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Chapitre 4 Le contenu

1. La forme littéraire des traités

Dans chacun des trois traités, aussi fragmentaires qu’ils puissent être, nous croyons reconnaître le dialogue de révélation de type gnostique, tel que l’a défini Pheme Perkins345.

345 Perkins, 1980. C’est cependant Kurt Rudolph qui, le premier, identifie ce genre littéraire (cf. Rudolph,

Le dialogue de révélation se définit comme un échange, souvent postrésurrectionnel, entre Jésus et ses disciples, qu’on peut rapprocher du genre des questions-réponses (eratopokriseis), où un maître répond aux questions de ses élèves. Deux des trois traités que nous avons identifiés dans les « Livres de Iéou », à savoir le Livre du grand discours

mystérique346 et le Livre des connaissances du Dieu invisible, ont explicitement cette forme d’un entretien entre Jésus et ses disciples347. Voyons un peu plus en détail, pour ces deux traités, le cadre narratif et le contenu du dialogue348.

1.1. Le cadre narratif

1.1.1. Le Livre du grand discours mystérique

Le cadre narratif du Livre du grand discours mystérique est quelque peu ambigu. On ne peut en effet établir hors de tout doute si le dialogue entre Jésus et ses disciples est pré- ou postrésurrectionnel. Deux indices nous font toutefois pencher en faveur d’un entretien qui a lieu après la résurrection : d’abord, le fait que les disciples de Jésus l’aient suivi douze ans (B19 [57],23-24) laisse présager un contexte postrésurrectionnel, tout comme le voyage de Jésus et de ses disciples au septième trésor lors de l’hymne au Père (B10 [48],7-8). L’entretien a lieu dans un lieu inconnu. Le révélateur est exclusivement, à quelques exceptions près349, appelé Jésus. Les récipiendaires de la révélation sont tantôt appelés les disciples ( ⲙⲁⲑⲏⲧⲏⲥ)350, les disciples hommes ( ⲙⲁⲑⲏⲓ ϩⲟⲟⲩⲧ) (B21 [59],30-31), les douze ou les douze disciples (B9 [47],33; B10 [48],10; B16 [54],2.3; B37

346 Une étude approfondie devrait également être faite sur les liens qu’il est possible d’établir entre ce traité et

les livres des morts égyptiens (sur ces dernier, voir Barguet, 1967). De manière analogue, Amélineau, 1891a, p. 379, note « que l’aeon gnostique où l’on ne peut pénétrer qu’en disant les mots de passe, en tenant le sceau et en écartant les archons, ressemble terriblement à ces cercles de l’hémisphère inférieur où les âmes qui veulent suivre la course du soleil dans le monde souterrain font usage des même procédés pour arriver aux mêmes fins ».

347 Les deux pages du Fragment d’un traité gnostique sur le passage de l’âme ne fournissent pas assez de

détails pour qu’on puisse déterminer leur forme littéraire. Par contre, le rapprochement qu’on peut faire entre ce fragment et la Pistis Sophia laisse croire qu’il s’agit là aussi d’un dialogue de révélation entre Jésus et ses disciples.

348 Les trois traités contiennent aussi tous des hymnes, sur lesquels s’est penché Lattke, 1991, p. 259-260. 349 Il est appelé « Seigneur » en B5 (43),25, B7 (45),16.28, B19 (57),18, B38 (76),17 et « Christ » en B7

(47),15; B8 (46),3.

[75],9). On y trouve aussi des « disciples femmes » ( ⲙⲁⲑⲏⲧⲣⲓⲁ ⲥϩⲓⲙⲉ)351 (B16 [54],2.3- 4; B21 [59],31). Dans ce qui nous reste du traité, les disciples n’interviennent qu’à six reprises, que ce soit pour poser des questions à Jésus ou pour lui réclamer une révélation particulière (B1 [39],11-13; B5 [43],24-30; B7 [45],15-30; B8 [46],1-3; B19 [57],14-19; B39 [76],15-25).

1.1.2. Le Livre des connaissances du Dieu invisible

Le cadre narratif du Livre des connaissances du Dieu invisible est plus clairement postrésurrectionnel. Jésus y est en effet constamment appelé « le vivant » (ⲡⲉⲧⲟⲛϩ) (D1 [1],2.10.13.15.21.31; D2 [2],22-23.29 [bis]; D3 [3],5.8.22; D4 [4],6.9.15.18.27; D1a [1a],3.12.15.18.25; D2a [2a],10; D3a [3a],15.24 [bis]; D4a [4a],4.8)352. On ignore là aussi où se tient la révélation. Le révélateur est appelé Jésus ou Seigneur (ⲡϫⲟⲉⲓⲥ) à une exception près353. Quant aux destinataires de la révélation, le traité s’y réfère presque exclusivement comme les apôtres (ⲁⲡⲟⲥⲧⲟⲗⲟⲥ)354; cinq sont nommés : Matthieu, Jean, Philippe, Barthélémy et Jacques (D2 [2],20-22; D3a [3a],12-14). Dans les quatre pages qui nous sont parvenues, les apôtres interviennent sept fois, soit pour poser une question à Jésus, soit pour lui rendre gloire (D1 [1],17-21.24-31; D2 [2],19-29; D3 [3],3-7; D4 [4],5-9.14-17.26-28; D1a [1a],21-25; D2a [2a],2-10; D3a [3a],10-24; D4a [4a],3-8).

1.2. Le contenu du dialogue

Comme nous nous apprêtons, dans les sections qui suivent, à présenter la structure des traités et leur contenu355, nous ne dirons ici que quelques mots sur la nature du dialogue

351 La (Première) apocalypse de Jacques (NH V 38,16-18), tout comme la Sagesse de Jésus Christ (BG

77,10-14), connaissent sept femmes qui furent des disciples de Jésus. Le terme gréco-copte employé par notre traité pour faire référence aux disciples de sexe féminin, ⲙⲁⲑⲏⲧⲣⲓⲁ, n’est pas usuel. En copte, on le trouve aussi dans la Pistis Sophia ( ⲙⲁⲑⲏⲧⲣⲓⲁ ⲥϩⲓⲙⲉ; 136). En grec proprement dit, ce terme féminin apparaît une seule fois dans le Nouveau Testament, en Ac 9,36, en plus d’être employé à propos de Marie-Madeleine dans l’Évangile de Pierre (maqhvtria tou` Kurivou; cf. Mara, 1973, p. 62).

352 Sur cette épithète, voir p. 113 n. 390. 353 On parle du Sauveur (ⲡⲥⲱⲧ ) en D1 (1),7. 354 Une seule fois on les qualifie de disciples (

ⲙⲁⲑⲏⲧⲏⲥ) (D2 [2],7; D2a [2a],10).

entre Jésus et ses disciples pour les deux textes retenus. En l’occurrence, nous chercherons à établir si ces entretiens sont à proprement parler « révélatoires ».

1.2.1. Le Livre du grand discours mystérique

Le dialogue entre Jésus et ses disciples dans le Livre du grand discours mystérique est certainement révélatoire, dans la mesure où il livre un enseignement caché sur la nature des sphères célestes et sur leurs habitants, qui ne doit pas être révélé à tous (B17 [55],3– B18 [56],11). Les connaissances contenues dans cet enseignement sont d’autant plus importantes qu’elles permettent à l’âme de remonter ces sphères jusqu’à la plus haute, où elle peut rendre gloire au Dieu inaccessible. Le Livre du grand discours mystérique, par son titre même, est peut-être un des exemples les plus classiques du dialogue de révélation.

1.2.2. Le Livre des connaissances du Dieu invisible

Malgré que quatre pages seulement du Livre des connaissances du Dieu invisible aient survécu, là aussi on peut affirmer que le dialogue entre Jésus et ses disciples relève de la révélation. En effet, Jésus, alimenté par les questions de ses disciples, y dispense un enseignement qui manifeste des réalités supérieures et divines cachées : la crucifixion du monde, la vie du Père, la transformation de l’âme terrestre en une âme intellective grâce aux paroles de Jésus, etc.

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