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Chapitre 4 Le contenu

3. Système (cosmogonie, cosmologie et personnages)

3.3. Les têtes, le dieu de la vérité, IÉOU – Ioaieōthōuikhōlmiō, les Iéous et les

3.3.4. Les trésors

Plus importantes sphères célestes du traité, situés tout juste à l’extérieur des lieux du Père (B9 [47],23-24), les trésors sont les demeures des Iéous, lieux que doit traverser l’âme dans sa remontée vers le Dieu inaccessible. Les trésors sont certainement un des lieux les plus originaux de la topographie céleste du Livre du grand discours mystérique445. Les trésors, comme les Iéous, sont au nombre de soixante (B9 [47],5.6.7). La page B1 (39) du traité débute en effet abruptement avec des instructions données par Jésus à ses disciples

443 Pour plus de détails, voir p. 137-139. 444 Voir ci-dessus, p. 133.

445 Des trésors (ⲁϩⲱⲣ) sont mentionnés dans deux passages lacuneux du Livre sacré du grand Esprit invisible

(NH IV 56,15; 60,17). Il est difficile d’établir s’il s’agit de trésors dans le sens où l’entendent les Livres de Iéou. Dans l’Enseignement d’autorité, l’âme est décrite comme s’empressant de monter « dans son trésor (ⲡⲉⲥⲁϩⲟ), là où est son intellect (nou`~) » (NH VI 28,24-26). Si le contexte est différent de celui du Livre du grand discours mystérique, l’image se rapproche beaucoup de ce qu’on trouve dans notre traité (peut-être est- il plus probable qu’il s’agisse d’une paraphrase de Mt 6,20-21 [Lc 12,33-34], qui substitue le cœur pour l’intellect; dans l’Évangile selon Marie BG 10,15-16, on lit également : « là où est l’intellect, là est le trésor » [sur le sujet, voir les deux appendices de Pasquier, 2007, p. 101-104]). La Pensée première à la triple forme dit du Fils parfait qu’à « ceux qui sont dans les trésors cachés (ⲛⲉϩⲱⲣ ⲉⲧϩⲏⲡ), il leur dit les mystères (musthvrion) ineffables » (NH XIII 37,16-17). La terminologie de ce passage est très proche de celle du Livre du grand discours mystérique. On ne peut bien sûr oublier la Pistis Sophia, qui emploie abondamment le terme avec le même sens que notre traité (les références seraient trop nombreuses). Dans sa notice sur Basilide et parlant des germes du monde, Hippolyte invoque à deux reprises un trésor (Réfutation de toutes les hérésies VII,I,22). Il mentionne même un peu plus loin le « Trésor du (Dieu) non existant » (VII,I,26). Quant à être placé à la tête des trésors, une formule semblable se trouve dans le Livre des secrets de Jean, où l’Esprit est décrit comme étant « la tête de tous les éons » (BG 26,9-10). Les Extraits de Théodote qualifient le Christ de « tête » (42,2), allant même jusqu’à en faire « la tête de toutes choses » (43,2).

pour la traversée du cinquante-quatrième trésor et leur périple se conclut avec leur sortie du soixantième trésor, au terme duquel Jésus annonce à ses disciples qu’il leur a révélé « la disposition de tous les trésors et de tous ceux qui seront en eux, du trésor du dieu de la vérité, dont le nom est Ioaieōthōuikhōlmiō, jusqu’au trésor de Ōazaēzō » (B5 [43],16-21). Comme nous venons de le voir, Ioaieōthōuikhōlmiō est le nom sous lequel IÉOU, le dieu de la vérité, est connu dans les trésors.

Les trésors sont aussi représentés figurativement dans le Livre du grand discours

mystérique. Notre traité a conservé vingt-sept diagrammes, numérotés de un à vingt-huit446, qui semblent représenter la configuration des trésors. Les trésors sont constitués de cinq carrés concentriques, auxquels il faut ajouter un carré qui n’est généralement pas fermé, ou qui se referme parfois sur le premier carré, et qui supporte les trois portes d’entrée du trésor. Au centre du trésor se trouve son père, un Iéou dont le nom est donné. Six lieux entourent donc ce Iéou. Ce sont les « six lieux l’entourant » mentionnés lors de la traversée des trésors par Jésus et ses disciples : « Par la suite, nous sommes arrivés au cinquante- huitième trésor, appartenant à Eōzeōza, moi et ma compagnie qui m’entoure. Je dis : Écoutez donc maintenant au sujet de la manière dont on dispose de ce trésor et de tous ceux qui sont en lui, six lieux l’entourant » (B3 [41],1-4). Cinq de ces lieux sont aussi appelés « rangs thésauriques » (ⲧⲁⲝⲓⲥ ⲑⲏⲥ ), à la suite d’une question des disciples à Jésus lorsque ces derniers se trouvent au cinquante-cinquième trésor : « De fait, au quantième rang sommes-nous arrivés dans les paternités? » (B1 [39],11-13). Jésus répond : « Voici le deuxième rang thésaurique des (rangs) extérieurs, deux rangs paternels étant à l’intérieur, un étant au milieu et deux étant à l’extérieur » (B1 [39],13-16). L’identité de ces rangs est difficile à établir hors de tout doute, mais, d’après la description qui est donnée, les deux rangs extérieurs seraient les deux premiers que rencontre celui qui remonte, puis viendrait le rang du milieu, et enfin les deux rangs intérieurs, avant l’arrivée au lieu qui n’est pas appelé rang, à savoir celui qu’occupe le Iéou du trésor.

Les autres parties d’un trésor sont expliquées par Jésus lui-même : « Ces deux traits qui sont ainsi <tir[és]> à côté de ses lieux, , ce sont la racine des lieux dans lesquels il se dresse. Ces deux autres traits, dans lesquels se trouvent ces alpha, selon cette manière :

deux en haut et deux en bas, ce sont les chemins de marche447 lorsque tu te rendras auprès de lui, le père, à son lieu et à l’intérieur. Quant à ces alpha, ce sont les voiles448 qui sont tirés sur lui » (B4 [42],4-12). À ces éléments, on doit ajouter les trois portes d’entrée et les trois portes de sortie du trésor. Les portes sont gardées chacune par un gardien (ⲫⲩⲗⲁⲝ), dont le nom est donné. Au-dessus de chacune des portes d’entrée et en-dessous de chacune des portes de sorties se trouve dans le manuscrit une lettre. Ces lettres correspondent généralement à celles qui sont en exposant au-dessus des noms des gardiens des portes. Il s’agit-là, fort probablement, d’une manière d’indiquer au lecteur à quelle porte était affecté chaque gardien449. Il ne faut pas faire grand cas, à notre avis, du fait que ces lettres ne correspondent pas toujours les unes aux autres. En effet, on peut penser que ce genre de détails pouvait facilement figurer parmi les premières victimes de la transmission manuscrite.

447 On trouve également ces « chemins de marche » dans l’hymne de la version longue du Livre des secrets de

Jean (NH II 30,14 : ⲙⲁ ⲧ ⲛⲓⲙ ⲙⲟⲟϣⲉ; NH IV 46,27-28 : ϩ ⲏ ⲛⲓⲙ [ⲙⲙⲟⲟϣⲉ]). Cf. Crum, 1939, 204a; le substrat grec pourrait-il être oJdoiporiva?

448 Les voiles sont, bien entendu, intimement liées au voile du Temple de Jérusalem. En ce sens, on y fait

allusion dans l’Évangile selon Philippe (NH II 69,35-36; 70,1-2; 85,4-5). En II 84,23-29, on affirme que « le voile cachait comment Dieu administrait la création. Mais si le voile se déchire et que ce qui était à l’intérieur apparaît, alors on abandonnera cette maison déserte, bien plus, on la [dé]truira ». L’Hypostase des archontes raconte comment un voile existe entre le monde d’en haut et les éons d’en bas, et comment une ombre se trouve en dessous du voile (NH II 94,9-11). Un peu plus loin, l’auteur situe le voile au-dessus du septième ciel, séparant ce qui est en haut de ce qui est en bas (NH II 95,20-22). Dans la Sagesse de Jésus Christ, le Sauveur répond à Marie que le Père de l’univers créa ce voile entre les immortels et ceux qui vinrent après (NH III 114,19-24; BG 118,7-11; 119,1). La Paraphrase de Sem fait allusion au voile du Temple (NH VII 58,26-27), tout comme l’Exposé du mythe valentinien (NH XI 25,32). Dans la Pistis Sophia, on trouve maintes références aux voiles, qui font partie du paysage supracéleste (entre autres 1; 14; 29-31; 84; 86; 93; 95; etc.). Dans l’Anonyme de Bruce, un voile entoure les sept hebdomades comme une tour (24,28-32).

449 Dans notre texte copte, nous avons reproduit ce qu’on trouve dans le manuscrit. Comme ces lettres ne

faisaient pas partie du nom des gardiens, nous les avons placées dans notre traduction entre parenthèses, à la fin des noms de ces derniers.

Dans chaque trésor se trouve donc un Iéou, qui en est le père et dont le nom est donné dans son « lieu ». À chacun de ces Iéous correspond un « caractère » (ⲭⲁⲣⲁⲕⲧⲏⲣ), représenté figurativement sous le trésor450. Ce caractère propre à chacun des Iéous peut s’entendre de deux façons. Le caractère est à la fois le signe gravé, sur du bois, de la pierre ou du métal, et l’empreinte laissée par ce signe, celle d’une étampe par exemple. Au sens figuré, c’est le signe distinctif, la marque et le caractère extérieur propres à un Iéou, ce qui correspond assez bien avec ce qu’on retrouve dans le traité.

Les trésors sont peuplés par toute une série d’émanations. Le processus qui mène à l’emplissage des trésors est décrit en détail par des formules répétées dans toutes les représentations des trésors qui ont été conservées. La puissance du Père brille et le Iéou du trésor fait émaner douze émanations. Ces dernières remplissent les trésors en en formant

450 Les caractères des Iéous font penser à ce qu’on trouve dans l’Anonyme de Bruce, qui qualifie la douzième

profondeur (bavqo~), le Père éternel, de sans-caractère (ⲁⲧⲭⲁⲣⲁⲕⲧⲏⲣ) dans lequel tous les caractères se trouvent (14,20-22).

2 rangs extérieurs

1 rang au milieu 2 rangs intérieurs

Lieu du Iéou

Les 3 portes d’entrée

Les 3 portes de sortie a a a a a a a a a a Les voiles Les voiles

Les lettres en exposant, qui servent à identifier les gardiens

ⲁ ⲃ ⲅ

ⲇ ⲉ ⲍ Les lettres en exposant, qui servent à identifier les gardiens La racine du trésor

L’anatomie d’un trésor

Les chemins de marche Les chemins de marche

des rangs (ⲧⲁⲝⲓⲥ)451, aussi appelés lieux (ⲧⲟⲡⲟⲥ). Les noms de ces émanations sont donnés dans les diagrammes, en haut à droite, après les noms des trois gardiens des portes situées à l’entrée. Dans chaque rang, ajoute Jésus, se trouvent douze têtes, portant le nombre des entités présentes dans les rangs des trésors à cent quarante-quatre452. D’ailleurs, les noms qui se trouvent dans les rangs et qui appartiennent d’abord aux douze émanations émises par le Iéou, sont aussi les noms des douze têtes. C’est de cette façon, à tout le moins, que nous comprenons l’obscure formule ⲉⲡⲉ ⲣⲁⲛ ⲙⲟⲟⲩ ⲛⲉ ⲡⲙⲛⲧⲥⲛⲟⲟⲩⲥ, que nous traduisons par : « et ce même nom (celui de l’émanation du diagramme) appartient aux douze (les douze têtes qui se trouvent dans le rang de l’émanation) ». À chacune de ces douze émanations et de leurs douze têtes s’ajoutent six gardiens par trésor, trois à l’entrée et

451 Ces rangs dans lesquels se trouvent des émanations font penser à l’attribution des rangs aux archontes par

le Logos dans le Traité tripartite (NH I 99,19-25) : « Le Logos connaît le commun amour du pouvoir des deux ordres. Aux uns et aux autres, il accorda ce qu’ils désiraient. Il attribua à chacun le rang (tavxi~) qui lui revenait pour qu’il en exerçât le commandement ». Dans la même veine, le Traité tripartite ajoute un peu plus loin que « ce que produisit ce serviteur (celui de l’Archonte) <est> ordre, menace [et] crainte, de sorte que ceux qui furent ignorants . [ . . . pussent] tenir droit <le> rang (tavxi~) à la garde duquel [ils] furent [préposés] » (NH I 103,6-11). Les Extraits de Théodote font eux aussi allusion au rang. Ils affirment que : « lors donc que la Mère entrera au Plérôme, avec le Fils et les semences, le Lieu, à ce moment-là, recevra le pouvoir de la Mère et le rang (tavvxi~) que celle-ci occupe actuellement » (34,2). Les rangs sont présents dans la Pistis Sophia (entre autres 1; 12-13; 86; 90; 95-96; etc.) où ils sont liés aux positions occupées par les archontes ou par les âmes une fois sorties du corps.

452 La multiplication des personnages dans cette partie rappelle ce qu’Irénée raconte au sujet de Basilide et de

ses disciples, à savoir comment « ils inventent des noms qu’ils disent être ceux des Anges; ils prétendent que tels sont dans le premier ciel, tels autres dans le second, et ainsi de suite; ils s’évertuent de la sorte à exposer les noms des Archontes, des Anges et des Vertus de leurs 365 prétendus cieux » (Contre les hérésies I,24,5; cf. Épiphane, Panarion 24,1,7; 2,2). Irénée ridiculise un peu plus loin la multiplication presque infinie des éons par ses adversaires (II,16,4). Dans sa notice sur les simoniens, Épiphane affirme que Simon parle de cieux variés, décrit des puissances pour chacun et donne à ces puissances des noms étranges, ce qui n’est pas sans rappeler les nombreux noms de puissances que contient notre traité. Il raconte sensiblement la même chose pour les nicolaïtes (Panarion 25,3,5) et pour les phibionites (26,9,6-9). Personne ne peut d’ailleurs être sauvé à moins d’apprendre cette doctrine mystique (Panarion 21,4,3). Sur la symbolique des nombres (douze émanations, douze têtes, soixante trésors), Hippolyte révèle à ses lecteurs que les pythagoriciens divisaient tout en douze, trente et soixante (VI,II,34).

trois à la sortie, dont les noms sont aussi donnés453. Même si le traité n’est pas explicite à ce sujet, les trésors apparaissent être disposés de façon concentrique454.

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