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Chapitre 2 L’histoire de la recherche

1. Prolégomènes à l’étude du manuscrit

1.1. La confection d’une feuille de production (kollema/kollemata)

Nous ignorons encore la façon précise dont les anciens fabriquaient les feuilles primitives de papyrus servant à la production de rouleaux. Jusqu’à ce jour, nous n’avons en effet aucune description ancienne, même égyptienne, qui donnerait le détail de cette confection. Le seul et le plus ancien témoignage à ce sujet est celui de Pline l’Ancien (23- 79 de notre ère), dans son Histoire naturelle (XIII,74-82). Malheureusement, ce que raconte Pline soulève de nombreux problèmes, tant sur le plan du contenu que pour l’établissement du texte lui-même. Notre intention ici n’est pas de discuter ces problèmes, encore moins de les résoudre275. Si notre connaissance en la matière est loin d’être parfaite, le témoignage de Pline, l’analyse des feuilles de papyrus qui sont parvenues jusqu’à nous, ainsi que les efforts modernes pour recréer, avec les techniques anciennes, le processus de fabrication d’une feuille de papyrus276 nous donnent suffisamment d’informations pour les besoins de notre présentation et de notre enquête.

La plante de papyrus possède une tige triangulaire et peut atteindre plusieurs mètres de hauteur. Sur l’une de ses faces triangulaires, de fines et longues tranches de la tige étaient arrachées ou découpées. Ces bandes étaient alors disposées les unes à côté des autres sur une surface lisse et dure, ni trop près les unes des autres de sorte qu’elles se seraient superposées, ni trop éloignées de peur qu’une fois sèches, il y ait des interstices entre celles-ci. Par la suite, une autre couche de bandes était placée à angle droit sur la première. Ces deux bandes étaient alors pressées, peut-être avec un maillet, les sucs de la plante agissant comme une colle naturelle pour les unir. Une fois sèche, la feuille de papyrus, qu’on appelle kollema, grec kovllhma (pl. kollemata, grec kollhvmata, qui signifie « le collage », « ce qui est collé »), avait donc des fibres horizontales sur un côté et des fibres verticales sur l’autre277. Bien que personne, à notre connaissance, ne l’ait encore suggéré, l’artisan qui employait cette méthode devait aboutir à une immense feuille de

275 Pour un aperçu des discussions, voir Lewis, 1974, p. 34-69; Bülow-Jacobsen, 1976; Hendriks, 1980;

Turner, 1980; Lewis, 1981; Hendriks, 1984; Menci, 1988; Lewis, 1989, p. 15-33; Lewis, 1992, p. 311-313; et Łukaszewicz, 1997.

276 Les deux principales enquêtes sont celles de Hassan Ragab, du Caire (voir Ragab, 1980 et Ragab, 1988) et

Corrado Baile de Syracuse (voir Basile, 1977 et Basile, 1998). Bien que les deux aient réussi à obtenir un papyrus « utilisable », aucun n’a apparemment réussi à se rapprocher de la qualité atteinte par les anciens (c’est, du moins, l’opinion de Bülow-Jacobsen, 2009, p. 8).

production carrée278. En effet, on peut difficilement penser qu’on se donnait la peine d’utiliser de longues bandes de papyrus pour un côté, et des bandes plus courtes pour l’autre. Il est à notre avis plus raisonnable de croire que, pour gagner du temps et éviter le gaspillage, des bandes de longueur plus ou moins égale étaient utilisées et que la feuille de production carrée était ensuite coupée à l’horizontale279.

Les dimensions des feuilles de production dépendaient évidemment de l’artisan ainsi que du matériau qu’il avait à sa disposition. La feuille la plus longue parmi celles recensées par Turner est de 46 cm280, mais il est rare, affirme-t-il, de rencontrer des feuilles plus longue que 37 cm à l’époque romaine. La longueur moyenne semble plutôt tourner autour de 28-30 cm. Pour ce qui est de la largeur des kollemata, Pline l’Ancien donne les précisions suivantes, en fournissant la liste et la « marque de commerce » des feuilles : « le meilleur papier a 13 doigts281 de large282, le hiératique deux de moins283, le fannien, 10284, l’amphithéatrique, un de moins285, le saïtique moins encore, et d’ailleurs il ne supporte pas le maillet; quant à l’emporétique, il ne dépasse pas 6 doigts286 »287. Pendant longtemps, les papyrologues sont restés fidèles à Pline, considérant comme standard pour l’époque romaine une largeur oscillant autour de 20 cm ou moins288. À partir du quatrième siècle de notre ère, on observe cependant un grand changement : les kollemata commencent à être beaucoup plus larges, certains dépassant même un mètre. Peut-être faut-il mettre ce phénomène au compte des avancements dans les techniques de fabrication ou bien du fait que les rouleaux étaient maintenant confectionnés en sachant quelles étaient les dimensions du codex auquel on voulait aboutir289. Les kollemata des codices de Nag Hammadi, tout

278 C’est l’hypothèse, très logique, que Wolf-Peter Funk a partagée avec nous.

279 Selon nos connaissances, personne n’a encore vérifié si on pouvait suivre les fibres verticales des

kollemata qui auraient servi à confectionner un rouleau de papyrus.

280 Cf. Turner, 1977, p. 44.

281 Un doigt romain faisait 18,5 mm. 282 Environ 24,05 cm.

283 Environ 20,35 cm. 284 Environ 18,5 cm. 285 Environ 16,65 cm. 286 Environ 11,1 cm.

287 La traduction est celle d’Ernout, 1956.

288 Encore en 1977 et 1978, Turner note que le kollema le plus large qu’il a recensé, à part deux exceptions

pour lesquelles il n’a pas d’explication, est de 32,5 cm (Turner, 1977, p. 47-51; Turner, 1978, p. 61-62).

289 C’est du moins les hypothèses émises par Ibscher, 1940, p. ix, et Turner, 1977, p. 53, Turner, 1978, p. 61-

comme ceux du codex Berlin (Berolinensis Gnosticus 8502), témoignent d’ailleurs de cette transformation. Parmi les codices considérés comme de bonne qualité, ou « typiques », le codex VI de Nag Hammadi renferme par exemple quatre kollemata mesurant respectivement 120,8 cm, 130,7 cm, 135,3 cm et 134,9 cm290. Le codex de Berlin (Berolinensis Gnosticus 8502) renferme pour sa part six kollemata mesurant respectivement 140,3 cm, 66 cm, 144 cm, 121,3 cm, 153,9 cm et 136,5 cm291. Des codices de moindre qualité, comme le codex V de Nag Hammadi, renferment pour leur part des

kollemata qui ont entre 20 et 30 cm de largeur.

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