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Chapitre 1 L’histoire moderne du manuscrit

1. L’histoire « primitive » du codex Bruce (1769-1794)

1.2. Le manuscrit

1.2.2. La date de l’acquisition

Si le lieu de la découverte et de l’achat du codex est à situer à Thèbes ou dans ses environs, nous sommes devant deux dates d’acquisition possibles. La première, plus probable à notre avis, est janvier 1769, c’est-à-dire lorsque Bruce est en route pour découvrir la source du Nil. Comme nous l’avons déjà brièvement mentionné, le voyage de Bruce vers l’Abyssinie débute le 20 juin 1768 avec son arrivée à Alexandrie. Remontant le Nil vers Assouan, Bruce quitte Furshout54 le 7 janvier 1769 pour El Goumi55. Après avoir visité les ruines de Thèbes, Louxor et Karnak, il quitte Louxor le 17 janvier pour Esné56 et les ruines de Latopolis, à environ 55 km au sud de Louxor57. Bruce aurait donc pu faire l’acquisition de son codex copte entre le 7 et le 17 janvier 1769.

La deuxième date d’acquisition possible est décembre 1772, alors que Bruce est sur le chemin du retour en Europe. Cette dernière date nous apparaît toutefois moins plausible si on tient compte des conditions difficiles dans lesquelles Bruce revient en Égypte. Après que Bruce ait finalement atteint son but le 4 novembre 1770 en traversant le Petit Abbaï et en « découvrant » la source du Nil bleu à Gish Abay58, il est pressé de revenir en Europe. Son départ d’Abyssinie ne se fait cependant qu’en décembre 1771, après la déposition et l’exil de Ras Micaël Sehoul de Tigré, vaincu en mai 1771 à la bataille de Serbaqoussa par l’alliance formée entre Ras Goshu de Godjam, Ras Fasil du Damot et Wand Bawosen de

54 Aujourd’hui Farshout, près de Nag Hammadi. 55 Aujourd’hui Cheikh Abd el-Gournah. 56 Aujourd’hui Esna.

57 Bruce, 1790c, p. 120-141.

58 Ce que tous les Abyssiniens savaient par ailleurs; voir le récit de l’arrivée de Bruce à la source du Nil dans

Bruce, 1790a, p. 577-602. Gish Abay avait aussi déjà été visité par le jésuite Pedro Páez le 21 avril 1618. Páez a relaté son voyage dans un ouvrage complété en 1620, História da Ethiópia, mais jamais publié de son vivant. Ses récits parurent pour la première fois près de trois siècles plus tard comme les volumes II et III (1905-1906) des dix-sept volumes de Beccari, 1903-1917, avant d’être publiés en bonne et due forme en trois volumes en 1945 par Alberto Feio et Lopes Teixeira (Páez, Feio et Teixeira, 1945).

Bégamedér59. Son retour en Égypte à travers le désert soudanais fut l’étape la plus dangereuse de son expédition, alors que sa caravane manqua d’eau et de nourriture. Ses membres arrivent finalement à Assouan à pied le 29 novembre 1772, après avoir laissé derrière eux tous les spécimens recueillis, essentiellement botaniques, et les journaux de voyage60. Aussitôt qu’il eut repris des forces, Bruce retourna dans le désert pour récupérer les bagages qui avaient été abandonnés et qui, miraculeusement, avaient échappé aux voleurs61. Bruce quitte alors Assouan le 11 décembre 1772 et arrive à How le 19 décembre, sans mentionner s’être arrêté à Thèbes62. Malade63, il se dépêche à se rendre au Caire, qu’il atteint le 10 janvier 177364, puis à Alexandrie, d’où il prend un navire pour Marseille65. Il est finalement de retour en Europe le 23 mars 1773. À notre avis, il est peu probable que Bruce ait eu le loisir de collectionner des manuscrits anciens dans ces conditions66.

Si le codex fut vraisemblablement acheté en 1769, nous ne savons toutefois pas ce qu’il en advint entre son acquisition et son arrivée en Europe. En effet, Bruce ne s’étend pas, dans ses récits de voyage, sur le sort de ses bagages ou des biens acquis en cours de route. On peut néanmoins émettre trois hypothèses. Il est d’abord possible que le codex ait été directement envoyé en Europe. Bruce aurait aussi pu le laisser quelque part en Égypte peu de temps après l’avoir acquis, pour ensuite le récupérer sur le chemin du retour. Il est enfin possible que le codex ait suivi Bruce à l’aller et au retour de son expédition en Abyssinie. Il aurait ainsi été abandonné avec tous les bagages dans le désert. Ce long voyage et cet abandon pourraient-ils expliquer le présumé piètre état du manuscrit à son

59 Voir Bruce, 1790b, p. 138-269. Sur ces événements de l’histoire de l’Éthiopie, voir Doresse, 1970, p. 77-78

et Marcus, 1994, p. 51.

60 Voir le récit de ces mésaventures dans Bruce, 1790b, p. 562-601. 61 Bruce, 1790b, p. 606-608.

62 Bruce, 1790b, p. 617-618.

63 Une fois à How, Bruce, qui est pris de fièvre, envoie un de ses hommes aux pères du monastère de Furshout

pour les avertir de son arrivée et du piètre état de sa santé (cf. Bruce, 1790b, p. 618).

64 Bruce, 1790b, p. 621. 65 Bruce, 1790b, p. 648-649.

66 Michel Tardieu (cf. Tardieu et Dubois, 1986, p. 83) avance pour sa part 1773 comme année d’acquisition

du manuscrit, même s’il mentionne en note que Woide témoigne de l’achat du manuscrit par James Bruce vers 1769 dans Cramer, 1778, p. 55 s. et p. 154 s. Ce que raconte Tardieu est faux à deux égards : d’un côté, on ne trouve aucune mention de 1769 par Woide dans l’ouvrage cité, et de l’autre, la date d’acquisition qu’il avance, à savoir 1773, cadre mal avec le récit de voyage de Bruce. Puech, 1935, p. 122; Ménard, 1965, col. 822; Peel, 1990; Krause, 1991; Puech et Blatz, 1991, p. 370; et Röwenkamp, 2000, donnent tous 1769. Williams, 1992, p. 1071, situe l’acquisition « autour » de 1779.

arrivée en Europe67? Ces trois scénarios sont tous possibles. Sans autres indications fournies par Bruce, il est difficile de trancher.

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