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Les rangs du trésor de la lumière et l’existence d’un second trésor de la

Chapitre 4 Le contenu

2. La structure des traités

2.1.7. Les rangs du trésor de la lumière et l’existence d’un second trésor de la

Accomplir le mystère du pardon des péchés de même que celui des éons fera se retirer ces derniers. Se manifestera alors aux disciples, affirme Jésus, le trésor de la lumière, dont les gardiens ouvriront les portes. Jésus se lance ensuite dans l’énumération de vingt- huit rangs (ⲧⲁⲝⲓⲥ) séparant l’âme de IÉOU380. Mais, à notre grand étonnement, le traité ne

380 Pour la liste complète de ces rangs, voir B32 [70],4–B35 [73],8. Devant tous ces rangs aux noms pour le

moins singuliers, on ne peut s’empêcher de se rappeler Irénée de Lyon se moquant de ses adversaires et de leur propension à fabriquer des noms et à les apposer sur ce qu’il considère comme de mensongères

s’arrête pas là. Après que IÉOU eût communiqué son mystère, son sceau et le grand nom du trésor de la lumière aux disciples, ces derniers atteignent le lieu de la grande lumière qui entoure le trésor de la lumière. Ils pénètrent à l’intérieur pour arriver aux portes d’un second trésor de la lumière. Une fois les gardiens passés, l’initié doit traverser quelques rangs avant que soit invoqué le dieu de la vérité, IÉOU, pour qu’il émette une grande puissance lumineuse381. Cette puissance se met alors à la suite des disciples et fait se retirer les trésors lumineux, de sorte qu’ils parviennent à nouveau au trésor du dieu de la vérité, le trésor de la lumière. C’est alors que le dieu de la vérité invoque le Dieu inaccessible, qui se départit d’une puissance lumineuse qui vient vers l’âme des disciples. Cette puissance leur donnera le caractère du trésor de la lumière, les complètera en toute plénitude et en fera des rangs de ce trésor.

Il est difficile d’expliquer la confusion qui règne lorsque les disciples atteignent finalement le trésor de la lumière : nulle part ailleurs dans le traité ne fait-on référence à un second trésor de ce type. On peut distinguer deux versions distinctes de la façon d’atteindre IÉOU et son lieu dans le trésor de la lumière. Dans la première, les disciples arrivent aux neuf gardiens des trois portes du trésor de la lumière qui, voyant qu’ils ont reçu le mystère du pardon des péchés, leur ouvrent les portes. Les disciples passent alors à travers vingt- inventions (Contre les hérésies I,11,4). La liste fait aussi beaucoup penser à ce qu’on trouve au paragraphe 95 de la Pistis Sophia. De tous ces rangs, les sept amen sont mentionnés par la Pistis Sophia (1; 86; 93), tout comme l’ordre primordial (entre autres 1; 15; 30; 95; 126), les cinq marques (entre autres 1; 95), les trois espaces (entre autres 1; 6; 84; 95-96; 98-99; 101; 112; 117; 123; 129; la Pistis Sophia décrit d’ailleurs le mystère des trois espaces comme celui qui pardonne à l’âme dans les lieux des archontes [117]), les cinq assistants (entre autres 1; 95), les illimités (95) et les immobiles (95). Dans le Livre des secrets de Jean, Iaō, situé dans un des rangs du trésor de la lumière dans notre traité, est décrit comme le nom de la quatrième autorité, à face de serpent à sept têtes (BG 42,1-3; NH III 18,1-2; NH II 11,29-31). La Pistis Sophia connaît deux Iaō, un petit, dont la puissance est envoyée par Jésus à Jean Baptiste pour qu’il puisse prêcher, préparer la voie et baptiser (7), et un grand (86). Iaō est le grand chef du milieu (86). Au cours d’une invocation, Jésus implore le nom de Iaō, aux côtés de ceux de Zorokhothora, de IÉOU et de Sabaōth. Il en fait même l’interprétation : iota, parce que le Tout sortit; alpha, parce qu’il reviendra; oméga, parce que la plénitude de toutes les plénitudes s’accomplira (136). Comme notre traité, la Pistis Sophia qualifie Iaō de bon (140). Irénée, dans sa description du système de Ptolémée, donne pour sa part l’origine du nom de Iaō. Il affirme qu’en s’opposant à l’élan d’Achamōth vers l’avant, la Limite dit : « Iaō! » (Contre les hérésies I,4,1; cf. Épiphane, Panarion 31,16,4). Le nom de Iaō, raconte Irénée, est aussi invoqué par les initiés lors du rite de la rédemption : « Je suis confirmé et racheté, et je rachète mon âme de ce siècle et de tout ce qui en ressortit, au Nom de Jao qui a racheté son âme pour la rédemption dans le Christ vivant » (I,21,3; Épiphane, Panarion 34,20,6). Irénée le place encore aux côtés de Ialdabaōth et Sabaōth dans sa notice sur les ophites (Contre les hérésies I,30,5). Dans sa notice sur les nicolaïtes, Épiphane le situe au premier ciel (Panarion 26,10,1,).

381 Une (ou des) puissance lumineuse est mentionnée dans le Traité tripartite (NH I 124,30-31), dans le Livre

des secrets de Jean (NH II 11,9; 15,13) et dans la Paraphrase de Sem (NH VII 16,19-20). Elle est aussi présente dans la Pistis Sophia, mais son rôle est négatif : elle est l’émanation à face de lion de l’Authadès qui persécute Pistis Sophia (30-31; 35; 39; 47-48; 50; 52; 54-55; 66).

sept rangs382, qui leur donnent leur mystère, leur sceau et leur grand nom, du rang des trois amen au rang des voiles « qui sont tirés devant le grand roi du trésor de la lumière » (B35 [73],1-2). Ils atteignent ensuite IÉOU, décrit comme « le grand homme » (B35 [73],6), « le roi de ce trésor lumineux » (B35 [73],6-7). Voyant que les disciples ont accompli tous les mystères requis, IÉOU se réjouit et leur donne son mystère, son sceau et le grand nom du trésor de la lumière. Les disciples se rendent ensuite au lieu de la grande lumière qui entoure le trésor de la lumière, grande lumière qui leur donnera elle aussi son mystère, son sceau et le grand nom du trésor de la lumière.

Dans la seconde version, les disciples, arrivés au trésor de la lumière, se font encore une fois ouvrir les portes par les gardiens. Une fois à l’intérieur, ils ne traversent que deux rangs : le premier, celui du triple-puissant de la lumière383, et le second, celui « du douzième rang de <la> douzième grande puissance des émanations du dieu de la vérité » (B36 [74],11-13). Les douze puissances qui habitent ce rang donnent aux disciples leur mystère, leur formule de défense et leur sceau. Ils invoquent alors le dieu de la vérité pour qu’il émette une grande puissance lumineuse et qu’elle vienne à la suite des douze disciples. Cette puissance fait ensuite se retirer les rangs des trésors lumineux, de sorte que les disciples atteignent le dieu de la vérité. Ce dernier leur donne son mystère, son sceau et son grand nom, puis invoque le Dieu inaccessible qui se départit d’une puissance lumineuse. Cette puissance donne aux disciples le caractère du trésor du dieu de la vérité, les complète en toute plénitude et en fait un rang de ce trésor, de sorte qu’ils peuvent maintenant rendre gloire au Dieu inaccessible.

La présence de ces deux versions pourrait s’expliquer, à notre avis, par l’existence de deux couches rédactionnelles. Deux raisons peuvent selon nous justifier qu’un rédacteur ait senti le besoin d’intervenir dans le texte. Dans un premier temps, peut-être discernerait- on, cachées derrière la seconde tradition, les traces de ce qui était à l’origine un raccourci que pouvaient employer les disciples pour atteindre IÉOU. Un raccourci semblable peut d’ailleurs être observé en B20 (58),4-10, où Jésus dit à ses disciples que, bien qu’il en

382 Vingt-huit si on considère les gardiens comme un rang.

383 Le (ou les) triple-puissant joue un rôle très important dans quelques traités gnostiques. On le trouve dans

les Trois stèles de Seth et dans Zostrien, en plus d’être très présent dans Marsanès et dans l’Allogène, ainsi que dans la Pistis Sophia (entre autres 1; 14; 29-30; 84; 93; 96; 103; 137; 147; l’Authadès est un des trois triple-puissants [29-30], tout comme Bainchoooch [147]).

existe beaucoup d’autres, seuls les mystères des cinq arbres, des sept voyelles et du grand nom sont nécessaires pour atteindre le royaume de la lumière. Au lieu de passer par chacun des rangs, les disciples n’auraient qu’à en traverser deux. À un moment donné de l’histoire du texte, la présence de ces deux façons concurrentes d’atteindre le dieu de la vérité a semé la confusion, si bien qu’un rédacteur a cru y voir la présence d’un second trésor de la lumière, et a modifié le texte en conséquence.

Enfin, la présence de deux couches rédactionnelles à cet endroit est peut-être aussi le reflet de l’existence de deux traditions analogues, mais non identiques, sur le trésor de la lumière. Au lieu d’être amalgamées pour n’en former qu’une seule, un rédacteur aurait plutôt choisi de conserver les deux versions, en ajoutant au trésor de la lumière un second trésor du même nom.

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