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Les missions « Etat de droit » de l’Union européenne

Chapitre III – Construction de l’état de droit répressif

Section 1. L’institutionnalisation de l’état de droit répressif dans les situations conflictuelles et post-conflictuelles

I. L’édification de l’état de droit répressif par les acteurs non-onusiens

1. Les missions « Etat de droit » de l’Union européenne

L’Union européenne participe à la promotion et à l’édification de l’état de droit dans différents contextes, en son sein mais aussi à travers son action extérieure826, y compris dans le cadre de ses activités visant à garantir la paix dans les Etats tiers. Elle a à cet effet créé à plusieurs reprises des missions de paix agissant dans des situations de conflit et de post-conflit827, généralement dans le cadre de partenariats avec l’ONU828

. Trois de ces missions

825 Pour une comparaison de la conception de l’état de droit dans et hors de l’Union européenne, et de la pratique extérieure de l’Union européenne orientée vers un but de paix ou vers un but de développement, voir L. PECH, « The EU as a global rule of law promoter: the consistency and effectiveness challenges », Asia Europe Journal, vol. 14, n° 1, mars 2016, pp.14 et suivantes ; E. VANSPRANGHE, « Duality of the Rule of Law in International Organizations’ Practice », dans M. BELOV (éd.), Rule of Law at the Beginning of the Twenty-First Century, La Haye, Eleven International Publishing, 2018, pp.147 et suivantes.

826 L’article 21 du Traité sur l’Union européenne pose que l’« action de l'Union sur la scène internationale repose sur les principes qui ont présidé à sa création, à son développement et à son élargissement et qu'elle vise à promouvoir dans le reste du monde: la démocratie, l'État de droit (…) », § 1, et que l’« Union définit et mène des politiques communes et des actions et œuvre pour assurer un haut degré de coopération dans tous les domaines des relations internationales afin: (…) b) de consolider et de soutenir la démocratie, l'État de droit, les droits de l'homme et les principes du droit international », § 2 (b).

827 Voir de façon générale A. BAZIN et C. TENENBAUM (éds.), L’Union européenne et la paix : l’invention d’un

modèle européen de gestion des conflits, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2017.

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sont spécifiquement intitulées « Etat de droit » : la « mission « Etat de droit » menée par l’Union européenne en Géorgie » dite EUJUST-THEMIS, créée en 2004829

, la « mission intégrée « Etat de droit » de l’Union européenne pour l’Irak » dite EUJUST LEX, créée en 2005830, et la « mission « Etat de droit » menée par l’Union européenne au Kosovo » dite EULEX KOSOVO, créée en 2008831. Dans les trois cas, l’objectif général des missions « Etat de droit » s’avère être la « stabilité » de l’Etat concerné, supposant en négatif que la mission est justifiée par l’instabilité ou l’existence d’une crise affectant le pays832

. Il est ainsi rappelé que « l’UE est prête à aider le Kosovo à progresser vers une stabilité durable »833, et qu’elle « pourrait contribuer utilement à la reconstruction et à l’émergence d’un Iraq [sic] stable, sûr et démocratique »834. Le mandat et la structure de ces missions révèlent que les conceptions onusienne et de l’Union européenne de l’état de droit dans les situations de conflit et de sortie de conflit sont fort similaires.

Les missions « Etat de droit » de l’Union européenne ont en effet pour mandat principal de soutenir le fonctionnement de la justice pénale dans les Etats concernés. La mission de l’UE en Géorgie a ainsi pour mandat de

« contribuer à l’élaboration d’une stratégie gouvernementale horizontale guidant le processus de réforme pour tous les acteurs du secteur de la justice pénale concernés, comportant notamment la création d’un mécanisme de coordination et de fixation des priorités pour la réforme de la justice pénale »835.

Pour ce faire, ses partenaires privilégiés au sein des institutions géorgiennes sont les suivants : « cabinet du Premier ministre, ministère de la justice, Conseil national de sécurité, Conseil de la justice, bureau du procureur général, bureau du Défenseur public »836.

La mission en Irak doit quant à elle « répond[re] aux besoins urgents du système de justice pénale iraquien » en fournissant une formation qui « vise à améliorer les moyens d’action, la coordination et la collaboration des différentes composantes du système de justice pénale

préambule (1) ; 2008/124/PESC du Conseil de l’Union européenne, préambule (1). 829

Créée par l’action commune 2004/523/PESC du Conseil de l’Union européenne. 830 Créée par l’action commune 2005/190/PESC du Conseil de l’Union européenne. 831 Créée par l’action commune 2008/124/PESC du Conseil de l’Union européenne.

832 Si la Géorgie est considérée comme « stable » aux yeux de l’Union européenne, cette dernière estime toutefois que la situation « pourrait se dégrader, ce qui pourrait avoir des répercussions graves sur la sécurité régionale et internationale », action commune 2004/523/PESC du Conseil de l’Union européenne, préambule. 833 Action commune 2008/124/PESC du Conseil de l’Union européenne, préambule, (7).

834 Action commune 2005/190/PESC du Conseil de l’Union européenne, préambule, (3), voir aussi (8). 835

Action commune 2004/523/PESC du Conseil de l’Union européenne, art. 2 § 1. 836Ibid., art. 3 § 1 b).

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iraquien »837. Ces différentes composantes font référence « essentiellement aux services de police, à l’appareil judiciaire et au système pénitentiaire »838

.

Le mandat de la mission au Kosovo est plus détaillé. Il consiste à

« aide[r] les institutions du Kosovo, les autorités judiciaires et les organismes chargés de l'application des lois à progresser sur la voie de la viabilité et de la responsabilisation et à poursuivre la mise sur pied et le renforcement d'un système judiciaire multiethnique indépendant, ainsi que de services de police et de douanes multiethniques »839.

La structure de la mission de l’Union européenne au Kosovo reflète les institutions nationales avec lesquelles elle est appelée à travailler, et inclut « une composante policière », « une composante judiciaire, détachée le cas échéant auprès des ministères compétents, des tribunaux, des services du cadastre et des services pénitentiaires du Kosovo », et « une composante douanière »840. Il est donc demandé aux trois missions « Etat de droit » de l’Union européenne de travailler avec et de renforcer les institutions de ce que les Nations Unies désignent comme la chaîne pénale, soit les services de la police, de la justice et le système pénitentiaire.

Le mandat de la mission au Kosovo précise en outre les fonctions que celle-ci est amenée à remplir ou à garantir. Ainsi, la mission

« assure le maintien et la promotion de l'État de droit, de l'ordre et de la sécurité publics ;

contribue à faire en sorte que tous les services chargés du maintien de l'État de droit au Kosovo (…) soient libres de toute interférence politique ;

veille à ce que les affaires de crimes de guerre, de terrorisme, de criminalité organisée, de corruption, de crimes interethniques, de délinquance financière ou économique et d'autres infractions graves fassent dûment l'objet d'enquêtes, de poursuites, de décisions judiciaires et de sanctions conformément au droit applicable (…) ;

contribue au renforcement de la coopération et de la coordination tout au long du processus judiciaire, en particulier dans le domaine de la criminalité organisée (…) »841.

Il est donc manifeste que la mission « Etat de droit » de l’Union européenne au Kosovo cherche non seulement à renforcer les institutions de la chaîne pénale, mais qu’il s’agit bien par ce biais d’assurer leur fonction répressive. La similarité entre les approches onusienne et

837

Action commune 2005/190/PESC du Conseil de l’Union européenne, art. 2 § 1. 838Ibid., art. 2 § 2.

839 Action commune 2008/124/PESC du Conseil de l’Union européenne, art. 2. 840

Ibid., art. 5 § 3 b), c) et d).

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de l’Union européenne ne s’arrête pas là puisqu’il s’avère que c’est le fait d’« assure[r] le maintien et la promotion de l'État de droit, de l'ordre et de la sécurité publics » qui, dans la pratique de l’Union européenne comme dans la pratique onusienne, prend le pas sur le soutien et le renforcement des institutions nationales. La mission de l’Union européenne au Kosovo peut en effet, aux fins de préserver l’Etat de droit, l’ordre et la sécurité publics, « modifi[er] ou annul[er] des décisions opérationnelles prises par les autorités kosovares compétentes »842. Ainsi, de façon plus nette encore que le mandat de la Minusca l’autorisant à assurer elle-même le maintien de l’ordre à travers la mise en œuvre des mesures temporaires d’urgence843

, le mandat d’EULEX au Kosovo consiste bien à garantir un état de droit répressif associé à l’ordre et à la sécurité publics au détriment, le cas échéant, de l’autonomie des institutions publiques concernées. Enfin, on constate également que l’Union européenne s’intéresse particulièrement à ce qui pourrait constituer des « menaces » pour l’ordre international844, insistant par exemple sur la lutte contre « les affaires de crimes de guerre, de terrorisme, de criminalité organisée » au Kosovo845.

L’Union européenne, qui a bien avant les Nations Unies fait le choix d’intituler trois de ses missions de paix « Etat de droit », fait donc montre d’une pratique très similaire consistant essentiellement à renforcer les institutions de la chaîne pénale, voire à assurer une fonction répressive dans les pays concernés846. D’autres acteurs internationaux reprennent également des éléments de cette approche, quoiqu’en général de façon moins marquée.

2. L’édification de l’état de droit dans les situations conflictuelles et

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