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Les sacrements initiatiques, préalables à la révélation de mystères

Chapitre 4 Le contenu

4. La sotériologie et la sacramentaire

4.1. Les sacrements

4.1.1. Les sacrements initiatiques, préalables à la révélation de mystères

Le parcours de l’initié du Livre du grand discours mystérique commence alors que son âme est toujours attachée à son corps physique. Avant de se faire dévoiler les mystères des douze éons divins et ceux du dieu invisible, les disciples doivent en l’occurrence recevoir les trois baptêmes, le mystère qui a pour but d’écarter d’eux la malice de l’archonte et le mystère de l’onction spirituelle. Incidemment, ce n’est qu’après avoir donné ces sacrements à ses disciples que Jésus leur révèle comment franchir les éons et le lieu des trois archontes.

4.1.1.1. Les trois baptêmes (B21 [59],26–B28 [66],30)

Les premiers sacrements que le fidèle doit recevoir sont les trois baptêmes, celui de l’eau, celui du feu et celui de l’Esprit Saint480. Les rituels entourant les trois baptêmes sont tous plus ou moins identiques les uns par rapport aux autres, à l’exception des végétaux et des formules employés481. Nous ne reprendrons pas ici les détails de chacun des baptêmes, mais présenterons plutôt leur déroulement général482. Après avoir fait monter une offrande, Jésus place un vase de vin à la gauche de l’offrande et un à sa droite. Il ajoute à l’offrande

480 Cf. Mt 3,11. L’Écrit sans titre affirme aussi qu’il y a « trois baptêmes : le premier est spirituel, le

deuxième est feu, le troisième est eau » (NH II 122,13-16). La Pistis Sophia raconte comment la grande vierge de la lumière et les sept autres vierges de la lumière examinent l’âme pour ses sceaux, ses baptêmes et l’onction. Ce sont tantôt les receveurs (paralhvmpth~) de la lumière (112) tantôt les sept vierges de la lumière (128; 130) qui donnent aux âmes les baptêmes. Dans la Pistis Sophia, les baptêmes ont pour fonction de brûler les péchés (115). Jésus y affirme avoir baptisé une femme trois fois (122) et on y mentionne aussi le mystère du baptême de ceux du milieu et de ceux de la droite (138). Un peu plus loin, les disciples disent avoir entendu dire qu’il y avait un baptême de feu et un autre de l’Esprit Saint (143). Épiphane révèle enfin que les marcionites permettaient trois baptêmes (Panarion 42,3,6).

481 Les plantes employées dans le rituel rappellent la description de la composition de l’huile d’onction et de

l’encens par Irénée (Contre les hérésies II,24,3). On trouve dans la Pistis Sophia un rituel très semblable à celui du baptême d’eau : Jésus, en se tournant vers les quatre coins du monde avec ses disciples qui étaient vêtus de vêtements de lin, invoque les noms de plusieurs personnages (142).

des graines et des végétaux, et revêt ses disciples de vêtements de lin483. Il place une plante dans leur bouche et, dans leurs mains, un chiffre (ⲯⲏⲫⲟⲥ) et une autre plante. Il place ses disciples devant l’offrande et se tenant au-dessus de celle-ci, il dépose sur un tissu de lin une coupe de vin484, des pains selon le nombre de disciples485 et une plante, dont il se sert pour les couronner. Jésus marque alors ses disciples d’un sceau (ⲥⲫⲣⲁⲅⲓⲥ), dont le nom et la traduction (ϩⲉⲣⲙⲏⲛⲓⲁ) sont donnés. Jésus et ses disciples se tournent vers les quatre coins du monde486 et il leur ordonne de se coller les pieds les uns aux autres. Il dit une prière dans laquelle il implore son Père, en invoquant ses noms incorruptibles, d’avoir pitié de ses disciples, de les compter parmi le lot du royaume de la lumière, de leur pardonner leurs péchés et d’effacer leurs iniquités. Il demande ensuite qu’un signe se produise dans l’offrande et que vienne Zorokothora Melkhisédek487 avec l’eau du baptême. Puis, le signe se produit, et Jésus baptise ses disciples, qui se réjouissent488.

4.1.1.2. Le rituel pour enlever la malice des archontes hors des disciples (B28 [66],30–B30 [68],6)

Aux trois baptêmes succède le rituel qui a pour but d’extirper des disciples la malice des archontes. Ce sacrement se déroule grosso modo comme les baptêmes. Jésus fait d’abord brûler de l’encens et fait construire par ses disciples « un autel sur le bord de la

483 Sur le vêtement de lin, voir Tardieu, 1982.

484 La coupe de vin peut faire écho aux coupes mêlées de vin dont se servait Marc le mage dans ses rituels

(Contre les hérésies I,13,2; cf. Épiphane, Panarion 34,1,7; 2,1).

485 Les Extraits de Théodote mentionnent l’utilisation de pain sanctifié dans le rite (82,1).

486 Jésus se tourne vers les quatre coins du monde dans la Pistis Sophia pour dire le grand nom (141). Les

quatre coins sont aussi mentionnés dans l’Anonyme de Bruce (4,24-25).

487 Jésus invoque le nom de Zorokhothora, aux côtés de ceux de Iaō, de IÉOU et de Sabaōth, dans la Pistis

Sophia (136). Zorokothora Melchisédek apparaît dans la Pistis Sophia, où il est le messager de toutes les lumières, celui qui amène les lumières au trésor de la lumière (139-140). Melchisédek seul y est appelé le receveur (paralhvmptwr) de lumière, celui qui enlève les pouvoirs aux archontes, les purifie et transporte leur lumière au trésor de la lumière (25-26; 86). Il est le grand receveur de la lumière (112) et a lui-même des receveurs à son service (128-129), qui amènent les âmes à la vierge de la lumière (129). Melchisédek est évidemment la figure centrale du traité éponyme de Nag Hammadi (NH IX,1) et on ne peut non plus omettre la secte des melchisédékiens, mentionnée par Épiphane (Panarion 55). Sur la figure de Melchisédek, voir Pearson, 1998.

488 Le déroulement général du baptême d’eau, comme ceux des deux autres baptêmes et des autres

sacrements, rappelle ce qu’Hippolyte affirme au sujet de Marc le mage, et peut faire penser à une prolongation de l’épiclèse (Réfutation de toutes les hérésies VI,V,40). On peut aussi le comparer au baptême des elchasaites (IX,III,15).

mer »489. Il y dépose des végétaux et des pierres. Jésus revêt encore une fois ses disciples de vêtements de lin, les couronne avec une plante et place de l’encens dans leurs bouches. Il dépose un chiffre dans leurs mains. Pieds joints et placés devant l’encens que Jésus a offert, les disciples sont marqués d’un sceau, puis Jésus prie son Père de contraindre Sabaōth, l’Adamas490, et tous ses princes à venir et à emporter leur malice hors de ses disciples. Après avoir dit cette prière, alors que Jésus et ses disciples étaient tournés vers les quatre coins du monde, il les marque d’un sceau et les archontes emportent toute leur malice. Les disciples deviennent immortels et peuvent ainsi suivre Jésus.

4.1.1.3. L’onction spirituelle remplacée par la formule de défense (B30 [68],6–B39 [77],5) Dans ce qu’annonce Jésus à ses disciples à la page B18 (56) du manuscrit, le rituel de l’onction spirituelle est censée succéder à celui qui enlève des disciples la malice des archontes. Or, après avoir complété ce dernier, nous y trouvons plutôt Jésus proposant à ses disciples de leur donner la formule de défense, ⲁⲡⲟⲗⲟⲅⲓⲁ en copte, pour tous les lieux dont il a révélé le mystère. La mention de l’onction spirituelle de la page B18 (56) est d’ailleurs la seule et unique de tout le traité, tel que nous l’avons conservé aujourd’hui491.

489 Cf. Notes philologiques et textuelles à B28 (66),32-33, ⲁϥⲧⲣⲉⲩⲕⲱⲧ |ⲟⲩϣⲟⲩⲣⲏ ϩⲣⲁ ϩⲓϫ ⲑⲁⲗⲁⲥⲥⲁ. 490 Sans en faire l’inventaire complet, notons que Sabaōth et Adamas sont des noms que l’on retrouve dans

plusieurs des traités de la littérature gnostique. Puisque Sabaōth n’est appelé l’Adamas que dans la Pistis Sophia (136; 144), attardons-nous à sa représentation dans ce traité. Il y est qualifié à la fois de bon (8; 18; 62- 63; 86; 93; 112; 137; 139-140; 147), de grand (8; 86; 112; 139) et de petit (63; 137; 140; 147). Il est même dit être l’équivalent de Zeus (140). La Pistis Sophia affirme que Sabaōth, que Jésus a appelé son Père, est sorti de IÉOU (86). Jésus invoque son nom aux côtés de Iaō, de Zorokhothora et de IÉOU (136). On y révèle également que Sabaōth, l’Adamas, règne sur six des douze éons, et que Iabraōth, son frère, règne sur les six autres (136). Enfin, Sabaōth et ses archontes furent liés à la sphère par IÉOU (136; 139). Dans ce même traité, Adamas est qualifié de tyran (15; 27; 66; 75; 77; 79) et occupe le douzième éon (66). On y mentionne aussi un royaume d’Adamas (131). Chez Irénée, Sabaōth est placé aux côtés de Ialdabaōth et de Iaō dans sa notice sur les ophites (Contre les hérésies I,30,5). Épiphane, en parlant des nicolaïtes, affirme que ces derniers placent Sabaōth au septième ciel (Panarion 25,10,3) et qu’il ressemble pour certains à un âne et pour d’autres à un porc (26,10,6). Pour les archontiques, il est à l’origine du baptême et se trouve plutôt au huitième ciel (40,2,6) et est la septième autorité (40,5,1).

491 L’onction est mentionnée dans l’Évangile selon Philippe (NH II 57,28; 67,5.23.28; 69,14; 73,17;

74,12.13.16; 85,27), dans l’Hypostase des archontes (NH II 97,2) et dans l’Écrit sans titre (NH II 111,7). Dans la Pistis Sophia, l’onction spirituelle sera donnée par ceux du milieu aux archontes qui se sont repentis (86). La grande vierge de la lumière et les sept autres vierges de la lumière examinent l’âme pour ses sceaux, ses baptêmes et l’onction. Ce sont tantôt les receveurs (paralhvmpth~) (112), tantôt les sept vierges de la lumière (128; 130) qui la donnent à l’âme. Elle est aussi mentionnée à la suite du baptême de feu et du baptême de l’Esprit Saint (143). Irénée parle d’une onction à l’aide d’un baume (mélange d’eau et d’huile) qui s’opère lors du rite de la rédemption des marcosiens (Contre les hérésies I,21,3-4; cf. Épiphane, Panarion

Ce à quoi Jésus fait référence avec ces « formules de défense » est particulièrement obscur. Tout de suite après avoir dit à ses disciples qu’il leur donnerait « la formule de défense », il enchaîne plutôt avec un discours sur la sortie de leur âme. Il insiste alors sur l’importance de recevoir « le mystère du pardon des péchés », sur lequel nous reviendrons, et se lance dans une longue énumération des rangs du trésor de la lumière (B31 [69],27– B38 [76],9). Puis, après que ses disciples l’aient prié de les initier au mystère du pardon des péchés, Jésus leur répond qui le leur donnera en temps opportun. Il leur révèlera d’abord le mystère des douze éons, c’est-à-dire toutes les informations requises pour que l’âme puisse traverser ces sphères lors de sa remontée. Les formules de défense dont Jésus parle à la page B30 (68) pourraient bien être ce rituel de la traversée des éons. En B38 (76),30–B39 (77),5, Jésus semble revenir en effet sur sa promesse de B30 (68),7-8 de donner aux disciples la formule de défense :

Écoutez donc, maintenant que vous avez reçu le mystère des douze éons, le mystère du baptême de l’eau de la vie, le mystère du baptême de feu, le mystère de l’Esprit Saint et le mystère pour emporter la malice hors de vous. Puisque donc je vous ai dit que je vous donnerais ses formules de défense, la manière de les invoquer pour aller à leurs lieux et aussi ces sceaux, écoutez donc et je vous <dirai> leurs formules de défense, avec lesquelles vous vous défendrez auprès d’eux (B38 [76],30–B39 [77],5).

Nous reviendrons un peu plus loin sur le rituel de la traversée des éons492.

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