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Chapitre 2 L’histoire de la recherche

2. Codicologie du codex Bruce

2.1. L’état du manuscrit et les limites de notre enquête

Acquis par la Bibliothèque bodléienne d’Oxford en 1843, le codex Bruce est aujourd’hui dans un piteux état, imputable à la première intervention des autorités de la Bodléienne sur le manuscrit, réalisée entre son acquisition et 1882299. Les folios du codex Bruce furent alors enchassés entre deux feuilles de papier calque, et le résultat fut à son tour placé dans des cadres de carton. Les cadres ainsi obtenus ont été reliés plus tard, en 1886, sous forme de livre. Cette situation rend aujourd’hui très difficile toute enquête papyrologique et codicologique sur le codex Bruce. Ce que nous avons sous les yeux en feuilletant le manuscrit n’est pas le papyrus lui-même, mais bien le papier calque, dont l’état ne cesse d’empirer300. Il est donc très difficile d’observer la direction des fibres. Nous en somme en effet réduits à observer l’empreinte laissée par les fibres dans le papier calque.

298 Robinson, 1978, p. 26. 299 Voir p. 24-25.

300 Cette dégradation se constate facilement en comparant les négatifs sur verre à ce qu’on peut voir

aujourd’hui sur place.

La contiguïté des fibres de papyrus

Début du rouleau Fin du rouleau 2 1 1 2 3 3 4 4 5 5

Il est aussi quasiment impossible de relever les kolleseis ou les fibres qui seraient contiguës d’une partie d’un cahier à l’autre partie correspondante. L’observation de la contiguïté des fibres se trouve également entravée par le fait qu’on a relié les cadres de carton sous forme de livre. Compte tenu de l’état du manuscrit, il est enfin difficile de tirer quoi que ce soit de la dimension des pages301. Seul un accès direct au papyrus, sans le filtre du papier calque ou les contraintes de manipulation qu’entraîne la reliure, permettrait de procéder à un examen codicologique et papyrologique approfondi. Comme nous n’avons pu noter clairement ni les kolleseis, ni les fibres contiguës du manuscrit, les conclusions auxquelles nous sommes parvenus demeureront donc provisoires et limitées.

Tout au long de cette enquête, nous nous référerons à deux personnages. Le premier est Charles Godfrey Woide, qui est, rappelons-le, le premier savant qui eût accès au codex Bruce. Nous ne reviendrons pas sur les détails qui entourent ce fait, ni sur les motivations de Woide302. Rappelons seulement qu’au printemps de 1776, Woide se fait prêter le codex Bruce. Il le copie et fait précéder sa copie diplomatique d’un Pro Memoria, dans lequel il décrit le manuscrit et son état au moment où il entreprend son travail. Woide copie le manuscrit tel qu’il l’a sous les yeux, sans égard à l’ordre des pages et sans chercher non plus à résoudre les problèmes qui se posent à lui303. Cette copie et ce Pro Memoria sont donc les plus anciens témoignages de l’ordonnancement primitif des folios du manuscrit. Comme beaucoup de questions demeurent quant à cet ordonnancement, Woide sera d’une aide précieuse au cours de notre recherche.

Le second personnage auquel nous nous reférerons est Carl Schmidt, le dernier éditeur des traités du codex Bruce304. Schmidt est aussi le grand réorganisateur des folios du manuscrit. Lorsqu’il entreprend son travail, Schmidt a devant lui un volumineux manuscrit qui est incomplet et dont les pages sont dans un désordre relatif. Comme les folios ne portent aucune trace de pagination, Schmidt fait d’abord appel à des critères matériels pour distinguer les deux manuscrits réunis dans le codex, et jusqu’à lui

301 En effet, plus on se rapprochait du milieu du cahier, plus les pages étaient habituellement étroites, ce qui

peut donner un indice sur la place des folios dans un cahier (voir Robinson, 1978, p. 26).

302 Sur Woide, voir p. 12-15.

303 Il en a noté un ou deux en marge; voir les Notes philologiques et textuelles de 82,19. 304 Sur Schmidt, voir p. 40-45.

confondus, à savoir celui des Livres de Iéou et celui de l’Anonyme de Bruce305. Une fois les deux manuscrits différenciés, Schmidt procède au reclassement des folios pour chacun. Il divise ce qui reste matériellement des Livres de Iéou en six sections distinctes, et ce qui reste de l’Anonyme de Bruce en deux. Comme Schmidt ne réalise aucune enquête papyrologique ou codicologique sur le manuscrit, il ordonne ces sections les unes par rapport aux autres non pas selon des critères matériels, mais en fonction de leur contenu. Ces sections, six pour les Livres de Iéou et deux pour l’Anonyme de Bruce, sont séparées les unes des autres par un nombre indéterminé de pages manquantes.

En cela, son travail est remarquable, mais on peut soulever deux problèmes que posent les résultats de son analyse. Dans un premier temps, si on peut difficilement reprocher à Schmidt de ne pas avoir fait d’enquête papyrologique ou codicologique306, force est d’admettre qu’il s’agit là d’une lacune importante qu’il fallait pallier. Deux séjours à Oxford nous ont permis d’attaquer ce problème307. Dans un deuxième temps, Schmidt repagine le manuscrit de façon continue, sans rendre compte de façon claire du nombre de pages qui peut manquer entre ce que nous appelons les différentes sections du manuscrit. En consultant l’édition de Schmidt, il est difficile de se faire une idée de l’état réel de ce que nous avons aujourd’hui entre les mains. Il est important de préciser ici que nous ne remettons pas en question la séquence des pages établie par Schmidt à l’intérieur de chacune des sections, sauf pour un folio308. L’analyse du contenu du traité permet en effet de confirmer l’ordre auquel il est arrivé. Ce à quoi nous nous intéressons plutôt est l’agencement de ces morceaux les uns par rapport aux autres : appartiennent-ils aux deux seuls traités réunis dans le codex? Combien de pages peuvent manquer entre ces sections? À ce titre, l’étude de la direction des fibres pourra nous éclairer partiellement. Pour les fins de notre présentation, nous analyserons séparemment les six sections des Livres de Iéou et

305 Voir p. 41.

306 Bien que de telles enquêtes fussent virtuellement inexistantes à la fin du dix-neuvième ou au début du

vingtième siècle, quelques chercheurs de cette époque, dont Carl Schmidt, ont tout de même noté au fil de leurs études certaines observations de nature papyrologique et codicologique (voir Schmidt, 1905a, p. 3-4, où ce dernier arrive à la conclusion que les Acta Pauli du papyrus d’Heidelberg proviennent d’un codex de papyrus d’un seul cahier). Dans les faits, il faut attendre Hugo Ibscher et ses travaux sur les papyri de Berlin (entre autres manichéens; voir Ibscher, 1937) pour que la valeur de telles enquêtes soit reconnue et que leur usage se répande. Sur Ibscher et sa contribution à nos connaissances sur les codices de papyrus, voir Robinson, 1978, p. 33-43.

307 Nous y avons séjourné du 29 septembre au 1er octobre 2009, puis du 23 au 27 mai 2010. 308 Voir p. 117-118.

les deux de l’Anonyme de Bruce. Nous reprendrons, pour des raisons pratiques et aux fins de notre enquête, la numérotation des pages du manuscrit établie par Carl Schmidt dans son édition de 1892, à la fois pour les Livres de Iéou et pour l’Anonyme de Bruce.

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