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Chapitre 4 Le contenu

3. Système (cosmogonie, cosmologie et personnages)

3.3. Les têtes, le dieu de la vérité, IÉOU – Ioaieōthōuikhōlmiō, les Iéous et les

3.3.2. Le dieu de la vérité devient IÉOU

Une fois le dieu de la vérité émis, Jésus affirme s’être dressé pour invoquer le nom de son Père afin qu’il mette en mouvement le dieu de la vérité, pour qu’il émane (C4 [8],1- 5). Le Père fait alors sortir une pensée de ses trésors et une puissance provenant du Père met en mouvement le dieu de la vérité (C4 [8],5-12; B12 [50],29–51,3). La puissance le met en mouvement en brillant en lui, par l’entremise de la petite pensée est-il précisé (C4 [8],9-11). Le dieu de la vérité émet alors un son, à savoir « ie ie ie ». Puis sort une voix, qui

432 On trouve ailleurs d’autres entités portant le titre de « dieu de la vérité ». À la toute fin de la recension

longue du Livre des secrets de Jean (NH II 30,3-4; NH IV 46,11-13), où est racontée la domination postdiluvienne de l’Esprit contrefait, l’auteur révèle comment les hommes « moururent sans avoir atteint de vérité ni connu le Dieu de la Vérité (ⲡⲛⲟⲩⲧⲉ ⲧⲉⲙⲏⲉ) ». Dans le Livre sacré du grand Esprit invisible, le « dieu de la vérité (ⲡⲛⲟⲩⲧⲉ ⲧⲉⲙⲏⲉ) » est une épithète du grand Autogène vivant (NH III 55,5-6; 65,13-14; NH IV 66,17-19; 77,9-10). Le dieu de la vérité est également mentionné dans Eugnoste (NH III 71,9-10), où l’auteur affirme que « celui qui est capable de s’intérioriser […], de révéler le Dieu de la vérité (ⲡⲛⲟⲩⲧⲉ

ⲧⲁⲗⲏⲑⲉⲓⲁ) et de mettre d’accord chacun à son sujet, lui est un immortel qui vit au milieu des mortels ». Dans l’Apocalypse d’Adam, Adam confie à son fils Seth que « la gnose éternelle concernant le Dieu de la Vérité s’éloigna de moi et de ta mère Ève (ⲡⲛⲟⲩⲧⲉ ⲧⲉⲧⲙⲉ) » (NH V 65,10-13). Le Témoignage véritable affirme que « personne ne connaît le Dieu de la Vérité (ⲡⲛⲟⲩⲧⲉ ⲧⲙⲉ), sinon l’homme seul qui se défera de toutes les œuvres du monde » (NH IX 41,4-8). Enfin, la Pistis Sophia fait aussi référence à un « dieu de la vérité » (par exemple aux chapitres 105 et 107), tout comme les textes manichéens (nombreuses références dans les Kephalaia et les Psaumes manichéens). Irénée de Lyon, dans un passage critiquant la thèse des gnostiques sur la pluralité des dieux dans l’Ancien Testament, thèse qui se fonde sur les nombreuses épithètes de Dieu, révèle au lecteur que le mot « Éloé, en hébreu, signifie “le vrai Dieu” » (Contre les hérésies II,35,2).

est « l’émanation », à savoir la première émanation, IÉOU (C4 [8],13-17)433. Dans les trésors, IÉOU est aussi connu sous le nom de Ioeiaōthōuikhōlmiō, qui signifie « le dieu de la vérité » dans la langue du Père (B5 [43],19-20; C1 [5],8-11; C3 [7],14-16; C5 [9],0a-0e). L’auteur du traité semble donc faire une distinction entre le dieu de la vérité, connu uniquement sous ce nom avant qu’il ne soit mis en mouvement et ne produise des émanations (C2 [6],20-23.25-26; C3 [7],4-6.22-23), et IÉOU, qui est en fait une émanation du dieu de la vérité après qu’il eût été mis en mouvement. En effet, on trouve plusieurs fois l’affirmation que le dieu de la vérité sera, au futur, appelé IÉOU (C1 [5],4.19; C2 [7],13- 14). Mais la distinction n’est pas absolue. Après que le dieu de la vérité eût été mis en mouvement, l’auteur semble utiliser indistinctement les appellations de dieu de la vérité, IÉOU et Ioeiaōthōuikhōlmiō.

IÉOU est émané et installé en tant que tête sur les trésors (C1 [5],11-15; C2 [6],17- 20; C3 [7],16-19.22-23), mais ces derniers sont encore vides : « lorsque cette grandeur (IÉOU) se dressa dans les trésors, il n’y avait pas encore de rang » (C5 [9],1-3). Jésus se dresse alors et invoque le nom de son Père pour qu’il fasse exister d’autres émanations. Le Père met donc IÉOU en mouvement afin qu’il produise d’autres émanations qui emplissent les trésors (C1 [5],4-7; C3 [7],6-7). Par le commandement du Père, IÉOU est donc père de la multitude d’émanations qui sortent de lui (C1 [5],20-22; C3 [7],7-8.14)434. En tant que tête choisie par le Dieu inaccessible, dieu de la vérité et IÉOU, cette première émanation des trésors habitent conséquemment le lieu le plus élevé de ces sphères, connu comme le « trésor de la lumière » (B5 [43],18-19; B7 [45],12-13; B8 [46],7-8.15-16; B9 [47],11- 12.22-23.27-28). Peut-être ce trésor porte-t-il ce nom précis parce qu’il est situé tout juste à l’extérieur des lieux du Père (B9 [47],23-24.27-28), donc en dehors de la grande lumière qui entoure le Dieu inaccessible435. Le trésor de la lumière, décrit comme le lieu du dieu de la vérité, est d’ailleurs la destination ultime que l’âme peut atteindre dans sa remontée vers le Dieu inaccessible (B37 [75],32–B38 [76],6)436.

433 Elle est présentée et nommée dans le diagramme qui accompagne cet exposé.

434 Nous verrons, lorsque nous nous pencherons sur les trésors, comment y sont réparties toutes ces

émanations (voir p. 137-139).

435 Sur la lumière qui entoure le Dieu inaccessible, voir p. 120.

436 Le trésor de la lumière n’est attesté que dans la Pistis Sophia, où il joue un rôle fort important (entre autres

Le nom de IÉOU n’est pas choisi au hasard. En effet, le texte se donne la peine de préciser que le Dieu inaccessible a fait émaner une émanation depuis le début, alors qu’il allait mettre en place tous les lieux, et qu’il l’a appelée IÉOU, afin qu’on appelle ceux qui sont dans tous les lieux Iéous (B14 [52],20-24). L’origine et la signification de ce nom, IÉOU, restent obscures. Hors de notre traité, le personnage de IÉOU n’apparaît que dans la

Pistis Sophia, où il y est connu sous plusieurs appellations, mais jamais sous le nom de dieu

de la vérité ou Ioeiaōthōuikhōlmiō, et où ses rôles sont multiples437. La forme du nom, I-É- OU, nous laisse croire qu’il pourrait s’agir d’une variation grecque sur le tétragramme divin438.

du grand discours mystérique, il est situé au-dessus du treizième éon (30). On y précise également que sa porte de gauche donne sur le treizième éon (76).

437 Il est identifié au premier mystère et est appelé le surveillant (ejpivskopo~) de la lumière (15; 25; 126).

C’est lui qui a établi les archontes (21) et les a liés dans leurs sphères et leurs sceaux (25). Il est également appelé l’ange de la lumière et est imploré par Pistis Sophia pour qu’il châtie, poursuive et jette dans les ténèbres les archontes qui la persécutent (50). On se réfère à lui comme le gardien du lieu de ceux de la droite (86) et comme regardant dans cette direction (140). Dans un passage où Jésus parle des trois lots (klh`ro~) du royaume de la lumière, il affirme que les mystères de ceux-ci seront trouvés dans les deux grands livres de IÉOU, qu’Énoch a écrits alors qu’il parlait avec lui hors de l’arbre de la connaissance et de l’arbre de la vie au paradis d’Adam (99; 134; ce sont ces deux passages de la Pistis Sophia qui ont amené Carl Schmidt à identifier notre traité aux « livres de IÉOU » qu’Énoch aurait écrits). Il aurait placé ces livres dans la pierre d’Ararad (Gn 8,4) et y aurait installé l’archonte Kalapatauroth, pour que ni le déluge ni les autres archontes ne les détruisent (134). IÉOU est aussi appelé le premier homme (111; 126; 130) et le messager de l’ordre primordial, qui a placé un ange à la porte des douze chambres de la punition pour surveiller le dragon (126; 130). IÉOU examine aussi certaines âmes. Si elles n’ont pas complété leur cycle, elles sont retournées dans des corps. Mais si elles l’ont complété, alors IÉOU a pitié d’elles et il les amène en présence des sept vierges de lumière. Au cours d’une invocation, Jésus implore le nom de IÉOU aux côtés de ceux de Iaō, de Zorokhothora et de Sabaōth (136). Il y est aussi appelé le père du père de Jésus (136; 139) et comme celui qui a lié Sabaōth et ses archontes à la sphère (136-137; 139). La Pistis Sophia le connaît enfin comme le pourvoyeur (pronovhto~) des archontes, des dieux et des puissances (139). On trouve la forme ⲓⲏⲟⲩ dans le Livre sacré du grand Esprit invisible (NH III 44,3-9; IV 54,3-13), où on invoque ⲓⲏⲟⲩ ⲉⲁⲱ, probablement pour jIhou ej(stin) a (kai;) w. Layton, 1987, p. 107 note d, considère d’ailleurs ⲓⲏⲟⲩ comme une variante possible de Ieou, lui-même un dérivé probable de Iaō.

438 C’est également l’avis de Colpe, 1982, p. 68 (voir sa note 10, où il renvoie à des papyrus araméens du

cinquième siècle avant notre ère). Sur les variations grecques du tétragramme, voir Driver, 1928, et Delekat, 1971. Le seul chercheur à s’être intéressé au nom de « Iéou » est David Aune. Sa principale hypothèse fait du nom « Iéou » une variation du plus commun « Iaō », auquel il est souvent attaché dans les papyrus magiques grecs (Aune, 1996, p. 907). En Égypte, Iéou est le dieu acéphale. Il n’est donc pas étonnant de retrouver son nom invoqué dans plusieurs papyrus (PGM II,16; IV,1130; V, 96-172; VII,476; XII,111.336-350; XIII,850.888.929) ou amulettes (entre autres Bonner, 1954, p. 151, numéro 40; et Kotansky, 1980, p. 182- 184) magiques. Mais en réalité, aucune de ces mentions ne peut être rapprochée du Iéou de notre traité et des rôles qu’il y joue.

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