 2009, p.77., voir aussi J. CHEVALLIER, « Etat de droit et relations internationales », Annuaire français des relations internationales, vol. 52, 2006, p.4.Dans la littérature anglophone, voir entre autres S. HUMPHREYS, Theatre of the Rule of Law: Transnational Legal

Intervention in Theory and Practice, Cambridge, Cambridge University Press, 2010, pp.22‑23 ; T. CAROTHERS, « The Rule of Law Revival », Foreign Affairs, vol. 77, n° 2, avril 1998, p.95 ; B. RAJAGOPAL, « Invoking the Rule of Law in Post-conflict Rebuilding: A Critical Examination », William & Mary Law Review, vol. 49, n° 4, 2008, pp.1347‑1376. ; C. MAY, The rule of law: the common sense of global politics, Cheltenham, Edward Elgar Publishing Limited, 2014, p.186 ; C. MAY, « The Rule of Law: What Is It and Why Is It ‘Constantly on People’s Lips’? », Political Studies Review, vol. 9, n° 3, septembre 2011, p.364.

12 M. D

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10

s’interrogeant sur la signification du concept et remarque alors : « [b]ien malin qui pourrait répondre à une question qui, déjà brouillée au plan national, l’est plus encore au plan international »13. Bien que le défi que cette auteure propose ait été relevé à plusieurs reprises14, le concept d’état de droit dans l’ordre international continue d’être caractérisé par un « flou (nullement artistique) »15. La tentation est donc grande de s’y confronter, et c’est de celle-ci que le présent travail découle. L’ambition est toutefois plus modeste et la recherche porte de façon plus circonscrite sur le concept onusien d’état de droit16, et plus précisément encore, sur la conception onusienne de l’état de droit dans les situations de conflit et de sortie de conflit. Si au terme du colloque de la S.F.D.I. consacré à « l’Etat de droit en droit international », P. M. Eisemann avance que, selon la définition retenue du concept, « il y aurait quelque contradiction à évoquer l'Etat/état de droit dans une situation de crise majeure, de rupture violente de l’ordre social »17, force est de constater que les Nations Unies mobilisent pourtant largement l’état de droit dans ces situations, ce qui n’est certes pas sans engendrer « quelque[s] contradiction[s] », qui justifient de consacrer un nouveau travail à la question18.

Pour présenter les contours et l’intérêt de cette recherche (Section 2), il est en premier lieu nécessaire de revenir sur le concept lui-même d’état de droit, ses (nombreuses) définitions, et son arrivée sur la scène internationale (Section 1). La complexité du projet de recherche qui commencera d’ores et déjà d’apparaître appellera alors une présentation des méthodes retenues pour l’aborder.

Seuil, 2004, pp.264‑265 (La couleur des idées). 13 Ibid., p.266.

14

Voir en particulier le colloque de la Société française de droit international de 2008 sur le sujet, SOCIETE FRANÇAISE POUR LE DROIT INTERNATIONAL (S.F.D.I.) (éd.), L’État de droit en droit international: colloque de

Bruxelles, Paris, Pedone, 2009. Voir aussi l’étude de J.-Y. MORIN, L’Etat de droit : émergence d’un principe du

droit international, Leiden, Nijhoff, 1996 (Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye).

15

M. FORTEAU, « Existe-t-il une définition et une conception univoques de l’Etat de droit dans la pratique des organisations régionales ou politiques ? », dans SOCIETE FRANÇAISE POUR LE DROIT INTERNATIONAL (S.F.D.I.) (éd.), L’État de droit en droit international: colloque de Bruxelles, Paris, Pedone, 2009, p.264. Voir précisément les conclusions dudit colloque desquelles il ressort que nombre de questions restent en suspens, si ce n’est que l’état de droit fait « bel et bien, partie du droit international », É. DAVID, « Conclusions générales », dans SOCIETE FRANÇAISE POUR LE DROIT INTERNATIONAL (S.F.D.I.) (éd.), L’État de droit en droit international:

colloque de Bruxelles, Paris, Pedone, 2009, p.444.

16 L’expression « état de droit » ou les références au « concept » doivent être comprises comme renvoyant à l’état de droit « onusien », et plus précisément à la conception onusienne de l’état de droit dans les situations conflictuelles et post-conflictuelles. Lorsqu’il sera question de l’état de droit en tant qu’élément de droit international au-delà de la sphère onusienne, cela sera explicitement indiqué.

17 P.M. E

ISEMANN, « L’Etat de droit dans les situations de crise », art. cit., p.432. 18

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11

Section 1. Définitions de l’état de droit national, international et

« onusien »

L’état de droit est généralement envisagé comme un concept juridique s’appliquant au plan interne. Il a toutefois progressivement été repris au plan international, sans que cela ne permette de clarifier le sens d’une notion déjà complexe– tout au contraire (§ 1). C’est dans ce contexte que l’Organisation des Nations Unies s’est très largement saisie du concept sans pour autant, là non plus, avoir proposé de définition ou de conception bien arrêtée de la notion (§ 2).

§ 1. Origines et portée de l’état de droit aux plans interne et international Si l’état de droit est initialement « un concept juridique au contenu éprouvé, poli par des générations de juristes » au plan interne (I), il bénéficie également « d’une consécration explicite sur le plan international »19 (II).

I. L’Etat de droit dans la doctrinale occidentale : une multiplicité d’approches et de définitions

L’« Etat de droit » a originellement émergé en tant que théorie ou concept de droit interne20

, et relève présentement du droit positif de nombre d’Etats21

. On peut faire remonter les prémices de sa conceptualisation à la période de la Grèce antique et d’Aristote22. La thèse de L. Heuschling, l’ouvrage de M.-L. Basilien-Gainche et d’autres études historiques situent l’émergence de cette notion dans les écrits de Kant23

, ensuite développée sous les plumes de

19 J. C

HEVALLIER, « Etat de droit et relations internationales », art. cit., p.4.

20 « [La notion d’état de droit] était restée pendant longtemps une notion de droit interne des Etats », M. K

AMTO,

Droit international de la gouvernance, Paris, Pedone, 2013, p.64. Voir aussi sur l’état de droit sur le plan interne,

J. CHEVALLIER, L’État de droit, op. cit. ; L. HEUSCHLING, État de droit, Rechtsstaat, rule of law, Paris, Dalloz, 2002 (Nouvelle bibliothèque des thèses) ; M.-L. BASILIEN-GAINCHE, État de droit et états d’exception: une

conception de l’État, Paris, Presses universitaires de France, 2013, pp.11‑23 (Fondements de la politique).

21 J.-Y. M

ORIN, L’Etat de droit : émergence d’un principe du droit international, op. cit., pp.130, 139, 150. 22 Ibid., p.25 ; S. C

HESTERMAN, « An International Rule of Law? », American Journal of Comparative Law, vol. 56, n° 2, avril 2008, pp.331‑362 ; B.Z. TAMANAHA, « The Rule of Law for Everyone? », Washington University in Saint Louis, 28 février 2003, p.11.

23 L. H

EUSCHLING, État de droit, Rechtsstaat, rule of law, op. cit., pp.51 et suivantes ; M.-L. BASILIEN-GAINCHE,

État de droit et états d’exception, op. cit., p.15. Voir également J. HABERMAS, La Paix perpétuelle: le

(12)

12

juristes allemands24, anglais25 et français26 au cours des XIXe et XXe siècles « pour répondre au besoin de systématisation et à l'impératif de fondation du droit public »27. L’Etat de droit constitue une théorie de l’« organisation politique et sociale »28

d’un Etat, et entretient dans cette perspective un lien conceptuel étroit, quoique débattu, avec la notion de démocratie29. Ses caractéristiques spécifiques et modalité concrètes de réalisation30, mais également les principes fondamentaux qu’il contient31, font l’objet d’infinis débats.

Très schématiquement, on peut distinguer deux approches principales de l’Etat de droit en tant que théorie de droit public, dites formelle et substantielle32. La version formelle de l’Etat de droit désigne la situation dans laquelle l’Etat agit au moyen du droit et est lui-même, ainsi

24 On peut citer ici, en ce qui concerne le concept de Rechtsstaat, F. J. Stahl, G. Jellinek, C. Schmitt, H. Kelsen (H. KELSEN, Théorie pure du droit, op. cit.). Pour une présentation des divers courants, voir O. JOUANJAN (éd.),

Figures de l’État de droit: le Rechtsstaat dans l’histoire intellectuelle et constitutionnelle de l’Allemagne,

Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2001 (Collections de l’Université Robert Schuman) ; M.-L. BASILIEN-GAINCHE, État de droit et états d’exception, op. cit., p.21.

25 A.V. Dicey étant presque unanimement reconnu comme le « père » de la rule of law, voir de nouveau L. HEUSCHLING, État de droit, Rechtsstaat, rule of law, op. cit., et plus spécifiquement sur la rule of law, voir parmi d’autres J. RAZ, « The Politics of the Rule of Law », Ratio Juris, vol. 3, n° 3, décembre 1990, pp.331‑339 ; T.

BINGHAM, The Rule of Law, Londres, Penguin, 2012 ; P. COSTA, D. ZOLO et E. SANTORO (éds.), The rule of law:

history, theory and criticism, Dordrecht, Springer, 2007 (Law and philosophy library) ; J. WALDRON, « The Concept and the Rule of Law », Georgia Law Review, vol. 43, n° 1, 2008, p.61.

26 Les principaux contributeurs au débat de la doctrine publiciste française sur l’Etat de droit sont : R. C

ARRE DE

MALBERG, Contribution à la théorie générale de l’État, Paris, Dalloz, 2003 (Bibliothèque Dalloz)., M. HAURIOU, Précis de droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 2015 (Bibliothèque Dalloz)., L. DUGUIT, Traité de droit

constitutionnel - Tome 2, Nabu Press, 2010. Voir P. RAYNAUD, Le juge et le philosophe, Armand Colin, 2008 (Le temps des idées) ; M.-L. BASILIEN-GAINCHE, État de droit et états d’exception, op. cit., pp.22‑23., et la thèse

de M. LOISELLE, Le concept d’Etat de droit dans la doctrine juridique française, Paris II, 2000. 27 J. C

HEVALLIER, L’État de droit, op. cit., p.13. 28 Ibid., p.51.

29 « Comme le souligne Habermas, l’Etat de droit apparaît comme une organisation politique et sociale destinée à mettre en œuvre les principes de la démocratie libérale » d’après J. CHEVALLIER, « Les aspects idéologiques de l’Etat de droit », art. cit., p.71. Voir sur ce point, parmi de nombreux auteurs, M. TROPER, « Le concept d’Etat de droit », art. cit., pp.59‑60 ; M.-L. BASILIEN-GAINCHE, État de droit et états d’exception, op. cit., pp.209 et suivantes ; E. MILLARD, « Etat de droit et démocratie », dans P. CABANEL et J.-M. FEVRIER (éds.), Questions de

démocratie, Presses universitaires du Mirail, 2000, pp.415‑443.

30 Sur l’idée que ce sont les modalités concrètes de réalisation de l’état de droit qui diffèrent en fonction des contextes, plus que le principe en lui-même, voir D. ZOLO (éd.), « The Rule of Law: a Critical Reappraisal », dans D. ZOLO (éd.), The rule of law: history, theory and criticism, Dordrecht, Springer, 2007, pp.3‑71 (Law and

philosophy library) ; M. KRYGIER, « False Dichotomies, True Perplexities, and the Rule of Law », dans A. SAJO

(éd.), Human Rights with Modesty: The Problem of Universalism, Springer, 2004, pp.251‑277 ; R. KLEINFELD

BELTON, « Competing Definitions of the Rule of Law: Implications for Practitioners », Carnegie Endowment for International Peace, 21 janvier 2005, disponible en ligne à l’adresse suivante :

http://carnegieendowment.org/2005/01/21/competing-definitions-of-rule-of-law-implications-for-practitioners/1uv5, consultée le 11 avril 2016. Ce point est développé infra, Chapitre III, Section 2, § 1, I. 31 «[E]ven at the level of ends, there is room for considerable disagreement », M. K

RYGIER, « The Rule of Law: An Abuser’s Guide », dans A. SAJÓ (éd.), Abuse: The Dark Side of Fundamental Rights, Utrecht, Eleven International Publishing, 2006, p.134.

(13)

13 que l’ensemble de la population, assujetti au droit33

. Les auteurs partisans de la version formelle, principalement anglo-saxons, envisagent le concept selon les qualités dont les règles de droit doivent être pourvues, telles que le fait qu’elles soient accessibles à la connaissance de tous, ou leur caractère général, prévisible ou stable34. J. Chevallier propose une classification proche, opérant une distinction entre « l'Etat qui agit au moyen du droit, en la forme juridique », c’est-à-dire la version formelle à proprement parler, et « l'Etat assujetti au droit » qu’il qualifie de version « matérielle »35. De ces conceptions se distingue la conception « substantielle », selon laquelle, en plus de l’aspect formel, le droit positif, auquel l’Etat est donc soumis, doit contenir certaines dispositions ayant principalement trait à la protection des droits fondamentaux, de sorte que la théorie de l’Etat de droit consacre et protège ces droits36.

Au vu du nombre presque infini de propositions doctrinales de définition, conceptualisation et concrétisation de la notion, il paraît préférable de s’en tenir au « noyau » du concept, plutôt qu’à une définition fermée qui chercherait à en marquer les frontières37

. Ce noyau, qui servira de curseur à l’aune duquel envisager la conception onusienne de l’état de droit, tient dans l’idée d’encadrement de la puissance publique par le droit afin d’en éviter l’exercice arbitraire38.

33

Voir entre autres, O. CORTEN, « L’Etat de droit en droit international : quelle valeur juridique ajoutée ? », dans SOCIETE FRANÇAISE POUR LE DROIT INTERNATIONAL (S.F.D.I.) (éd.), L’État de droit en droit international:

colloque de Bruxelles, Paris, Pedone, 2009, p.11. Dans la doctrine française récente, voir M. TROPER, « Le concept d’Etat de droit », art. cit.

34 J. Raz décrit ainsi les caractéristiques de la règle de droit : « all laws should be prospective, open, and clear;

laws should be stable; the making of laws should be guided, open, clear, and general rules », J. RAZ, « The Rule of Law and its Virtue », dans The authority of law: essays on law and morality, Oxford, Oxford University Press, 1979, p.219. Voir aussi, entre autres, W. WHITFORD, « The Rule of Law », Wisconsin Law Review, 2000, p.724. 35

J. CHEVALLIER, L’État de droit, op. cit., p.13.

36 Ce serait le « seul sens qui semble admis de nos jours : la limitation de l'Etat par les droits de l'homme » M. LOISELLE, Le concept d’Etat de droit dans la doctrine juridique française, op. cit., p.4.Voir aussi L. HEUSCHLING, État de droit, Rechtsstaat, rule of law, op. cit., p.15. ; « the legal system is entrusted with the

task of protecting individual rights, by constraining the inclination of political power to expand, to act arbitratily and to abuse its prerogatives », D. ZOLO (éd.), « The Rule of Law: a Critical Reappraisal », art. cit., p.19. 37 E. M

ORIN, Introduction à la pensée complexe, Paris, Édition du Seuil, 2005, p.98 (Essais 534). 38

Une très grande majorité des écrits sur l’état de droit reprennent cette idée fondamentale, nonobstant la diversité des approches et définitions possibles. La liste suivante est loin d’être exhaustive : « [le] concept d’Etat de droit, conçu à l’origine pour limiter les pouvoirs de l’Etat dans la sphère interne » SOCIETE FRANÇAISE POUR LE DROIT INTERNATIONAL (S.F.D.I.) (éd.), L’État de droit en droit international, op. cit., p.5 ; « les notions de

rule of law, de Rechtsstaat, d’Etat de droit (ou de prééminence du droit) et de due process of law, qui toutes

tendent à subordonner le pouvoir à des règles destinées à contenir sa puissance » J.-Y. MORIN, L’Etat de droit :

émergence d’un principe du droit international, op. cit., p.26 ; « [a]u cœur de l’Etat de droit, il y a donc

fondamentalement l’idée de limitation du pouvoir » J. CHEVALLIER, L’État de droit, op. cit., p.51 ; « [l]’accent mis sur l’exigence de respecter les libertés et sur l’impératif afférent de contrôler les actions de l’exécutif permet de cerner l’Etat de droit », M.-L. BASILIEN-GAINCHE, État de droit et états d’exception, op. cit., p.15., voir aussi p.12 ; « [l]a notion de Rechtsstaat, rule of law ou Etat de droit (…) renvoie toutefois à la soumission d’une société à la règle de droit et non à un pouvoir arbitraire », E. LAGRANGE et J.-M. SOREL (éds.), Droit des

organisations internationales, Paris, L.G.D.J., 2013, p.742 ; « [l]e respect de la légalité [est la] base en soi de

(14)

14

II. L’état de droit au plan international : un concept encore plus insaisissable

Désormais repris dans le discours des sujets de droit international et dans certains instruments internationaux39, l’état de droit, qui est dès lors « certainement un concept de droit international »40, a vocation à s’appliquer à la fois à l’organisation interne des Etats, mais aussi aux relations internationales41. Plus récemment, la question a été soulevée de son application aux organisations internationales, à la fois dans leurs relations avec les autres sujets de l’ordre international, et dans leur fonctionnement interne42

. La présente étude est consacrée à l’état de droit comme « élément » de droit international appliqué au plan national. La question de la transposition possible du concept d’état de droit aux relations internationales

la fonction du droit international, La Découverte, 1995, p.49 ; « le concept d’Etat de droit suppose, on le sait,

une limitation des pouvoirs étatiques », N. HAJJAMI, « La Commission de Venise et la construction d’Etat : l’exemple du Monténégro », dans SOCIETE FRANÇAISE POUR LE DROIT INTERNATIONAL (S.F.D.I.) (éd.), L’État de

droit en droit international: colloque de Bruxelles, Paris, Pedone, 2009, p.214, etc. Dans la littérature

anglophone également, « the rule of law was primarily about forcing a ruler to bend to the dictates of the law

and thus freeing citizens from arbitrary abuse and the fear of power. (…) Indeed, we could argue that this is the most universally acceptable understanding of the rule of law », R. KLEINFELD BELTON et K. NICOLAIDIS, « Can a Post-colonial Power Export the Rule of Law? », dans G. PALOMBELLA et N. WALKER (éds.), Relocating the

rule of law, Oxford - Portland, Hart Publishing, 2009, p.151. Dans le même sens, la « rule of law » serait définie

par l’« opposition to the arbitrary exercise of power », M. KRYGIER, « The rule of law : legality, teleology, sociology », dans G. PALOMBELLA et N. WALKER (éds.), Relocating the rule of law, Oxford - Portland, Hart, 2009, p.57. C’est ainsi que R. Bachand résume également le concept d’Etat de droit dans les sociétés occidentales, R. BACHAND, Les subalternes et le droit international: une critique politique, Paris, Pedone, 2018, p.210.

39 « La notion est reconnue par plusieurs traités et actes internationaux, notamment au niveau européen, tel le préambule de la Convention européenne des droits de l’homme », E. LAGRANGE et J.-M. SOREL (éds.), Droit des

organisations internationales, op. cit., p. 742. Pour une liste d’instruments conventionnels « affirmant le principe

d’Etat de droit », voir J.-Y. MORIN, L’Etat de droit : émergence d’un principe du droit international, op. cit., p.198. A noter cependant que l’auteur ne se fonde pas sur la recherche de l’expression même d’ « état de droit », mais sur certains principes rattachés à la notion, de sorte que les termes « état de droit » ne figurent pas dans les instruments cités.

40 É. D

AVID, « Conclusions générales », art. cit., p.437.

41 Ce sujet fait l’objet d’une abondante littérature. Voir entre autres, J. C

HEVALLIER, « Etat de droit et relations internationales », art. cit. ; M. KOSKENNIEMI, « The Politics of International Law », European Journal of

International Law, vol. 1, n° 1, janvier 1990, pp.4‑32 ; N.S. MARSH, « The Rule of Law as a Supranational Concept », dans A.G. GUEST (éd.), Oxford essays in jurisprudence, Oxford, Oxford University Press, 1961 ; A. WATTS, « The International Rule of Law », German Yearbook of International Law, vol. 36, 1993, pp.15‑45 ; S.

CHESTERMAN, « An International Rule of Law? », art. cit. ; N. HACHEZ, « What Elements of the Rule of Law Can Be Put to Use at International Level », Revue Belge de Droit International, vol. 46, 2013, p.307 ; R. MCCORQUODALE, « Defining the international rule of law: defying gravity ? », International & Comparative

Law Quarterly, vol. 65, n° 02, avril 2016, pp.277–304 ; M. KANETAKE et A. NOLLKAEMPER (éds.), The rule of

law at the national and international levels: contestations and deference, Oxford - Portland, Hart Publishing,

2016 (Studies in international law) ; J. WALDRON, « The Rule of International Law », Harvard Journal of Law &

Public Policy, vol. 30, n° 1, septembre 2006, pp.15‑30. 42 Voir, entre autres, P. B

(15)

15

ou de son application aux organisations internationales ne sera donc pas abordée.

En tant qu’élément de droit international, le concept d’état de droit est caractérisé par l’indétermination la plus complète, à la fois en ce qui concerne son contenu43

et en ce qui concerne son statut dans l’ordre juridique international. Sur ce dernier point, à défaut de pouvoir procéder dès l’introduction générale aux développements nécessaires à l’identification de l’objet juridique44, on se contentera de s’accorder sur la terminologie

scientifique adéquate. Bien qu’il soit possible d’effectuer des distinctions entre « notion » et « concept » en droit45, le choix est fait ici, vu les doutes persistants quant à l’opportunité d’une telle distinction46

, et étant donné que l’état de droit peut correspondre aussi bien à l’un qu’à l’autre de ces outils de la pensée47, d’utiliser les deux termes de façon interchangeable,

comme l’ont d’ailleurs fait de nombreux auteurs48

.

Quant au contenu du concept en tant qu’élément de droit international, il n’en existe pas de définition bien arrêtée, que ce soit dans un instrument international49 ou dans la jurisprudence50. Les rares tentatives de définition de cette notion sont régionales51 et/ou

43

On entend par là les notions, principes ou modalités de mise en œuvre concrète qu’il recouvre. 44 Infra, Chapitre VIII, Section 2, § 1, I, 2.

45 Voir X. B

IOY, « Notions et concepts en droit », dans G. TUSSEAU (éd.), Les notions juridiques, Paris, Economica, 2009, pp.21‑53 (Collection Etudes juridiques 31) ; J.-L. BERGEL, Théorie générale du droit, 5e édition, Paris, Dalloz, 2012, p. 228 (Méthodes du droit). Pour une approche d’inspiration hégélienne de cette distinction, voir F.-P. BENOIT, « Notions et concepts, instruments de la connaissance juridique », dans Mélanges

Peiser, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 1995, pp.23‑38.

46 « L’opposition entre notion et concept apparaît d’emblée relative, l’usage peu fixé, dans la mesure où la question même de l’intérêt de leur distinction n’est pas tranchée. On emploiera indistinctement l’un comme l’autre pour désigner toute forme d’abstraction, de représentation mentale, sans que cela brouille le message » X. BIOY, « Notions et concepts en droit », art. cit., p.22. ; « entre concept et notion, le flou le plus total règne sur une éventuelle distinction », E. PIC, « Faire de la terminologie en droit ? », Cahiers du CIEL, 2007-2008, pp.57‑69.

47 « Aussi peut-on, à la suite de nombreux auteurs, attribuer le qualificatif de « notion » à un terme de droit positif à propos duquel une systématisation doctrinale a pu établir l’implication d’un certain nombre d’effets de droit réguliers et celui de « concept » à un terme de science du droit issu d’une construction qui décrit le fonctionnement de « notions » et par là même peut être amené à en guider le fonctionnement effectif », X. BIOY, « Notions et concepts en droit », art. cit., p.39 ; J.-L. BERGEL, Théorie générale du droit, op. cit., p.228.

48 Par exemple dans la plupart des contributions au colloque de la S.F.D.I. sur le sujet. 49

Même constat chez O. CORTEN, « L’Etat de droit en droit international : quelle valeur juridique ajoutée ? »,

art. cit., p.23.

50 Voir l’ensemble de la recherche de J.-Y. M

ORIN, L’Etat de droit : émergence d’un principe du droit

international, op. cit., et particulièrement pp.347-348. Bien qu’il ne puisse bien sûr pas s’agir d’un recueil

exhaustif, on peut toutefois noter, dans le même sens, l’absence du concept de l’index des Grandes décisions de

la jurisprudence internationale (J.-L. ITEN et al., Les grandes décisions de la jurisprudence internationale, Paris,

Dalloz, 2018 (Grands arrêts)).

(16)

16

informelles52. En droit international positif, il n’existe donc pas de définition officielle de l’état de droit, lacune que les Nations Unies n’ont pas formellement comblée53

.

§ 2. Conceptualisation de l’état de droit « onusien »

Il n’existe pas de définition formelle de l’état de droit au sein des Nations Unies, bien que le Secrétaire général et plusieurs autres organes onusiens54 aient proposé une conceptualisation de la notion (II). Au-delà de cette indétermination de sens, c’est la possibilité même d’un concept « onusien » d’état de droit – et donc de l’objet de recherche lui-même – qu’il est nécessaire d’établir (I).

I. L’existence d’un concept d’état de droit proprement onusien

La démonstration de l’existence d’un état de droit « onusien » tient à deux aspects : un aspect institutionnel relatif au rôle des Nations Unies dans le développement d’un concept international, et de l’état de droit en particulier (1), et un aspect plus conceptuel portant sur ce que peut bien être l’état de droit sui generis, formé au sein des Nations Unies, étant donné les origines nationales et le caractère évanescent au plan international de cette notion (2).

52 Ainsi de l’adoption en 2016 par la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) du Conseil de l’Europe, d’une « liste des critères de l’état de droit », « Liste des critères de l’Etat de droit », 711, Commission européenne pour la démocratie par le droit, mars 2016, disponible en ligne à l’adrese suivante : http://book.coe.int/eur/fr/droit-constitutionnel/7018-pdf-liste-des-criteres-de-l-etat-de-droit.html, consultée le 8 février 2017. A signaler également, le colloque de Chicago de 1957, la Conférence de Varsovie et le Congrès de New Delhi de 1959, organisés par l’Unesco et réunissant la doctrine pour une tentative de conceptualisation commune de la Rule of Law, dont les travaux sont analysés par N.S. MARSH, « The Rule of Law as a Supranational Concept », art. cit. Les réflexions de ces trois événements internationaux débouchèrent sur la conclusion que « [t]he Commission’s project could not even pretend that is was seeking to isolate the

principles common to all constitutions, if such exist. It assumed rather that the Rule of Law, with which it was concerned, must serve the ends of a free society », ibid., p.240.

53 Au demeurant, la Commission du droit international ne s’intéresse pas directement au concept d’état de droit, voir ses rapports à l’Assemblée générale, dont A/71/10 p.395, A/70/10 p.148, et A/63/10, le seul dans lequel elle développe sa conception du principe, mais uniquement appliqué à la sphère internationale, pp.375-376. Afin d’alléger des notes de bas de page déjà volumineuses du fait du nombre important de documents cités, les documents onusiens sont présentés uniquement par leur cote et, pour les rapports du Secrétaire général pourvus de deux cotes, uniquement par la cote assignée par le Conseil de sécurité. L’ensemble de la documentation onusienne est référencé dans la bibliographie proposée en fin de ce travail (où sont indiquées le cas échant les deux cotes attribuées aux rapports du Secrétaire général).

(17)

17

1. Le développement du concept d’état de droit au sein des Nations Unies

L’existence d’un concept onusien d’état de droit découle du triple rôle normatif55

, conceptuel56 et opérationnel57 de l’Organisation des Nations Unies. L’ONU en tant qu’instance de dialogue permet aux Etats membres d’exprimer leurs positions ce qui peut amener à la formation de normes ou, dans le cas présent, du concept58. Dans le même temps, elle participe elle-même à faire émerger et à préciser le contenu de la notion par l’adoption de résolutions sur le sujet à l’Assemblée générale59

, et/ou par la mention de l’état de droit dans les résolutions adoptées par le Conseil de sécurité, par exemple – mais pas uniquement – lors de la création d’opérations de paix60

. Ainsi, d’après J. Alvarez, « [t]he General Assembly has elevated rule of law promotion to UN Charter status on more tha[n] one occasion »61. Cette pratique normative est alimentée par un important travail conceptuel mené en particulier par

55 Voir, sur la fonction normative de l’ONU, R. H

IGGINS, The Development of International Law Through the

Political Organs of the United Nations, Oxford, Oxford University Press, 1963 ; E. YEMIN, Legislative Powers

in the United Nations and Specialized Agencies, Leiden, Sijthoff, 1969 ; P. SZASZ, « General law-making processes », dans C. JOYNER (éd.), The United Nations and international law, Cambridge, Cambridge University Press, 1997, pp.27‑64 ; G. ULFSTEIN, « Chapitre 23 - Les activités normatives de l’organisation internationale », dans E. LAGRANGE et J.-M. SOREL (éds.), Droit des organisations internationales, Paris, L.G.D.J., 2013, pp.737‑765 ; S. CHESTERMAN et al., Law and practice of the United Nations: documents and commentary, 2e

édition, Oxford, Oxford University Press, 2016 ; J.E. ALVAREZ, The impact of international organizations on

international law, Leiden - Boston, Brill/Nijhoff, 2017 (Collected courses of the Xiamen Academy of

International law). Et, plus spécifiquement, M. VIRALLY, « La valeur juridique des recommandations des organisations internationales », Annuaire français de droit international, vol. 2, n° 1, 1956, pp.66‑96 ; M. VIRALLY, L’Organisation mondiale, Paris, Armand Colin, 1972 ; J. CASTANEDA, « Valeur juridique des résolutions des Nations Unies », Recueil des cours de l’Académie de droit international, vol. 129, 1970, pp.205‑332 ; G. ABI-SAAB, « Les résolutions dans la formation du droit international du développement », dans

Le développement du droit international : réflexions d’un demi-siècle, Genève, Graduate Institute Publications,

14 décembre 2015, pp.137‑144 (International) ; A. PELLET, « La formation du droit international dans le cadre des Nations Unies », European Journal of International Law, vol. 6, n° 1, 1995, pp.401‑425.

56 Pour certains auteurs, la création et le développement d’«ideas and concepts are (…) the most important

contribution of the United Nations », R. JOLLY, L. EMMERIJ et T.G. WEISS, UN ideas that changed the world, Bloomington, Indiana University Press, 2009, p.8 (United Nations intellectual history project), voir aussi A. PELLET, « La formation du droit international dans le cadre des Nations Unies », art. cit., p.403.Sur ce sujet, O. SPIJKERS, The United Nations: the evolution of global values and international law, Cambridge - Portland, Intersentia, 2011 (School of Human Rights Research Series 47).

57

P.-F. LAVAL, « Chapitre 24 - Les activités opérationnelles, du conseil à l’administration internationale de territoire », dans E. LAGRANGE et J.-M. SOREL (éds.), Droit des organisations internationales, Paris, L.G.D.J., 2013, pp.766‑799 ; I. JOHNSTONE, « Law-Making Through the Operational Activities of International Organizations », George Washington International Law Review, vol. 40, n° 1, 2008, pp.88‑122.

58 Ce qui fut notamment le cas à l’occasion de la réunion de haut niveau de l’Assemblée générale sur l’état de droit en 2012, A/67/PV.3, A/67/PV.4, A/67/PV.5, et au Conseil de sécurité, voir entre autres S/PV.6347, S/PV.5052, etc. Voir la bibliographie.

59 Les Nations Unies étant alors un « lieu de convergence et l’instrument de la constitution de nouvelles majorités normatives », P.-M. DUPUY, « Le droit des Nations Unies et sa pratique dans la jurisprudence de la Cour internationale de Justice », dans La pratique et le droit international: colloque de Genève, Paris, Pedone, 2004, p.150. Voir les dernières résolutions en date de l’Assemblée générale sur « L’état de droit aux niveaux national et international » soit A/RES/71/148, A/RES/70/118, A/RES/69/123, A/RES/68/116, etc.

60 « Since 2001, every UN mandated peacekeeping mission has been charged with a rule of law mandate », J.E. ALVAREZ, The impact of international organizations on international law, op. cit., p.399.Voir annexe 1.

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18

le Secrétaire général62 et repris dans les résolutions ou déclarations du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale.

Parallèlement, les Nations Unies travaillent à l’édification63 de l’état de droit au sein des Etats membres (ainsi que dans les relations internationales, ce que l’on exclut cependant de la présente étude) dans nombre de contextes, et particulièrement dans les situations de conflit et sortie de conflit. On observe alors un double mouvement d’enrichissement du concept, sur un plan normatif et conceptuel d’une part, et sur un plan concret d’autre part, qui interagissent de sorte que le concept d’état de droit a gagné en importance et que son contenu s’est étoffé et précisé dans la sphère onusienne. Mais le constat de ce développement n’enlève rien au caractère intrigant et mystérieux d’un concept proprement « onusien » d’état de droit.

2. Les spécificités du concept « onusien » d’état de droit

Emanation de concepts nationaux eux-mêmes complexes64, l’état de droit est, dans l’ordre international, le fruit d’un nécessaire « syncrétisme »65 opérant une « synthèse »66 entre les différents concepts nationaux. M. Forteau explique que

« l’Etat de droit étant d’abord apparu, historiquement, dans le cadre politique interne, on ne peut espérer élaborer une conception internationale qu’en partant de cet acquis, mais […] ce dernier s’étant consolidé dans un contexte autre que celui de l’ordre international (essentiellement dans les pays occidentaux), le risque de voir la greffe échouer est assez élevé. Cela est d’autant plus vrai que l’Etat de droit au sens interne est une notion floue et polysémique. L’élaboration d’un concept national en est d’autant plus périlleuse, quand elle ne se révèle pas purement artificielle »67

.

La question qui anime cette étude n’est toutefois pas celle du succès ou non de ladite « greffe », étant donné que, d’une part, il est manifeste que l’état de droit a bien « pris » dans le discours international vu la grande mobilisation dont il fait l’objet, et que d’autre part, on

62

A travers ses rapports et déclarations, le Secrétaire général « construi[t] une doctrine des Nations Unies », A.-L. VAURS-CHAUMETTE, « Article 98 », dans J.-P. COT, A. PELLET et M. FORTEAU (éds.), La Charte des Nations

Unies: commentaire article par article, Paris, Economica, 2005, p.2044. Voir pour ce qui est de l’état de droit le

rapport S/2004/616 proposant une définition du concept, analysé infra, II, 2. 63

Le terme édification désigne l’ensemble de la pratique poursuivant l’objectif d’établir, mettre en place, renforcer, soutenir l’état de droit.

64 « [L]e concept d'Etat de droit a été forgé dans des cadres juridiques nationaux », O. C

ORTEN, « L’Etat de droit en droit international : quelle valeur juridique ajoutée ? », art. cit., p.12. Voir supra, § 1, I.

65D. M

OCKLE, « L’État de droit et la théorie de la rule of law », Les Cahiers de droit, vol. 35, n° 4, 1994, p.826. 66

« [L]’« Etat de droit », le « rule of law »et autres expressions en usage dans l’ordre interne (…) se sont détachées peu à peu des contextes nationaux et tendent à acquérir un sens autonome, propre à l’ordre international », J.-Y. MORIN, L’Etat de droit : émergence d’un principe du droit international, op. cit., p.28. 67

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19

écarte de la présente recherche la question de l’appropriation du concept d’état de droit par les Etats concernés par sa promotion. En revanche il reste indispensable, pour que l’étude proposée ait un quelconque intérêt, de montrer qu’un concept autonome a bien émergé au sein de la sphère onusienne68. Un passage par la terminologie onusienne est à cet égard nécessaire, dans l’idée que le mot désignant le concept sert d’indicateur de l’existence de ce dernier : si « l’unité sémantique ne garantit pas l’unité conceptuelle (…) l’harmonisation des terminologies est un premier pas, important, vers l’harmonisation du fond, des idées »69

.

Dans cette perspective, au premier abord, le doute est de mise. Pour ne citer qu’un exemple, alors que la version anglaise de l’état de droit, la « rule of law », figure dans le préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme70, l’« état de droit »en est absent, la version française mentionnant à la place « un régime de droit »71. Et jusqu’aux années 2000, la documentation onusienne manifeste une déconcertante diversité pour désigner le concept. Alors que l'on retrouve ça et là l’expression « rule of law » dans les résolutions ou débats de l'Assemblée générale ou du Conseil de sécurité, l’expression « état de droit » est en très nette minorité, pour ne pas dire inexistante72, par rapport à d'autres traductions telles que « légalité »73, « règne du droit »74, « respect du droit »75, ou encore « primauté du droit »76.

Mais trois arguments permettent de voir, derrière cette confusion, l’existence d’une notion onusienne spécifique. D’une part, la régularité de l'emploi de « rule of law » dans la documentation de langue anglaise77 constitue un argument dans le sens d'une relative uniformité du concept. D’autre part, les Conventions de Vienne sur le droit des traités, également utiles pour interpréter d’autres instruments internationaux78

, rappellent que « [l]es

68

Ibid., p.266.

69

L. HEUSCHLING, « Le regard d’un comparatiste : l’Etat de droit dans et au-delà des cultures juridiques nationales », art. cit., p.44.

70 « Whereas it is essential (…) that human rights should be protected by the rule of law », Déclaration universelle des droits de l’homme, A/RES/217 A (III), préambule.

71 « Considérant qu'il est essentiel que les droits de l'homme soient protégés par un régime de droit », ibid. 72 En effet, sur l'ensemble des documents consultés avant 1990, l'expression « état de droit » apparaît seulement en 1989 dans un rapport du Secrétaire général au Conseil Economique et Social, E/CN.4/1987/9. Les recherches dans les bases documentaires de l’ONU révèlent le même constat, bien qu’une recherche exhaustive ne soit possible, la numérisation des documents datant d’avant 1993 n’ayant pas été achevée au moment de la recherche. 73 S/RES/161, A/PV.1702.

74 A/PV.1696 ; A/RES/2625 (XXV). 75 A/PV.1696.

76

A/40/PV.48, A/44/191.

77 Il n’existe à notre connaissance, dans la documentation parcourue, aucun cas où le terme « état de droit » serait employé dans une version originale française et ne serait pas traduit par « rule of law » dans la version anglaise. 78

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20

termes d’un traité sont présumés avoir le même sens dans les divers textes authentiques »79

. « C’est ainsi qu’on en est venu, dans les actes et instruments internationaux, aux Nations Unies notamment, à établir une relation d’équivalence entre Etat de droit, rule of law, Estado de derecho, gospodstvo prava, Fa Zhi ou Siyadat-ul-Qanoun »80. Et en effet, on observe une tendance à l’harmonisation, à tout le moins de la terminologie française, et à une « homogénéisation du vocabulaire »81 en général, par exemple dans l'intitulé des points à l'ordre du jour au Conseil de sécurité et à l’Assemblée générale, dans les titres des résolutions de l'Assemblée générale et dans les rapports annuels du Secrétaire général sur la question. Cette « stabilisation de l'expression »82indique une harmonisation conceptuelle83. Enfin, la typologie onusienne d’après laquelle, contrairement au concept doctrinal, l’« état de droit » s’écrit sans majuscule à « Etat », reflète le caractère syncrétique et sui generis de la notion84

.

Ces éléments engagent donc à considérer qu’il existe bien un concept onusien d’état de droit au sein des Nations Unies, et c’est ce concept que la présente étude cherchera à mieux comprendre. Sur un plan méthodologique, le parti est donc pris de relativiser les divergences terminologiques dans la documentation onusienne en tenant pour équivalentes les différentes expressions coexistant pour désigner le concept85 qui incluent, en anglais, l’expression « rule of law », et, en français, en plus de l’expression « état de droit », les termes « légalité » ou « principe de légalité », « règne du droit », « respect du droit » et « primauté du droit », qui sont les plus fréquents dans la documentation onusienne86.

comme les engagements unilatéraux ou encore les résolutions du Conseil de sécurité », O. CORTEN,

Méthodologie du droit international public, Bruxelles, Université de Bruxelles, 2009, p.217.

79

Conventions de Vienne sur le droit des traités (1969) et sur le droit des traités entre États et organisations internationales ou entre organisations internationales (1986), art. 33 § 3 commun.

80 J.-Y. M

ORIN, L’Etat de droit : émergence d’un principe du droit international, op. cit., p.28. 81

Ibid.

82

P. BODEAU-LIVINEC et S. VILLALPANDO, « La promotion de l’« état de droit » dans la pratique des Nations Unies », art. cit., p.82.

83 De nouveau, L. H

EUSCHLING, « Le regard d’un comparatiste : l’Etat de droit dans et au-delà des cultures juridiques nationales », art. cit., p.44.

84 Voir sur ce point, P. B

ODEAU-LIVINEC et S. VILLALPANDO, « La promotion de l’« état de droit » dans la pratique des Nations Unies », art. cit.

85 Voir également le commentaire de l’article 33 des Conventions de Vienne : « [l]’unicité du traité, en tant qu’elle transcende la pluralité des textes, constitue le principe fondamental à partir duquel se développe toute la logique de l’article 33 », et «[l]e postulat de l’unicité du traité (…) commande de ne pas lire toute différence de texte – d’un point de vue formel – comme entraînant une divergence de sens », dans O. CORTEN et P. KLEIN

(éds.), Les conventions de Vienne sur le droit des traités: commentaire article par article, Bruxelles, Bruylant, 2006, pp.1378 et 1382.

86

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21

II. L’état de droit « onusien » : un concept indéterminé

Si l’existence d’un concept onusien d’état de droit est désormais avérée en dépit de variations de forme, le doute persiste quant au fond. Le concept d’état de droit ne dispose dans le discours international d’aucune définition formelle (1). Cette lacune n’a été qu’imparfaitement comblée par les entités onusiennes, malgré les tentatives du Secrétaire général en ce sens (2).

1. L’absence de définition de l’état de droit par les Etats membres

L’état de droit reste une notion presque aussi indéterminée dans la sphère onusienne qu’elle l’est généralement en droit international. Cette indétermination n’est pas fortuite, au contraire. Les Etats ont bien conscience du fait que l’état de droit est dépourvu d’une définition commune puisqu’ils en ont souligné l’absence dans maintes interventions à l’Assemblée générale87. Parfois présentée comme un manque à combler88, cette absence apparaît plus souvent comme le résultat d’une irréconciliable diversité des approches nationales89

. En

87 Ainsi, l’Allemagne estime qu’« aucune définition de l’état de droit (Rule of law, Rechtsstaat) ne semble pouvoir s’appliquer à tous les systèmes juridiques et à toutes les traditions juridiques », A/62/121, p.2.Voir aussi, parmi de nombreuses autres, les déclarations de la Malaisie pour qui « [m]ême s’il n’existe pas de définition unique de l’état de droit, certains éléments fondamentaux peuvent être recensés », A/67/PV.5, p.11, ou de la République de Corée qui rappelle que « [n]ul n’ignore les divergences de vues et de conceptions qui existent relativement à la notion d’état de droit, définitions formalistes et définitions de fond comprises », A/67/PV.5 p.12. Au sein de la Sixième Commission, peu de temps après la mise à l’agenda de ce point, la Suisse notait de même que « le concept d’état de droit est interprété de plusieurs manières différentes », A/C.6/62/SR.14 par. 32, constat qui perdurait encore lors des plus récents débats. Ainsi, « [m]algré l’attachement apparemment universel à l’état de droit, des désaccords persistent quant à la définition du concept » relevaient le Saint Siège, A/C.6/69/SR.8 par. 11, ainsi que le représentant indien, A/C.6/69/SR.7, par. 53, ou le représentant de Singapour, A/C.6/69/SR.5 p.9.

88 « Le Bélarus préconise depuis longtemps l’élaboration d’un cadre conceptuel clair contenant une définition consensuelle et non ambiguë de l’état de droit. L’élaboration d’un tel cadre est nécessaire avant que l’on puisse prendre des mesures concrètes. (…) Il faut faire une distinction claire entre l’état de droit et les concepts connexes tels que les droits de l’homme et l’accès à la justice », A/C.6/69/SR.5 p.5. De même Singapour estime que « [s]’il n’existe pas de définition simple ou universellement acceptée de la notion, il importe de recenser au moins les éléments communs aux diverses conceptions de l’état de droit », A/C.6/69/SR.5 p.9. Voir également, lors de son inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée, la position de l’Egypte selon laquelle « [i]l faut aussi que les États Membres de l’Organisation s’entendent sur la définition de l’état de droit avant d’aborder les aspects de fond liés à la mise en œuvre », A/62/121, p.14 et en tant que « patrie du droit international », des Pays-Bas, qui « constatent qu’il n’existe pas au niveau international de consensus sur ce qu’est l’état de droit ni de définition de base de cette notion. Il serait utile, à leur avis, de parvenir à un accord au niveau international sur la définition de l’état de droit », A/62/121 p.30.

(22)

22

majorité, les Etats refusent explicitement de s’engager dans un processus définitionnel90

qui leur semble excessivement ardu91, ou superflu92.

En conséquence, aucune définition de l’état de droit n’a été formellement adoptée par les organes onusiens intergouvernementaux, bien que l’Assemblée générale comme le Conseil de sécurité aient ponctuellement attribué des éléments de contenu, essentiellement concrets, à la notion. Si le rôle du Conseil n’est sans doute pas de formuler une définition de l’état de droit, l’Assemblée générale en revanche aurait pu pallier cette lacune, en particulier à l’occasion de la « réunion de haut niveau » tenue en 2012 sur l’« état de droit aux niveaux national et international ». La déclaration de l’Assemblée générale adoptée à cette occasion a plutôt opté pour une formulation qui s’approche d’une définition mais n’en constitue pas explicitement une. En effet, alors qu’elle affirme que « toutes les personnes, institutions et entités publiques ou privées, y compris l’État lui-même, sont tenues de respecter les lois justes et équitables et ont droit sans distinction à l’égale protection de la loi », la déclaration fait précéder cette formulation des termes « [n]ous considérons également que »93, comme s’il s’agissait là non pas d’une définition du concept d’état de droit, déjà mentionné plus haut dans la résolution, mais d’une situation entretenant un rapport conceptuel avec l’état de droit, sans pour autant le circonscrire exactement94.

2. Les propositions onusiennes de définition de l’état de droit

Le Secrétaire général a proposé puis étoffé une « définition » de l’état de droit avec l’ambition

A/C.6/69/SR.8 p.2. 90

Pour l’Australie au nom de la Nouvelle-Zélande, du Canada et de l’Australie, « [l]a Commission doit donc s'abstenir de débattre de la portée ou de la définition de l'état de droit », A/C.6/61/SR.6 par. 93.

91 Voir la contribution de la France : « [l]a France estime cependant qu’au vu des concepts théoriques complexes mis en jeu par cette notion, dont l’affirmation a reçu des formes variables selon les systèmes juridiques, il serait opportun d’aborder ce thème de manière pragmatique et dans un objectif opérationnel. Une telle démarche présenterait l’avantage d’éviter à la fois d’entrer dans des discussions abstraites sur l’essence de « l’état de droit » », A/62/121 p.22.

92

« La Finlande salue le rapport du Secrétaire général intitulé « Unissons nos forces : renforcement de l’action de l’ONU en faveur de l’état de droit ». Le regroupement en trois volets des activités de l’ONU en faveur de l’État de droit est un bon point de départ mais il ne faut pas en tirer une définition qui limiterait nos travaux dans ce domaine », A/62/121, p.18.

93 A/RES/67/1 par. 2. 94

« [T]he Assembly’s periodic resolutions on the “rule of law” lack a concrete definition of the term.

Undoubtedly the Assembly has found it difficult to come up with a consensus definition », J.E. ALVAREZ, The

impact of international organizations on international law, op. cit., p.163. Pour d’autres il s’agit cependant d’un

« defining paragraph », N. ARAJÄRVI, « The Rule of Law in the 2030 Agenda », Hague Journal on the Rule of

(23)

23

d’établir « une compréhension commune des concepts clefs »95

. Dans un rapport datant de 2004, le Secrétaire général a ainsi présenté le « concept d’« état de droit » ou de « légalité » », comme

« un principe de gouvernance en vertu duquel l’ensemble des individus, des institutions et des entités publiques et privées, y compris l’État lui-même, ont à répondre de l’observation de lois promulguées publiquement, appliquées de façon identique pour tous et administrées de manière indépendante, et compatibles avec les règles et normes internationales en matière de droits de l’homme (…) »96

.

Cette proposition appelle plusieurs remarques tant sur sa portée que sur son contenu. En premier lieu, le « statut » de cette conceptualisation de l’état de droit est lui-même incertain. Si certains auteurs97, entités onusiennes98, et praticiens sur le terrain99 estiment qu’il s’agit bien là d’une « définition », des formules plus prudentes100

telles que « description »101, ont également été utilisées pour désigner les propos du Secrétaire général. Ce dernier reconnaissait lui-même, sans toutefois faire référence au système onusien, mais plutôt à la doctrine, qu’« [i]l y a lieu de noter toutefois que la définition ci-dessus de l'état de droit n'en est qu’une parmi bien d'autres »102. Le paragraphe en question n’est d’ailleurs pas présenté

comme une définition dans le rapport même. En outre, cette description de l’état de droit figure dans un rapport portant sur « la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d’un conflit », ce qui pose la question de la portée de cette conception, bien que la formulation elle-même ne comporte aucune référence à un contexte spécifique, et n’ait pas été interprétée comme limitée à un tel contexte103. Enfin, le statut de l’objet lui-même

95 S/2004/616 par. 5. 96 S/2004/616 par. 6. 97 P. B

ODEAU-LIVINEC et S. VILLALPANDO, « La promotion de l’« état de droit » dans la pratique des Nations Unies », art. cit. ; L. EJELÖV et R.Z. SANNERHOLM, « The UN Global Focal Point for Police, Justice and Corrections is at the crossroads », Stockholm, Folke Bernadotte Academy, mai 2015, p.6.

98 Notamment dans le rapport du Secrétaire général « Rendre la justice : programme d’action visant à renforcer l’état de droit aux niveaux national et international », A/66/749. Voir aussi les « Indicateurs de l’état de droit des Nations Unies - Guide d’application et outils de gestion du projet » du Département des opérations de maintien de la paix et du Haut-Commissariat pour les droits de l’homme, 2012, p.16, et le Cadre stratégique intégré des Nations Unies pour Haïti 2013-2016 p.16.

99 Sur la base des entretiens menés avec le personnel de la Minustah et d’autres entités onusiennes en juin-juillet 2016 à Port-au-Prince, Haïti.

100 Ainsi, le Secrétaire général a « sans doute esquissé une définition du concept » pour P. B

ODEAU-LIVINEC et S. VILLALPANDO, « La promotion de l’« état de droit » dans la pratique des Nations Unies », art. cit., p.92.

101 Voir l’article « Qu’est-ce que l’état de droit ? » sur le site internet de l’ONU « L’Organisation des Nations Unies et l’Etat de droit » consacré à la question, disponible en ligne à l’adresse suivante : https://www.un.org/ruleoflaw/fr/what-is-the-rule-of-law/, consultée le 22 septembre 2016. De même, les termes de « formulation » ou « description » sont préférés à celui de « definition », qui n’apparaît par exemple pas dans l’analyse proposée par T. FITSCHEN, « Inventing the Rule of Law for the United Nations », Max Planck yearbook

of United Nations law, vol. 12, 2008, pp.347‑380. 102 E/CN.15/2006/3 par. 6.

103

« [T]he Secretary-General, in his 2004 concept paper, does not differentiate between two groups of states –

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